SCÈNE 3 — LE PRÉSENTATEUR, M. DURAND, M. DUBOIS, BUBUK, puis des POM-POM GIRLS.

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Sur le plateau télé.

LE PRÉSENTATEUR — Bonsoir, messieurs. Ce soir a lieu le grand débat de notre présidentielle. Devant moi, vous avez, en allant de gauche à droite : M. Durand, de l’Union Marxiste Libertarienne ; M. Dubois, du Parti Anarcho-Royaliste ; et enfin, l’humoriste Bubuk, sans étiquette. Nous allons commencer les hostilités, tout en vous rappelant au préalable…

TOUS, sauf Bubuk — … QU’IL NE FAUT SURTOUT PAS VOTER BUBUK !

LE PRÉSENTATEUR — Le premier sujet de ce soir sera la délocalisation des Pôles emploi…

M. DUBOIS — Oui, excellent sujet, la délocalisation des Pôles emploi. Je n’en peux plus, M. Durand, de voir chaque matin dans mon journal : On délocalise encore un Pôle emploi ! On va le mettre en Chine, en Pologne ou en Hongrie ! Pour s’y rendre, les français sont obligés de se taper des milliers de kilomètres par jour, est-ce que vous pensez à ce que ça leur coûte, en frais d’essence ?

M. DURAND — Mais M. Durand, il n’y a plus le choix, le sol est trop cher en France ! Et puis ça force les gens au covoiturage, c’est une mesure écologique !

M. DUBOIS — Et moi, je ne suis pas d’accord ! La France possède une excellence et un savoir-faire ancestral pour ce qui est du chômage, elle doit conserver sa souveraineté nationale sur les Pôles emploi !

M. DURAND — Mais vous êtes un fossile, M. Dubois. Vous n’avez toujours pas compris que nous avions changé d’ère ! Tout ça, ça n’existe plus, c’est la France de vos grands-parents. Il est temps de faire profiter les gens des opportunités de l’Union européenne, qui…

M. DUBOIS — La Chine ne fait pas partie de l’Union européenne !

M. DURAND — Eh bien votez pour moi et elle en fera partie.

M. DUBOIS — Est-ce que vous êtes conscient de ce que vous dites, M. Dubois ?! Est-ce que vous êtes conscient de ce que vous dites en ce moment même à des millions de français ? Est-ce que vous pensez à la pauvre Mme Michu, qui est déjà obligée d’aller au Danemark pour trouver un entretien d’embauche, ou en Belgique pour tomber sur un intérim ?

M. DURAND — Elle pourra toujours mendier ! Je prendrai des mesures pour rendre les trottoirs plus confortables.

LE PRÉSENTATEUR — Bon, bon, bon, bon. Je conçois que c’est un sujet un petit peu tendu… Et si nous parlions plutôt du féminisme ? Un sujet qui devrait vous plaire, M. Dubois.

M. DUBOIS — Oui, et justement je suis choqué par le nombre d’agressions sexuelles qui ont lieu dans les métros de Paris. C’est très mauvais pour la publicité de la ville. Il faudrait que ces agressions baissent, ou au moins qu’il y en ait autant dans toutes les autres villes !

M. DURAND — La ville de Saint-Étienne n’a pas de métro.

M. DUBOIS — Nous n’avons qu’à en construire un, pour qu’il y ait des agressions.

M. DURAND — Eh bien je ne suis pas d’accord avec votre vision du monde, M. Dubois, car j’estime que vous ne prenez pas en compte toutes sortes de facteurs. Tout d’abord, la démographie de la ville. Ensuite, la nature des agressions sexuelles. Il y en a qui sont plus graves que d’autres. Ensuite, la nature des agresseurs, qui sont à 90% des étrangers.

M. DUBOIS — Ou des pulls bleus !

M. DURAND — Ou des pulls bleus, vous avez parfaitement raison. Votre politique n’est donc qu’une manœuvre égalitariste destinée à masquer les vrais problèmes.

M. DUBOIS — Pas du tout, M. Durand, je crois dans l’éducation. Il suffirait que nous apprenions dans les écoles à tous les gens normaux à agresser sexuellement. Naturellement, avec le consentement de la victime.

