SCÈNE 6 — M. MARTIN, LE TÉLÉPHONE.
Dans son studio.
M. MARTIN — Ils ont voté Bubuk ! Il ne fallait surtout pas. C’était écrit partout, tout le monde le disait. Qu’est-ce qui a bien pu se passer ? Ma fière patrie se retrouve assiégée par la barbarie ! Mais les choses ne se passeront pas comme ça, de nouveaux héros vont apparaître, et je vais me dresser !… Je crois que j’ai porté un pull bleu, il y a six ans, j’espère que personne ne l’a jamais remarqué ! Et s’ils l’apprenaient ? Si jamais ils venaient chez moi, qu’ils faisaient une perquisition, et qu’ils me torturaient ? Oh, je les sens déjà venir ! J’avouerais tout ! Je leur dirais tout de ma vie de pécheur, de mon envie de changer, de ma part dans la résistance, de l’identité de mes camarades… Mais je n’ai même pas de camarades.
Je suis tombé amoureux d’une fille, l’autre jour… Une blonde, avec une salopette. Bon, les pulls bleus sont interdits, mais les salopettes bleues, on peut toujours rêver, non ? Je l’ai croisée à la gare. Elle était jeune, très jolie, et très pâle… Elle avait de petites lèvres et un sourire enjoué… J’ai levé les yeux de mon journal… Puis elle est montée dans le train et je l’ai regardé s’en aller. Elle ne m’a pas accordé un seul regard.
Oh, mais je vais sûrement la retrouver !… M. Thomas connaît les femmes, il saura sûrement me conseiller. Il est tellement plus intelligent que moi… Voyons, comment pourraient être disposées nos assiettes… Je les mets comme ceci… Il faut vraiment que j’arrête de parler tout seul. Aïe, mon ongle incarné !
LE TÉLÉPHONE — Bip… Le docteur Bernard n’est pas disponible pour l’instant. Vous ne pouvez plus poster de messages depuis que Bubuk s’est mis à taxer les téléphones !
M. MARTIN — Une taxe… C’est ridicule…
LE TÉLÉPHONE — Il faut bien rembourser la dette. De toute façon, tout irait bien sans ces maudits pulls bleus. Essayez de souffrir en silence, monsieur !
M. MARTIN — J’ai toujours mal à mon ongle… Et ce Bubuk ne me dit toujours rien qui vaille… Bah, maintenant, ce qu’il fait, c’est du sérieux, c’est de la politique. Ils ne le laisseraient pas faire n’importe quoi ! On est dans une démocratie, tout de même.
Je vais voir si j’ai encore ce vieux service à thé. Il voudra sûrement boire du thé, même si ma bouilloire est en panne… Il faut que j’arrête de parler tout seul… Il faut vraiment que j’arrête de parler tout seul…
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