SCÈNE 9 — M. PETIT, MME ROBERT, M. RICHARD, LES CADAVRES DES RÉVOLUTIONNAIRES, puis LE CLOCHARD.
La rue est jonchée de cadavres. M. Petit, Mme Robert et M. Richard les enjambent avec dégoût.
MME ROBERT — Encore des cadavres ! Il n’y a vraiment plus aucune hygiène.
M. RICHARD — Depuis ce nouveau président, le pays a tourné au chaos.
MME ROBERT — Il paraît qu’on leur a tiré dessus avec de vraies armes !
M. RICHARD — Et qu’on les a énucléés avec des lance-roquettes !
MME RICHARD — Qu’on leur a chatouillé les pieds avec une perceuse électrique !
M. RICHARD — Qu’on leur a ouvert le ventre avec des couteaux suisses !
MME ROBERT — Qu’on leur a arraché les tympans avec le tire-bouchon !
M. RICHARD — Du temps où tout le monde respectait Bubuk, il n’y avait pas toute cette violence.
MME ROBERT — Même si ça n’a duré qu’une semaine !
M. RICHARD — Il avait ramené l’honneur et la discipline.
MME ROBERT — Qu’est-ce que vous en dites, M. Petit ?
M. PETIT — J’ai toutouj dit qu’il fafal vovot pour lui !
MME ROBERT — C’est vrai. C’est un président exemplaire.
M. PETIT — Il fait tremtremb tous les méméchs qui n’aiment pas la Rérép !
M. RICHARD — Je trouve que les gens s’expriment maintenant avec plus d’éloquence.
M. PETIT — La langue franfranç a de nounouv sa pupur !
MME ROBERT — Et vous remarquerez que ça fait un moment que nous n’avons plus de problèmes avec les pulls bleus…
M. RICHARD — En fait… Je crois même que nous n’avons plus de pulls bleus.
Ils sortent. Le clochard entre en enjambant les cadavres, puis s’immobilise face au public.
LE CLOCHARD — Je suis né au Rwanda, quand les Tutsis ont commencé à génocider les Huttus. Les morts se sont comptés par milliers. Personne n’a rien fait.
J’ai grandi en Bosnie, là où il y a eu le massacre de Sorénica. On avait parqué les gens dans un hangar et les militaires serbes venaient les récupérer les uns après les autres pour les mener à l’abattoir. Des cris, des hurlements des milliers de fois plus nombreux qu’à Oradour-sur-Glane. Personne n’a rien fait.
Puis je suis allé en Italie, à Gênes où ils préparaient le sommet mondial de 2001. Le dictateur de l’époque avait lâché la police contre ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui. Les présidents les plus puissants du monde ne s’en sont même pas préoccupés. On avait la preuve qu’une armée du crime s’était constituée à la tête des élites et qu’elles contrôlaient désormais l’État. Personne n’a rien fait.
Un jour peut-être, nous arriverons à nous unir. Nous formerons une immense révolte, pleine de zads et de communes, remplis de guerriers et de bâtisseurs. Nous créerons une nouvelle civilisation qui partira à la conquête de l’ancienne, de la manière la moins violente possible, car nous préférerons inventer que détruire. Les temps seront durs, mais nous resterons vaillants. Nous organiserons nos fêtes, nos danses et nos rituels en renouant avec la terre, en renouant avec les autres, et sans faire aucun compromis.
Ce jour-là, on nous tirera dessus.
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