M. DURAND — Mais comment voulez-vous y arriver ? Ça va encore nous coûter de l’argent public !

M. DUBOIS — Nous créerons de nouveaux impôts.

M. DURAND — Est-ce que vous pensez au privé, M. Dubois ? Le secteur privé est tout à fait à même de proposer du porno qui puisse éduquer les jeunes à l’agression sexuelle.

M. DUBOIS — Je comptais justement nationaliser le porno.

M. DURAND — Mais vous êtes un véritable ennemi de la liberté d’entreprise !

M. DUBOIS — Pas du tout ! Nous allons avoir un Ministère du Sexe et de la Pornographie, pensez au progrès que nous allons faire pour la République ! Chaque jour, les citoyens devront remplir un formulaire : avez-vous fait l’amour à une femme, cette nuit ? Reniflez-vous le caleçon de votre conjoint ? Avez-vous rempli votre quota de big boobs interraciaux ? Les données seront confidentielles, bien entendu.

M. DURAND — Mais pourquoi ne pas justement les revendre aux entreprises ? Cela ne pourrait qu’optimiser la satisfaction des désirs de la clientèle !

M. DUBOIS — Ces données, M. Dubois, seront bien mieux protégées par l’État. Pensez à l’utilité pour l’antiterrorisme ! Vous pensez, à tous les djihadistes qui n’oseront pas passer à l’acte, car s’ils savent qu’ils sont identifiés tout le monde connaîtra leur fétichisme pour les jeunes blondes en salopette ?

M. DURAND — Tout le monde aime les jeunes blondes en salopette !

M. DUBOIS — J’avoue, c’est un mauvais exemple.

LE PRÉSENTATEUR — Si jamais une pluie d’astéroïdes de 15 centimètres cube et à l’albédo géométrique visuel de 0,47 venait à s’abattre sur Londres, provoquant ainsi un panache de gaz toxique rendant l’air irrespirable pour toute l’Angleterre, et que des réfugiés venaient se disperser à travers toute l’Europe, ayant vu tous leurs proches mourir et leurs maisons se faire brûler tandis que des micro-États autoritaristes s’érigeraient un peu partout en Grande-Bretagne pour s’accaparer ses dernières ressources, les accueilleriez-vous ?

M. DURAND — Allons ! Ce que vous dites est parfaitement ridicule ! Aucun astéroïde de ce type n’est actuellement en direction de Londres !

M. DUBOIS — Seulement des astéroïdes de 16 centimètres cube et à l’albédo géométrique visuel de 0,45.

LE PRÉSENTATEUR — Et maintenant, la question qui brûle les lèvres à tous ceux qui nous écoutent… Que pensez-vous de la montée des populismes ?

M. DURAND — La montée des populismes ?

M. DUBOIS — La montée des populismes !

M. DURAND — C’est une menace et un fléau pour notre République !

M. DUBOIS — C’est ce qui est en train de détruire la France !

M. DURAND — Ça gangrène nos universités !

M. DUBOIS — Ils devraient se dire qu’ils ont de la chance, d’être en démocratie !

M. DURAND — Nos ancêtres se sont battus pour ça !

M. DUBOIS — Et ils en sont morts !

M. DURAND — La cervelle éclatée !

M. DUBOIS — Au fond du caniveau !

M. DURAND — Il faudrait interdire le droit de vote à ces gens-là !

M. DUBOIS — Leur interdire d’aller sur Internet !

M. DURAND — Et rétablir la peine de mort !

M. DUBOIS — Histoire d’en finir une bonne fois pour toutes avec le fascisme.

M. DURAND — Et promouvoir ainsi la liberté d’opinion.

M. DUBOIS — J’espère que vous pensez la même chose que nous, Bubuk ?

BUBUK, très calme — Bah écoutez, m’sieur Dubois, moi, c’que j’constate, c’est qu’vous arrêtez pas d’causer d’puis d’taleur, mais vous vous en torchez complètement des vraies questions que veulent les français. Nous, on en a marre de la politique sérieuse, on est des français, on veut rigoler et parler zizi. (Musique triomphale. Voix off dans un mégaphone : « Et maintenant voici… Le Bubuk shooow ! » Deux pom-pom girls font leur entrée et font une chorégraphie dans une pluie de paillettes.) M. Durand, quelle est votre couleur préférée ?

