Chapitre 9 PART 1/2 De l'orage dans l'air
Coucou :) Note d'avant lecture : Je ne trouvais pas logique qu'Augustin ne se souvienne pas du mariage d'Éva, j'ai donc changé mon fusil d'épaule : à la fin du tome 1, lors de la révélation du mariage de Hans et Éva par le détective, je vais retirer la date du mariage (cette absence de date sera justifiée dans quelques chapitres) Du coup, en fin de tome 1, lorsqu'Augustin découvrira que son aventure était réelle, il pensera qu'à cause de sa disparition, Éva épousera Hans par dépit. Au chapitre précédent, quand il voit la bague et les photos, Augustin découvre donc qu'Éva est déjà mariée. Ce qui renforcera son désarroi sur ce chapitre et me permettra un rebondissement par la suite. (J'espère que ma note était suffisamment claire)
Paris, 25 juillet 2019
— Un double fond ? Je ne l’avais jamais remarqué !
— C’est le principe d’une cachette secrète, ma Lili.
La petite Sarah esquissa une grimace qui n’augurait rien de bon. En une fraction de seconde, ses hurlements, plus stridents qu’une alarme incendie, retentirent dans la suite.
— C’est l’heure de manger, claironna Audrey. Tatie va s’en occuper !
Pendant qu’elle branchait le chauffe-biberon, sa sœur fouilla dans son sac à main et revint avec le coffret en acajou.
— Je peux le faire, ma Lili ? s’extasia Jin, les yeux pétillants. J’ai toujours adoré les casse-têtes !
Audrey prit sa nièce dans les bras avant de s’installer à côté des fiancés. Son beau-frère effleura les inscriptions, se gratta le cuir chevelu, retourna le précieux sésame, pinça les lèvres, souleva le couvercle avec précaution et palpa le fond du bout des doigts. Dans un déclic discret, un tiroir se libéra.
À l’intérieur s’entassaient plusieurs photos en noir et blanc. Sur la première, une jeune femme en robe de mariée posait aux côtés d’un homme en costume à la carrure imposante.
— Vous croyez que c’est Éva ? s’enquit Audrey.
— Je pense, oui, répondit sa sœur aînée. Ce cliché correspond au passage du carnet que nous venons de lire. Éva et Hans le jour de leur mariage, je suppose.
— J’espère qu’Augustin ne s’énervera pas et qu’il laissera à Éva l’occasion de s’expliquer.
Tout sourire, Lisa haussa un sourcil.
— Augustin ? Rester calme ?
Elle examina une seconde photo. Un enfant d’environ un an jouait avec une poupée de chiffon devant deux femmes, enlacées par leurs amants. À côté, un jeune homme tenait un bébé dans ses bras.
La trentenaire retourna le cliché.
— « Daniel, Colette et Claude. Éva et Augustin. Justin et Guillaume. Baptême, le 20/12/1943 », lut-elle à voix haute.
Les yeux d’Audrey se voilèrent.
— C’est Augustin ? murmura-t-elle, la voix chevrotante. Justin et lui se ressemblent beaucoup. Mon petit frère est si mignon !
Lisa esquissa un sourire ému.
— Même si nous ne sommes pas objectives, c’est vrai qu’il est adorable !
Jin secoua la tête.
— Pourrait-on se concentrer sur l’essentiel ? Ce Guillaume, dans les bras de Justin, vous croyez que c’est son enfant ?
— Je ne sais pas, répondit sa fiancée. Si c’était le cas, la mère de ce bébé serait à côté de lui, tu ne penses pas ?
— Pas forcément. Peut-être que c’est elle qui prend la photo ?
Audrey posa le biberon sur la table basse et caressa le dos de sa nièce.
— Je pense que c’est le fils cadet de Claude et Colette. Justin est peut-être le parrain. Et puis, il a déjà une femme et un enfant caché. Il ne va pas nous faire le coup une deuxième fois !
