SCÈNE 2 — LE CLOCHARD, M. PETIT, MME ROBERT, M. RICHARD.

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Dans la rue.

M. PETIT — Vous avez vu ? Ils ont changé le clochard.

MME ROBERT — Oh oui ! Celui-là est beaucoup plus propre, il s’insère mieux dans le paysage urbain. Et il a un côté très pittoresque.

M. RICHARD — M. Durand fait vraiment des miracles pour notre ville. On devrait voter pour lui !

M. PETIT — Ah non, je préfère nettement M. Dubois.

MME ROBERT — Mais vous n’êtes pas sérieux ! C’est à cause de son programme social, éducatif, économique, politique, diplomatique, astronautique, pataphysique ?

M. PETIT — Non. Je préférais l’ancien clochard.

MME ROBERT — Celui-ci est bien mieux ! Je suis sûr qu’il a l’accent portugais.

M. PETIT — Je préfère l’accent turc ! C’est plus exotique.

M. RICHARD — Il a tout, celui-là ! L’accent roumain, l’accent serbe, l’accent rom, l’accent arabe, et même l’accent monégasque. C’est un multifonctions.

M. PETIT — J’aimerais voir ça.

MME ROBERT — Pourquoi ne nous demande-t-il rien ?

M. PETIT — Mais c’est qu’il dort, ma parole ! Et nous, nous le payons ! Avec nos impôts !…

M. RICHARD — N’exagérons rien, le Ministère de la Mendicité a fermé la semaine dernière pour cause de faillite.

M. PETIT — Pas question de donner mon argent à quelqu’un qui ne sait pas me le voler sérieusement.

MME ROBERT — Allons, un peu de charité…

M. PETIT — La charité est une taxe sur les valeurs chrétiennes.

MME ROBERT — Allons, monsieur, réveillez-vous ! Vous ne faites pas honneur à votre profession !

M. PETIT — Nous sommes là pour payer un profiteur, pas un assisté !

Le clochard baragouine un sabir incompréhensible.

MME ROBERT — Qu’est-ce que c’est que cet accent ? Ce n’est pas l’accent portugais.

M. PETIT — Ni celui turc.

M. RICHARD — Ni celui roumain, ni celui serbe, ni celui rom, ni celui arabe.

TOUS, sauf le clochard — Ni même celui monégasque !

MME ROBERT — Faites un effort pour vous insérer dans la société. Quand on est en France, on maltraite le français !

M. PETIT — C’est bon, j’ai compris de quoi il s’agit. Je vous parie que derrière sa veste crasseuse se cache un pull bleu !

MME ROBERT — Allons, M. Petit. Les gens ont bien le droit de s’habiller comme ils veulent.

M. PETIT — Eh bien moi je ne tolère toujours pas que les gens puissent avoir des pulls bleus ! Ça ne s’insère pas dans le paysage, c’est une insulte à l’identité française ! Ces gens sont agressifs, il suffit de voir leurs manifestations…

MME ROBERT — Il y en a quand même quelques-uns…

M. PETIT — Tous, Mme Robert ! Tous !

M. RICHARD — J’ai un très bon employé qui possède un pull bleu.

M. PETIT — Alors non seulement ils profitent de la société, mais en plus ils viennent y contribuer à notre place !

M. RICHARD — On n’est plus chez soi.

M. PETIT — Et ils nous volent notre pain !

MME ROBERT — Ils donnent quand même de l’argent en échange.

M. PETIT — Mais il faudrait qu’ils payent bien plus, puisqu’ils ont des pulls bleus !

MME ROBERT — Allons, vous n’êtes quand même pas habiste.

M. RICHARD — Il faut dire les choses comme elles sont, Mme Robert. Ces gens-là restent sans cesse entre eux, alors forcément quand il y en a un qui vient vers nous, on se méfie toujours…

M. PETIT — Et on a bien raison !

M. RICHARD — Ces gens-là vivent reclus en communautés !

M. PETIT — Ils n’ont aucune de nos valeurs françaises !

MME ROBERT — Un jour… Un jour…

M. RICHARD ET M. PETIT — Quoi ?

MME ROBERT — Un jour, je crois qu’il y en a un qui n’a même pas voulu me dire bonjour.

M. PETIT — Vous voyez ?! Ces gens sont inciviques ! Obséquieux ! Efféminés ! Guerriers ! Des terroristes du pacifisme.

MME ROBERT ET M. RICHARD — Oui !

M. PETIT — Et au moins, avec Bubuk, on pourrait chasser toute cette vermine !

MME ROBERT ET M. RICHARD — Oui !

M. PETIT — Obliger tout le monde à porter des pulls verts ! Ou des pulls roses ! À se fondre dans la diversité républicaine !

MME ROBERT ET M. RICHARD — Oui !

M. PETIT — Mais il ne faut pas voter Bubuk.

MME ROBERT — Non.

M. RICHARD — Il ne faut surtout pas voter Bubuk.

MME ROBERT — Franchement, vous l’avez vu, sur les plateaux télés ? Il est fou !

M. RICHARD — Je me demande qui irait voter pour lui.

M. PETIT — Bon, tout ça ne répond pas à notre question : est-ce que ce clochard est un pull bleu ?

M. RICHARD — On n’a qu’à vérifier.

M. PETIT — Excusez-moi, mon brave, ça ne vous fait rien qu’on vous enlève votre veste ? Allons, ne gigotez pas comme ça… Voilà, c’est presque fini.

M. RICHARD — Bah ça ! Il n’y a rien en-dessous.

M. PETIT — C’est qu’il n’a pas osé le porter !

M. RICHARD — On se moque du monde.

M. PETIT — Ça mérite une sanction.

M. Petit prend son argent. Le clochard baragouine à nouveau quelque chose. M. Petit l’assomme.

M. RICHARD — Et le revoilà à dormir… De mon temps, on savait mendier comme il faut !

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