Chapitre 17 In vino veritas

14 minutes de lecture

Troyes, 30 juillet 2019, 1 h du matin.

 Comme s’il s’apprêtait à voir la foudre s’abattre sur lui, Jin releva la tête et jeta un coup d’œil circonspect à ses interlocutrices.

 — Et la suite ? s’écria sa fiancée.

 — Le texte s’arrête là…

 Les deux sœurs sautèrent du lit.

 — Ah non, pas encore ! s’offusquèrent-elles d’une même voix.

 Audrey lui arracha le carnet des mains.

 — Ras-le-bol de ce bouquin de malheur !

 D’un geste rageur, elle essaya de le déchirer, mais une étincelle bleutée l’obligea à le lâcher.

 — Qu’est-ce que tu fais ? s’exclama Lisa. Tu es complètement folle !

 — Ce truc vient de m’envoyer une décharge !

 Audrey se laissa retomber sur le plaid gris perle. Après deux rebonds sur le matelas, elle poussa un long soupir.

 — Je n’en reviens pas. Éva a abandonné notre pauvre petit frère.

 Son aînée s’assit à côté d’elle.

 — Essaie de te mettre à sa place. Elle l’a fait pour le protéger, par amour. Je trouve son sacrifice admirable.

 De peur qu’il lui explose au visage, Jin tapota l’ouvrage du bout des doigts. Rien ne se produisit. Rassuré, il le ramassa avant de le poser sur la table de chevet.

 — En tout cas, jamais je n’aurais pensé que votre arrière-grand-père avait été si détestable dans sa jeunesse, confia-t-il. Son comportement dépasse l’entendement. Il a menacé Éva, frappé Augustin. L’alcool n’excuse pas tout.

 Sa belle-sœur tendit le bras et attrapa un oreiller qu’elle serra contre sa poitrine.

 — Papy me déçoit beaucoup. À cause de lui, le frangin a failli mourir.

 — Nous l’avons trop idéalisé, rétorqua Lisa. S’il poursuit ses efforts, nous devrions lui laisser une chance. J’ai l’impression qu’il regrette ses actes.

 Son fiancé bâilla, se massa les paupières.

 — Il est une heure du matin, allons nous coucher, ma Lili. De toute façon, nous sommes condamnés à attendre la suite de l’histoire. Demain, vous retournerez aux archives pour essayer d’en découvrir davantage sur Augustin, Justin et ce salaud de Philippe Bodmann…

 Des chuchotements sur le palier l’interrompirent. À pas feutrés, James et Evelyn passèrent devant la porte entrouverte de la chambre.

 Audrey se tordit le cou pour les apercevoir.

 — D’où sortent-ils, tous les deux ? s’étonna-t-elle. Il n’y a que la salle de bain de ce côté du gîte.

 Jin réprima un éclat de rire.

 — Je crois que votre majordome et la secrétaire d’Adikia vous cachent des choses. À mon avis, ils se sont bien amusés sous la douche.

*

* *

 James quitta le logement aux aurores pour une promenade solitaire dans les ruelles de la ville, avec l’accord de ses patronnes.

 Le petit-déjeuner englouti, l’escadron des quatre investigateurs, armé d’une motivation à toute épreuve, se rendit aux archives de Troyes dès l’ouverture. Ils s’installèrent à la même place que la veille et reprirent leur besogne. Les documents épluchés s’empilèrent sur la table, les plaintes d’Audrey s’enchaînèrent, le moral des troupes dégringola en l’absence de découverte. La journée s’écoula moins vite qu’un sablier. Après des heures de recherches infructueuses, ils dégotèrent enfin une information intéressante.

Troyes, le 1er août 1942

À Monsieur le Préfet de l’Aube

Objet : Demande de coopération avec la gendarmerie française.

    À la suite de la disparition de deux de mes hommes, le 28 juillet, j’aimerais disposer de l’entière collaboration de la gendarmerie de Troyes pour nous aider à les retrouver.

Signé : P. Bodmann

S.S. Untersturmführer

 Quand le groupe de choc rentra au gîte, la météo s’accordait avec l’humeur d’Evelyn : massacrante. Les trombes d’eau déversées par le ciel grisâtre rafraîchissaient considérablement la température ambiante. Sur l’un des fauteuils paillés du salon aux poutres apparentes, James martelait le clavier de son ordinateur portable sans se préoccuper de son amante, qui jurait comme un charretier. Jin, vaincu par les crises de larmes de sa fille, l’abandonna à sa mère avant de s’échouer dans le canapé.

