Episode 7 - @rchimède le prof de maths
J'avais repris mes recherches matinales sur le net. Seul un chat de gouttière tigré blanc et noir venait me rendre visite, passant sa petite tête velue par le vasistas de ma chambre. Je lui donnais des petits morceaux d'un fromage qui s'ennuyait au fond de mon frigo. Repu, le félin me quittait ensuite pour de nouvelles aventures sur d'autres toits. Après, je regagnais mon bureau pour étudier de nouveaux suspects issus de la liste que j'avais produite.
Parmi toutes les populations présentes sur le net, les enseignants forment un groupe important et particulièrement actif. Ils sont par ailleurs très nombreux à militer dans les partis politiques et se retrouvent donc à un moment ou un autre sur le web. Même si on peut les classer dans toutes les obédiences, ils sont tout de même assez souvent engagés à gauche. En effet, comment vouloir être de droite lorsqu'en tant que fonctionnaire vous êtes vilipendés à longueur de journées par un gouvernement qui vous hait et voudrait vous éradiquer.
Plus instruits que la moyenne, et disposant sans doute de beaucoup de plus de temps libre que certaines autres professions, les profs écrivent souvent des blogs ou sont aussi très actifs sur les réseaux sociaux. Certains veulent y partager leur vision de l'enseignement, d'autres utilisent les outils numériques pour apprendre à écrire à leurs élèves ou pour expérimenter de nouvelles méthodes d'apprentissage. D'autres n'hésitent pas à y caricaturer leurs élèves ou les parents de ces derniers dans des tweets assez drôles. Ils y trouvent là peut-être une réponse à leur mise en cause quotidienne par ces mêmes élèves et parents sur les réseaux sociaux.
J'avoue que pour moi, l'interaction avec ces personnes est délicate. Quand ils ne sont pas complètement autistes, en tant que détenteurs du savoir, ils n'hésitent pas à donner des leçons sur tel ou tel sujet. Par ailleurs, mes - mauvais - souvenirs de ma propre période scolaire ne plaident pas non plus pour une totale objectivité.
Lors de l'examen des personnes qui intervenaient de façon bizarre sur les blogs d'@laddin, j'avais remarqué un prof de maths d'une cinquantaine d'années particulièrement acharné. Le type, soutien de la majorité de l'époque, défendait avec force et pas mal de mauvaise foi son camps. Il avait pigé le truc pour éviter la contradiction. En effet, il ne commentait que les commentaires ce qui, sur certains sites, empêchait de lui répondre directement. Par ailleurs, pour déjouer la modération automatique des sites infos, il utilisait des mots qui indépendants les uns des autres paraissaient anodins mais, qui mis bout à bout formaient des insultes. Le retors de compétition.
J'avais déduit toutes ces données en étudiant la somme conséquente des commentaires qu'il avait pu poster sous certains sites d'infos. Il avait visiblement une dent contre @laddin qui cumulait - au moins - deux des pires tares selon lui : il était de gauche et il était gay. Je ne pourrai dire laquelle des deux il haïssait le plus, tellement ses commentaires étaient violents lorsque le blogueur s'en prenait à ses amis ou militait pour le mariage pour tous.
Comme le bonhomme sévissait toujours sur un site où j'avais mes habitudes, j'entrepris de l'y traquer virtuellement. Je lui laissais des petits mots dans des articles qu'il avait commentés. Il me repéra bien vite comme quelqu'un qui cherchait la bagarre. C’était son plaisir de pouvoir insulter ses ennemis, bien caché derrière son écran.
Bientôt, je lui donnais l'occasion de me "troller" à l'envie en l'aiguillant vers le blog que j'avais ouvert pour l'occasion. Je pus ainsi récupérer son adresse email (et d'autres infos en profitant de ses périodes de connexion). Avec ces éléments, j'avais les moyens d'avoir accès à son ordinateur et à tout ce qui s'y trouvait. En cliquant sur quelques photos, j'y découvris un petit homme moustachu et chétif qui vivait dans un intérieur vieillot.
Cependant, il ne pouvait être l’assassin d’@laddin, car je pu constater bien vite qu'il se déplaçait... En fauteuil roulant. Tout à coup, la terreur des commentaires devenait pathétique et j’en avais - presque - pitié. Décidément, internet me réservera toujours bien des surprises.
Je rayai ce pseudo de ma liste avec un sentiment de malaise. Je m’en voulais d'avoir franchi une barrière interdite, même si c'était pour la bonne cause.
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