XXIV. La boulangerie

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Dans l’allée de la paix intérieure, au fin fond de l’univers, à droite après le panneau-stop, se trouve une boulangerie.

Le chef y prépare toujours ses meilleures pâtisseries et tout le monde se plait à entrer dans la boutique.

Ding Dong.

Une jeune femme aux traits tirés entre dans la boulangerie.

Ses vêtements sont trempés de larmes et elle a terriblement froid.

Elle regarde le boulanger et d’une voix timide lui demande :

« Qu’est-ce que vous pouvez faire pour m’aider ? »

Le boulanger la regarde attentivement puis se dirige vers l’arrière de la boutique.

Le temps est incroyablement long. Il lui prend la couverture la plus réconfortante qu’il a en stock tandis que des pleurs résonnent dans la boutique.

Il revient, se place derrière elle, l’installe sur un fauteuil et d’un geste paternel l’enveloppe du textile.

Il claque les portes coulissantes des vitrines, s’empare de sa pince, dépose délicatement la pâtisserie sur une serviette.

Il la contemple et se décide à lui donner la pâtisserie tant attendue.

« Tenez...

— Qu’est-ce que c’est ? »

— Une de vos pâtisseries préférées. Je sais à quel point vous adorez les croissants aux amandes.

— Mais enfin… je suis venu ici pour avoir des réponses.

— Mangez vite parce qu’après la vérité sera beaucoup trop dure à avaler. »

Elle croque mollement ses dents dans le croissant et sent une matière visqueuse remuer dans sa bouche. Elle la retire comme si c’était un cheveu coincé sur sa langue.

Un mot écrit, non pas un proverbe chinois, mais une vérité manuscrite entremêlée d'un ensemble de messages de ses anciens coups de coeur de l’époque :

« Tu as constamment l’impression d’être le phare qui guide les hommes, mais de ne jamais être la destination. La vérité c’est que parfois les gens ne sont tout simplement pas prêts à être en relation avec la personne, c’est comme ça. Ils se mettent avec d’autres personnes, des fois c’est un bon choix, d’autres fois ils regrettent et reviennent.

Ce n’est pas de ta faute si les gens partent malgré toute l’attention que tu leur donnes.

Accepte simplement que chacun a ses propres démons à combattre. »

S’ensuit la longue liste de messages imprimés de ses réseaux sociaux.

Des « Je suis vraiment désolé de t’avoir blessée, pourquoi ne m’en avoir jamais dit un mot ? » et d’autres « Je suis vraiment désolé, je n’étais pas prêt à l’époque. » « Je suis là pour toi même si ça s’est terminé entre nous » « Tu mérites vraiment d’être heureuse ».

Elle lit attentivement et ne dit rien.

Son coeur est apaisé, ses larmes ont séché.

Elle se relève. Le boulanger l’enlace, lui répète encore quelques paroles réconfortantes.

Le nez enfoui dans la couverture brûlante qui lui sert de cocon, le menton posé sur l’épaule du boulanger, elle est bercée par les citations qu’il lui chante au creux de l’oreille pour qu’elle puisse enfin s’endormir.

« Hell is empty and all the devils are here.

— Ah ça, je connais c’est du William Shakespeare.

— Oui.. You need chaos in your soul to give birth to a dancing star.

— Nietzsche, dit-elle tout en bâillant.

What matters most is how well you walk trough the fire.

— Charles Bukowski.

Détruis-toi pour te connaître. Construis-toi pour te surprendre. L’important n’est pas d’être, mais de devenir.

— Kafka.

L’amour est une rose. Chaque pétale est une illusion. Chaque épine une réalité.

— Baudelaire...

La vérité, c’est qu’il y a une quantité incroyable de gouttes qui ne font pas déborder le vase.

— Romain Garry…

Sur ces derniers mots, un sommeil lourd s’empare d’elle immédiatement.

La boulangerie de l’univers a disparu.

Sans risquer de la réveiller, il la porte doucement sur son dos et marche du côté de Mars et Vénus avant d’atterrir sur la Terre.

En un éclair, il est déjà dans sa chambre. Il la dépose délicatement sur son lit.

Lentement, il commence à faire le chemin inverse. Il retourne du côté de Mars et Vénus, va jusqu’au fin fond de l’univers, marche le long de l’allée de la paix intérieure, tourne les talons au panneau-Stop et ouvre à nouveau la boutique.

Des hommes aux habits trempés de larmes et tremblotants de froids l’attendent en file indienne.

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