 La musique métal d’un téléphone fit sursauter tout le monde. Mein Teil de Rammstein beugla un long moment avant qu’Evelyn cesse de grogner et se décide à décrocher. Sous le regard appuyé de son conjoint, elle s’éloigna dans le couloir en traînant des pieds.

 — Votre secrétaire n’est pas commode, souligna Claire.

 Lisa éclata de rire.

 — Ne vous inquiétez pas. Elle aboie beaucoup, mais ne mord pas. C’est l’une de mes meilleures et plus anciennes salariées. Je ne m’en séparerais pour rien au monde.

Troyes, 31 juillet 2019

 Le lendemain matin, Jin fut réveillé à l’aube par la voix ensommeillée de sa conjointe.

 — Allô ? Lisa Augun, société Adikia. Que puis-je faire pour vous ?

 Elle balaya la mèche de cheveux châtain qui lui barrait le visage.

 — Comment ça, une attaque informatique ? Il y a combien de temps ?

 Ses traits se renfrognèrent à mesure de l’échange. Son intonation, d’habitude modulée, grimpa dans les aigus.

 — Et vous ne me prévenez que maintenant ? Il faut réagir avant que les actionnaires ne soient mis au courant ! Organisez une réunion de crise dès l’ouverture des bureaux, j’y assisterai par visioconférence. Je rentre le plus tôt possible. En attendant, vérifiez qu’aucune donnée sensible n’a fuité.

 La trentenaire raccrocha. Après plusieurs appels, elle se massa les tempes, récupéra un paquet de lingettes dans sa valise pour nettoyer les meubles de la chambre.

 — Qu’est-ce que tu fais, ma Lili ?

 — J’ai besoin de me calmer. Hier soir, nos serveurs ont été visités par un hacker[1]. Ce qui m’ennuie, c’est que l’avion de la compagnie ne pourra être affrété que cette nuit, à cinq heures du matin, et qu’il n’y a aucun vol disponible aujourd’hui.

 Son fiancé se leva et la serra dans ses bras.

 — Détends-toi, ma Lili. Tes employés sauront gérer la situation jusqu’à ton retour. Demande à ton administrateur système de me donner un accès privilège, je vais mener ma petite enquête. La sécurité informatique, c’est mon boulot.

 — Ça ne te dérange pas ?

 — Si c’est pour te rendre service, je le ferai avec plaisir. Ton équipe va avoir du pain sur la planche. À mon avis, tes responsables seront contents de recevoir de l'aide supplémentaire. Surtout qu'ils me connaissent bien, j'ai déjà bossé avec eux.

 Lisa lui déposa un baiser sur la joue.

 — Merci, Jin, tu es un amour. Je vais rester au gîte pour m’occuper de Sarah, dans ce cas. Audrey se débrouillera sans moi. J’en profiterai pour préparer notre départ et passer des coups de fil.

Trois heures plus tard, archives départementales de l’Aube, Troyes

 Alors qu’Audrey et Richard feuilletaient les derniers cartons d’archives de l’année 1944, Claire usa de son statut d’historienne pour consulter celles à accès restreint, contenant les lettres de dénonciateurs et collaborateurs. Avec de la chance, peut-être y dénicherait-elle de nouveaux éléments.

 — Pourquoi n’a-t-on pas le droit de vous accompagner ? bougonna Audrey.

 — Imaginez les répercussions si tout le monde était autorisé à lire ces documents. La vérité sur leurs aïeuls pourrait anéantir certaines personnes. D’autres essaieraient de se venger, de faire chanter, d’intimider ou de harceler les descendants et familles des délateurs.

 La jeune Française s’absenta plusieurs heures dans une zone du bâtiment interdite au public. En fin de journée, elle rejoignit ses deux camarades, découragés par leur manque de résultat.

 — Selon les noms que vous m’avez indiqués, je n’ai trouvé qu’une seule lettre susceptible de vous intéresser, annonça-t-elle. Malheureusement, je n’ai pas le droit d’en faire de copie.

 Le visage d’Audrey s’illumina.

 — Qu’avez-vous découvert ?

 — Eh bien, Monsieur Bodmann a recruté un certain F. Grenès pour enquêter sur Augustin Augun, qui aurait tenu d’étranges propos lors d’un séjour à l’hôpital, en août 1942.