M. DURAND — Le jaune !

BUBUK — Et non, c’était le vert !

M. DURAND — Oh, j’y étais presque !

BUBUK — M. Dubois, quelle est la capitale de l’Inde ?

M. DUBOIS — Le Caire !

BUBUK — Eh non, c’était Copenhague ! Récitez-moi les décimales de pi à l’envers en remplaçant les 1 par des autruches et les 3 par des poules !

M. DURAND — Poule !

M. DUBOIS — Neuf !

LE PRÉSENTATEUR — Sept !

M. DURAND — Neuf !

M. DUBOIS — Huit !

LE PRÉSENTATEUR — Cinq !

M. DURAND — Poule !

M. DUBOIS — Cinq !

LE PRÉSENTATEUR — Six !

M. DURAND — Deux !

M. DUBOIS — Neuf !

LE PRÉSENTATEUR — Cinq !

M. DURAND — Autruche !

M. DUBOIS — Quatre !

LE PRÉSENTATEUR — Autruche !

M. DURAND — Poule !

BUBUK — Et maintenant… Qui c’est qui nous vole notre argent ?

M. DUBOIS — Les entreprises !

M. DURAND — L’État !

LE PRÉSENTATEUR — Ma belle-mère !

BUBUK — Les pulls bleus !

La musique s’arrête net.

M. DUBOIS — Oooohhh ! Mais vous ne pouvez pas dire les choses comme ça ! Il existe des nuances, les pulls azurs, les pulls indigos…

BUBUK — Bah écoutez m’sieur Durand, vous plombez l’ambiance. C’est vrai quoi, on peut plus rien dire ! Vous pensez qu’c’est pasque vous connaissez mieux l’ennemi qu’vous l’aurez plus comme ennemi, mais en fait, du coup vous vous battez plus contre l’ennemi.

M. DUBOIS — Oui, mais si l’ennemi essayait lui aussi de nous connaître ?

BUBUK — Bah alors ce serait dangereux.

M. DURAND — Pourquoi ?

BUBUK — Pasque c’est l’ennemi.

LE PRÉSENTATEUR — Alors, Bubuk, j’aimerais vous poser une question : si jamais un pull violet décolorait au lavage, et qu’il devenait un pull bleu, est-ce que la personne qui le porte deviendrait ennemie ?

BUBUK, se levant de sa chaise, soudain énervé — Mais c’est complètement débile, comme question ! Vous voulez vraiment qu’les français s’ennuient avec des sujets pareils ? Non, les français y veulent des vrais sujets, qu’on aille droit au but ! Tout ça, ça mérite les spaghettis.

M. DURAND ET M. DUBOIS — Les spaghettis ! Les spaghettis !

LE PRÉSENTATEUR — Oh non, la semaine dernière, c’était des tagliatelles ! Et la semaine d’avant, des raviolis ! (Les pom-pom girls apportent des casseroles pleines de spaghettis. M. Dubois et M. Durand montent sur la table, les renversent sur le visage du présentateur, sous l’œil hilare de Bubuk.) Nooon ! Les gars ! Siouplé ! C’est vraiment pas rigolo !

M. DURAND — Pousse-toi, duchmol ! Tu m’as fait renverser la moitié !

M. DUBOIS — Râââh, mais je rêve ! T’as versé d’la bolo sur ma ceinture Gucchi !

Ils se versent ce qui reste des casseroles sur la tête du présentateur et commencent à s’arracher leurs chemises.

M. DURAND — D’abord, c’est moi le chef ! Ma maman elle m’a toujours fait des goûters plus bons !

M. DUBOIS — Eh bah même que c’est pas vrai !

M. DURAND — C’est çui qui l’a dit qui l’est !

M. DUBOIS — Et gna gna gnâââ !

BUBUK — Bon bah c’est pas pour dire, mais c’est bientôt l’heure de la pub.

M. DURAND ET M. DUBOIS, s’immobilisant — Oh ouais, la pub !

LE PRÉSENTATEUR, tandis qu’ils se rasseyent — Voilà, messieurs-dames, c’est tout pour le débat de ce soir. Nous vous rappelons juste une dernière chose…

TOUS, sauf Bubuk, couverts de pâtes et de sauce tomate — IL NE FAUT SURTOUT PAS VOTER BUBUK !

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