Episode 4

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    Au petit matin, ayant peu dormi, comme à mon habitude, j’avalai rapidement un café puis m’installai directement devant mon écran. Après avoir balayé rapidement les infos du jour, je filai sur le blog d’@laddin qui était nommé : « A gauche en sortant de l’ascenseur » . 


     Il y avait un nombre considérable de commentaires sous son dernier billet. Beaucoup de ses lecteurs avaient laissé des petits mots de condoléances à l’attention de sa famille ou de ses proches. Il leur manquait à tous. Sa voix virtuelle et singulière s’était tue et avait laissé un vide dans leur vie numérique rythmée par la lecture de ses billets quotidiens. 


     On disait les blogs moribonds mais, la campagne électorale pour la primaire socialiste puis, pour la présidentielle les avaient légèrement reboostés. Rares étaient les blogs politiques de bonne qualité et celui d’@laddin était l’un des meilleurs. Richement fourni d’informations de première main grâce à ses amitiés militantes, il était un complément indispensable aux journaux en ligne dont les contenus étaient souvent sujet à caution de la part des internautes.  En effet, bien avant l’affaire DSK,  cela faisait déjà un moment que les journalistes avaient une bien mauvaise presse.


     J’avais vu cette détestation grandir peu à peu tout au long de ma carrière. Ainsi, derrière chaque article nous étions accusés de partialité tantôt par des militants de gauche que par des militants de droite. Les plus acharnés à nous traîner dans la boue étaient les sympathisants d’extrême gauche et ceux du front du national. Très présents sur la toile, ce qui compensait leur relative sous-représentation médiatique, ils fustigeaient les journaux à la solde de l’ « UMPS ». Selon eux, toutes les infos étaient manipulées par un vaste complot politico-médiatique qui visait à maintenir au pouvoir une classe politique aux ordres des puissances de l’argent. Les journalistes étaient les suppôts de ces corrompus qui se partageaient en alternance tous les pouvoirs. 


     D’autres dénonçaient notre prétendue paresse intellectuelle au titre de la collusion avec les politiques. Une promiscuité qui alimentait nos journaux avec des petites phrases bien accrocheuses. Cependant, ceux-là même qui critiquaient l’absence d’articles de fond étaient les premiers à ne pas lire les billets qui dépassaient une page (lorsqu’ils les lisaient).             


     C’est vrai que nous  avions peut-être voulu protéger certains au titre de la sacro-sainte vie privée. Nous avions bien essayé de balancer quelques allusions dans nos articles pour ceux de nos lecteurs les plus avertis. Mais, nous n’allions jamais très loin car, la loi française est très stricte et les procès trop coûteux pour nos canards déjà déficitaires. Par ailleurs, si taper sur le politique devenait notre unique but, que dirait-on de nous au titre de la sauvegarde de la démocratie. Le problème venait  plutôt de l’impuissance de la presse et non de sa trop grande force.


     Alors, conscientes de l’évolution de la société et du souhait des lecteurs de participer, nos rédactions avaient créés des versions en ligne. Elles avaient décidé d’encourager les blogueurs à venir y écrire des articles, les récompensant d’une mise en une lorsque leurs articles plaisaient à la ligne éditoriale. Ces derniers s’y précipitèrent, car ils y trouvaient un lectorat en nombre : des milliers de lecteurs pour un article, bien au-delà des quelques dizaines qu’attirait leur blog quotidiennement. Le revers de la médiale c’était une modération très stricte qui limitait les dérapages verbaux. Ainsi, certains commentateurs pouvaient se retrouver rapidement exclus pour des propos insultants ou des billets un peu trop exaltés. Alors, ils vivaient cela comme une terrible censure essayant par tous les moyens de revenir sous des pseudos différents. Mais, au-delà de leur adresse IP, les administrateurs des sites les reconnaissaient à leur style et les excluaient de nouveau. Alors, plus remontés que jamais, ils retournaient à leur blog pour y retrouver cette liberté d’écrire sans entraves ou presque.     


   De par sa notoriété @laddin avait pu obtenir une tribune au sein d’un journal en ligne. Moyennant quelques centaines d’euros mensuels, il y signait des billets plutôt bien documentés contre le pouvoir en place. Il y côtoyait  des blogueurs d’autres sensibilités, le journal voulant attirer une large audience en affichant sa neutralité.


   Je remontai assez loin dans les archives de son blog. Les commentaires positifs étaient souvent le fait de ses amis blogueurs. C’était un jeu entre eux. Ils se lisaient les uns les autres et partageaient aussi leurs articles sur les réseaux sociaux. C’était aussi une nécessité. S’ils voulaient tous faire monter leur côte dans les classements Wikio ou autre Klout, ils devaient non seulement publier un grand nombre d’articles mais, aussi faire un maximum d’audience. 


   @laddin s’astreignait à publier un billet quotidien. Il se levait aux aurores et rédigeait son pamphlet du jour contre l’hyper président dénonçant sa dérive droitière et l’échec de sa politique.  Parfois, à la lecture de ses tweets rédigés en parallèle, on pouvait noter une certaine lassitude, l’impression d’avoir déjà tout écrit, le découragement et la colère à la découverte des commentaires laissés sur son blog. Mais, on le retrouvait le lendemain avec un post encore plus enlevé que celui de la veille. D’autres jours, il s’inquiétait vaguement des risques qu’il prenait à écrire contre le pouvoir. Certains « amis » l’avaient mis en garde. Ses articles gênaient. « On » lui conseillait de se calmer un peu. Mais, bien au contraire, ces menaces voilées renforçaient encore son engagement militant.     


    Ses détracteurs étaient aussi souvent les mêmes : des militants de l’autres bord ou des sympathisants engagés sur internet. Il n’hésitait pas à leur répondre fréquemment au sein même de son article, générant de ce fait d’autres commentaires et de l’audience. 


   Ayant repéré les uns et les autres, j’utilisai un outil pour évacuer les commentateurs récurrents pour me concentrer sur ceux qui venaient plus rarement. Parmi ceux-là, j’isolai les commentaires présentant une connotation plus personnelle. J’en sortis une liste d’une cinquantaine de pseudos dont j’avais l’intention d’analyser plus à fond la vie numérique. Ce n’était que le début d’une enquête qui allait tout simplement bouleverser profondément ma vie.

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