 Le trio récupéra ses affaires, reprit la route et se gara dans la cour du gîte aux alentours de dix-sept-heures trente. Pendant que le majordome et son amante se disputaient sur le programme TV, devant la cheminée éteinte du salon, Richard et Claire partirent acheter à manger. Jin rejoignit la petite Sarah, Lisa et Audrey qui discutaient dans la cuisine, à l’abri des oreilles indiscrètes. Exténué par sa journée de traque au pirate informatique, il posa son ordinateur sur un plan de travail en chêne massif.

 — Alors, du nouveau à propos du hacker ? questionna sa fiancée.

 — Pas pour l’instant. Je m’y remettrai tout à l’heure. Et concernant les archives, vous avez obtenu des informations ?

 Son amoureuse s’adossa au frigo.

 — Selon Audrey, elles ne sont pas rassurantes. Les hommes recherchés par Bodmann ont disparu le 28 juillet, date à laquelle Augustin et ses compagnons ont tué Bebop et Bulldog Man. Je suis persuadée qu’il s’agit des mêmes personnes. Ils devaient obéir à Philippe pour le compte de Gering, beau-père d’Éva. Si Bodmann découvre que papy était dans le coup, cette histoire va dégénérer.

 — Techniquement, c’est déjà passé, ma Lili…

 — Pas pour moi ! s’exclama-t-elle. Avec le carnet, j’ai l’impression de vivre l’aventure d’Augustin en temps réel.

 Sa sœur cadette s’assit sur l’îlot central.

 — Claire m’a informée que Philippe avait envoyé un espion à l’hôpital. Apparemment, il aurait entendu une partie des délires du frangin. Cette ordure de Bodmann a dû apprendre que papy et Augustin appartenaient à la même famille. Il doit aussi savoir qu’ils habitent chez Marie. Le pire c’est qu’il va interroger Justin et que nous ne pouvons rien y faire.

 Jin se frotta le menton.

 — Ce qui me dérange, c’est que sans la liaison entre votre frère et Éva, Gering n’aurait pas demandé à Philippe de la suivre. Bodmann n’aurait donc pas retrouvé la trace de votre arrière-grand-père puisqu’il ne serait jamais venu à l’hôtel. Si Augustin a changé le cours du temps en tombant amoureux de mademoiselle Kaltenbrün, nous serons incapables d’en mesurer les répercussions. D’ailleurs, nous les subissons peut-être déjà sans nous en rendre compte.

 Audrey fit basculer la poignée en laiton d’un placard.

 — Nous n’obtiendrons aucune réponse tant que ce maudit bouquin restera éteint, ronchonna-t-elle. À part dans les archives, je ne vois pas où chercher. L’hôtel de Marie n’existe plus et toutes les personnes de cette époque sont décédées.

 Le visage de Lisa s’éclaira.

 — Tu pourrais rendre visite aux Duval, ils habitent à Troyes !

 — Je te rappelle que Colette est morte depuis un an…

 — Sa fille est toujours vivante ! Augustin lui avait envoyé un mail. Avec de la chance, elle aura des renseignements à nous fournir.

 Jin-woo hocha la tête.

 — C’est une excellente idée, ma Lili.

 — Parfait ! approuva Audrey. J’irai demain à la première heure.

 Claire et son père revinrent une heure plus tard avec un sac de légumes, des pommes de terre et des andouillettes de Troyes, achetées chez le traiteur. Tandis que Jin et Lisa couchaient la petite Sarah, James, imperturbable, prépara une sauce chaource sans se formaliser des remontrances d’Evelyn qui ne cessait de critiquer sa façon de cuisiner. Au moment où cette dernière s’apprêtait à plonger une cuillère dans le plat, son amant lui donna un coup de torchon.

 — N’y touche pas ! De toute façon, tu as dit que l’odeur te dégoûtait.

 — Je voulais m’assurer que c’était aussi infect que ça en avait l’air, grogna-t-elle. Si je meurs empoisonnée, mon fantôme te pourrira jusqu’à la fin de tes jours.

 — C’est déjà ce que tu fais de ton vivant.

 L’élégant sexagénaire enfila deux maniques à fleurs, se saisit de l’imposante cocotte en fonte d’où s’échappait un intense fumet musqué. Dans le séjour, tout le monde l’attendait autour d’une immense table de monastère. Jin, concentré sur son ordinateur, leva à peine le nez de son écran.