Troyes, 28 juillet 1942
La faille de San Andreas s’ouvrit sous mes pieds. Mes tripes se déchirèrent. Ces deux là étaient donc déjà mariés ! Moi qui pensais naïvement qu’ils s’uniraient à cause de ma disparition… Depuis quand leur manège durait-il ? Comment Éva avait-elle pu me cacher cette information et me trahir à ce point ? Les imaginer roucouler dans les bras l’un de l’autre pendant leur lune de miel, se gausser dans mon dos, rire à gorge déployée du pigeon qu’ils plumaient depuis un mois me dévastait. Une partie de moi continuait d’espérer qu’elle avait une raison valable pour justifier son mensonge. Pourquoi tous ces bobards ? Ce comportement ne lui ressemblait pas ! Et pourtant… Les preuves de sa supercherie gisaient à mes pieds.
Dans les tréfonds de ma boîte crânienne, un diablotin impitoyable s’empressa de me rapporter les paroles d’Éva : « Il n’y a rien entre nous », « Je considère Hans comme mon meilleur ami, « Je ne ressens rien pour lui », « Je dois bien admettre que notre relation est assez spéciale ». Une relation spéciale ? Des foutaises ! J’étais le pire des abrutis. Un pauvre type idéaliste avec de la bouillie à la place du cerveau. Le roi des cons.
Les jambes tremblantes, je m’assis sur le lit, m’enfouis la tête dans les mains. Elle n’avait même pas daigné me l’avouer. Que représentais-je à ses yeux ? Un sexfriend minable ? Une passade ? Une distraction ? Un jouet ? Sa déclaration d’amour m’avait pourtant semblé sincère.
Je m’efforçai de reprendre contenance, de museler ce lutin de malheur qui me harcelait. Me ressaisir. Laisser le bénéfice du doute à Éva. Peut-être que le détective s’était trompé, qu’elle avait fait annuler le mariage ? Après tout, elle ne portait pas sa bague. Et puis, Hans n’avait manifesté aucun signe de jalousie en nous voyant nous embrasser.
Le glas de l’horloge murale résonna. L’heure de notre rendez-vous au lac approchait. Mon cœur pesait plus lourd qu’une dalle en béton armé. Je rassemblai les miettes de courage qui me restaient, rejoignis la remise de l’hôtel comme si je m’apprêtai à monter à l’échafaud et enfourchai mon vélo.
Sur le trajet, tous les moments passés avec Éva défilèrent dans mon cerveau tourmenté. Avais-je raté les indices de sa tromperie ? Un rire âpre m’échappa. L’oscar du meilleur rôle de l’amant débile décerné à Augustin Augun. Celui du mari cocu, à Hans Gëring. Comment ce sale frimeur pouvait-il accepter cette situation ? Il savait qu’Éva et moi entretenions une relation, aucun doute là-dessus. Formaient-ils un couple libertin ? Si oui, j’aurais apprécié qu’ils m’en informent. Des dizaines de scénarios à faire pleurer dans les chaumières m’assaillirent. Éva m’annoncerait-elle qu’elle n'éprouvait rien pour moi ? Qu’elle ignorait lequel d’entre nous choisir ? Ou pire… Qu’elle me quittait ? Je ne m’y étais jamais préparé. Cette pensée m’arracha une nouvelle vague de larmes. Je ne voulais pas vivre sans elle.
Le rugissement d'un klaxon me fit sursauter. Je donnai un violent coup de guidon et évitai de justesse la collision avec le parechoc d’un monstre d’acier. Le vélo cahota avant de m’éjecter dans un champ de blé.
Le conducteur du camion claqua la portière et se précipita vers moi.
— Augustin ! Qu’est-ce que tu foutais à bayer aux corneilles au milieu de la route ?
Sur l’ensemble des habitants de l’Aube, pourquoi fallait-il que je tombe sur Claude à cet instant précis ? Encore un évènement dont j’entendrais parler longtemps. Ras le bol d’être le dindon de la farce ! J’arrachai les épis plantés sur mes chaussettes, dans mes cheveux, époussetai mes vêtements.
— Désolé, Claude. Je me promenais.
— Aucun rapport avec Éva que j’ai vu bifurquer vers le lac, je suppose ?
— Je… Je lui ai proposé une partie de pêche.
Il ricana et remonta dans son véhicule.
— Mais oui, bien sûr. Allez, c’est bon, je ne te retiens pas plus longtemps. J’ai promis à Colette de ne pas rentrer trop tard. J’espère que vous avez de quoi vous couvrir. La météo se gâte.
Il passa sa tête par la vitre sous les grondements du moteur.
— Au fait, Augustin. La prochaine fois que tu iras pêcher, n’oublie pas de prendre une canne !
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