 Durant le repas, Claire et Audrey, assises l’une à côté de l’autre, discutèrent un long moment. Richard et Lisa échangèrent sur la gestion de leur entreprise pendant qu’Evelyn tentait de convaincre son amoureux d’enlever son foulard et sa veste de costume.

 — Cette sauce est délicieuse, s’enthousiasma le détective. Mes félicitations au chef.

 — Merci, Monsieur. C’est une spécialité troyenne.

  L’imposant butler se redressa, attrapa le pichet de vin avant d’en verser dans le verre de sa meilleure ennemie. Entre plusieurs tintements de couverts et éclats de rire, Jin poussa une exclamation victorieuse, son casque brandi en signe de triomphe.

 — Je le tiens !

 Toutes les discussions s’évanouirent. James, impassible, continua son service impeccable.

 — Ah, je dois reconnaître qu’il m’a donné du mal ! Je n’aurais dû trouver que son adresse IP, mais ce sale geek a laissé une signature. Il nous nargue, j’en suis sûr ! Son pseudo, c’est JDdu10 ! Je vais bientôt…

 Richard bondit de sa chaise en bousculant le majordome au passage. Ce dernier profita de l’occasion pour lâcher la carafe, dont le contenu se déversa sur le clavier. Dans un crépitement d’étincelles, l’écran d’ordinateur devint noir.

 — Non ! beugla Jin-woo. J’y étais presque !

 — Veuillez m’excuser pour ma maladresse, Monsieur, lança James d’un ton monotone.

 Evelyn jeta un regard soupçonneux à son amant. Alors qu’il attrapait un rouleau d’essuie-tout pour nettoyer son méfait, le détective à l’œil de faucon posa une main sur son épaule.

 — Vous n’y êtes pour rien, James. C’est ma faute, je vous ai poussé en me levant.

 Au bord des larmes, Jin se rassit et tenta d’éponger le vin avec sa serviette de table. Richard se racla la gorge :

 — Vous avez dit JDdu10, à l’instant ?

 — Oui… marmonna le père de famille d’une voix éteinte.

 — C’est le connard qui m’a piraté ! Mes informaticiens ont trouvé son pseudo après des semaines de recherches. Si je le chope, je lui ferai la tête au carré. Des mois de boulot foutus en l’air à cause de lui. C’est pour cette raison que j’avais mis tant de temps à vous répondre, Mesdemoiselles Augun. Il y a quelques jours, j’ai subi une nouvelle attaque.

 — Encore ? intervint James. À mon avis, c’est un client mécontent qui se venge de vous.

 — Vous n’êtes pas très perspicace, mon cher Watson, ricana Richard. Si c’était le cas, pourquoi s’en prendrait-il à l’entreprise Adikia ? Et puis, il y a un élément que vous ignorez.

 Il se tourna vers Audrey et Lisa.

 — Lors de sa dernière intrusion sur mes serveurs, ce salopard a détruit plusieurs données, dont les clichés de la cathédrale. J’ai appelé Monsieur Marlot pour lui demander de me les renvoyer. Comme par hasard, le message du pignon a été effacé ainsi que toutes les photos en sa possession.

 Claire pianota sur son téléphone à toute vitesse.

 — Papa… les miennes aussi ont disparu ! Elles ne sont pas non plus sur le Cloud[1].

 Le détective examina les deux sœurs avec attention.

 — Quelqu’un cherche à se débarrasser des preuves, souligna-t-il. La question que je me pose, c’est pourquoi se donner autant de mal pour un simple canular ?

 Audrey, qui rongeait l’ongle de son pouce, baissa la tête.

 — Euh… je dois vous avouer quelque chose. Ce JDdu10, je le connais.

 Les regards se braquèrent sur elle, sauf celui du majordome. Sous les œillades suspicieuses de sa conjointe, ce dernier disparut dans la cuisine avec les feuilles d’essuie-tout maculées.

 — Il m’a envoyé plusieurs notifications sur les réseaux sociaux, ajouta-t-elle, les oreilles écarlates. Il a échangé avec Augustin durant des semaines sur son blog. D’ailleurs, le frangin pensait que cet internaute lui donnait des indices au sujet de son voyage dans le temps…

 Evelyn fronça les sourcils, les pupilles de Claire s’écarquillèrent.

 — Audrey ! rugirent Jin et Lisa.

 Horrifiée par sa bévue, l’intéressée plaqua une main sur sa bouche.

 — Euh… c’est… c’est une façon de parler, vous comprenez ! À force de fouiner avec mon frère dans le passé de papy, j’avais l’impression de voyager dans le temps, ah ah ah.

 Sa sœur aînée éclata d’un rire forcé et suraigu.

 — Tu as beaucoup trop d’imagination, Audrey !

 Richard ne répondit rien. Face à la réaction des Américains, la conclusion la plus invraisemblable de toute sa carrière s’imposa à lui. Comme le disait Sir Arthur Conan Doyle, lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité.

Berlin, Kursana Domizil — Haus Landsberger Tor, 31 juillet 2019

 Fatigué par sa longue journée, le soleil en déclin étira ses rayons ambrés dans le ciel nuageux. L’un d’eux se faufila entre les voilages en dentelle d’une résidence. Au fond de la pièce, la voix posée de la présentatrice de Tagesschau[2] s’élevait du téléviseur mural, au-dessus d’un buffet où trônait la photo d’une femme au teint hâlé.

 Un vieil homme appuya ses mains tremblantes sur les poignées d’un déambulateur. Ses chaussons noirs, assortis à son pyjama, frottèrent le lino quand il contourna une table d’appoint, agrémentée d’un napperon brodé. Dans un gémissement de douleur, il se laissa tomber sur son fauteuil.

 Trois coups résonnèrent contre le battant de la porte.

 — Entrez, c’est ouvert, marmonna-t-il d’une voix chevrotante.

 Un quinquagénaire à la coupe militaire apparut sur le seuil. Les effluves rances du salon lui firent plisser le nez.

 — Bonsoir, Monsieur Günther Bodmann, salua le nouvel arrivant. On m’a mandaté pour vous rendre visite.

 Le senior lâcha un soupir méprisant.

 — Ben merde alors ! Ce s’rait bien la première fois ! Dites-moi c’que vous m’voulez ou dégagez !

 L’homme aux cheveux rasés gratta son biceps tatoué du visage de Popeye et pénétra dans la pièce.

 — On m’a demandé de venir récupérer la boîte de votre père, informa-t-il.

 — Bah voyons ! Vous v’nez d’la part de c’t’espèce de sale gosse, hein ? Quarante ans depuis sa fuite de la RDA[3]. Et nous, ses pauv’s parents, sommes restés comme des cons aux mains des bolcheviks. Ma femme en a pleuré pendant des mois. Hors de question d’aider c’t’égoïste, jamais j’lui filerai les documents !

 — La personne qui m’a engagée se doutait que vous n’accepteriez pas.

 Le quinquagénaire tendit une enveloppe au vieil homme.

 — Voilà cinq mille euros en cash et une lettre pour vous, ajouta-t-il.

 — Donnez-moi mes binocles ! Elles sont posées sur la table.

 Ses lunettes sur le nez, Bodmann déplia la feuille.

Bonjour, papa. J’espère que tu vas bien.

Oublions nos différends pour cette fois. J’ai besoin de récupérer les affaires de grand-père de toute urgence. Crois-moi, c’est très important pour notre famille.

 — Pff ! Un ramassis de conneries, maugréa l’aîné. À quoi bon remuer la merde du passé ? Mon paternel n’était qu’une ordure d'adjudant S.S. Un sale nazi. Quand j'étais gosse, j'm'en suis pris plein la gueule à cause de c'qu'il avait fait.

 Il chiffonna la lettre et la balança à l’autre bout de la pièce.

 — Bah, après tout, c’est pas mon problème ! R’gardez dans l’premier tiroir du buffet, y a une boîte en métal. Vous direz à l'autre sale gosse qu’un d’mes clebs a bouffé les pages du carnet. J’ai dû tout r’taper à la machine avant d’jeter l’original à la benne. Prenez les copies, la chevalière de mon géniteur et déguerpissez !

[1] Cloud : pratique consistant à utiliser des serveurs informatiques à distance, hébergés dans des centres de données connectés à Internet pour stocker, gérer et traiter des données. (sources Wikipédia)

[2] Tagesschau : journal télévisé allemand de la première chaîne publique « Das Erste »

[3] RDA : République démocratique allemande. La RDA était un état communiste européen, créé le 7 octobre 1949 par le Parti socialiste unifié d’Allemagne, allié de l’URSS. Ici, référence au mur de Berlin.

Annotations

Vous aimez lire ThomasRollinni ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0