Épisode 1. L'Ombre du Passé
Et si ?
Et si notre monde n’était pas tout à fait ce que nous croyons qu’il est ?
Et si l’imaginaire était l’autre côté d’une pièce qu’on ne peut retourner ?
Et s’il y a bien longtemps, un grand mage, un enchanteur, avait placé un voile devant nos yeux pour nous protéger ?
Mais nous protéger de quoi ?
Et si les elfes, les nains, les orcs et les dragons existaient, nous côtoyaient à notre insu ? Et si la personne à côté de vous était différente, si seulement nous pouvions voir à travers le voile ?
Et si je vous racontais une histoire, une histoire qui se passe dans ce monde que seul un « si » peut rendre réel ?
***
2 septembre 2024, Amay, Belgique.
Dans la nuit, les pas de l’homme résonnaient dans les rues désertes. Pierre Renard courait, serrant contre lui la boîte noire, cette boîte qu’il aurait préféré ne jamais posséder.
Pierre était un jeune homme, la trentaine à peine entamée. Il avait des cheveux courts coiffés sur le côté, des yeux bruns derrière une grosse paire de lunettes, était rasé de près et portait un costume de ville. Son apparence était impeccable.
Une heure plus tôt, son ami et formateur bibliothécaire lui avait demandé de venir au plus vite.
- C’est important. Le sort de tant de personnes dépend de toi, Pierre.
- Mais ce n’est qu’une légende, rien de plus. Je ne comprends pas pourquoi tu te mets dans un tel état.
Marcel Demoiny était un vieil homme, marqué par des rides profondes et un crâne chauve. Ses yeux, usés par tant de lectures, trahissaient une grande fatigue. Il transpirait, faisant des allers-retours incessants entre son bureau et la fenêtre.
- C’est bien plus qu’une légende, Pierre, je…
Marcel s’arrêta net. Dehors, une voiture venait de s'arrêter devant sa maison.
- Tu dois partir, maintenant!
Il griffonna quelque chose sur un petit morceau de papier, ouvrit un tiroir de son bureau et en sortit une boîte noire.
- Est-ce que c’est?
- Oui, prends-la et rends-toi à cette adresse. Ils t'attendent.
- Mais depuis quand l’avez-vous?
- Depuis toujours. Rends-toi là-bas et tu auras toutes les réponses.
Dehors, le bruit des portières que l’on refermait fit tiquer Marcel.
- Vas-t'en, mon ami, passe par le jardin.
Depuis cette conversation, Pierre courait dans la rue en suivant la direction que son mentor lui avait indiquée. Il jeta un coup d'œil vers la tour en passant à côté, un lieu touristique de ce petit village de Wallonie. Soudain, le bruit d’un moteur et des pneus crissant se firent entendre. Trop tard, Pierre savait qu’il ne réussirait pas sa mission. Il ne lui restait que très peu de temps.
***
Le lendemain, les égouts de Paris.
Le détective avait suivi la trace des kidnappeurs jusque dans les sous-sols de la capitale. La jeune fille avait été enlevée par une petite bande de gobelins, car le sang des elfes était devenu un business très lucratif pour les anciens peuples. Il paraissait que leur sang prolongeait la vie de celui qui le consommait, mais pour le détective, ce n'était qu’une fable ou un prétexte pour persécuter les derniers elfes.
L'odeur âcre des latrines était une véritable torture pour le détective, mais celle-ci n’était rien comparée à celle des peaux-vertes qui vivaient là-dessous. Trois heures, c’est le temps qu’il avait fallu à Tristan pour remonter la piste jusqu’au ravisseur, et il touchait au but. En effet, au bout du couloir, il y avait une faible lumière orangée.
Le détective était un homme de taille moyenne, ses cheveux mi-longs caressaient ses épaules, son visage était couvert d’une barbe noire et ses yeux étaient noirs comme l’onyx. Il s'approcha sans bruit, comme une ombre, prit place au croisement, et de là, discrètement, il jeta un coup d'œil vers la planque. Il y avait trois gobelins autour d’une table, en train de manger une bouillie indescriptible, dont Tristan ne voulait surtout pas connaître la composition. Derrière eux, la jeune elfe était bâillonnée et sanglée dans son édredon comme une roulade de chicon.
C'était le moment d’agir. Tristan dégaina son Beretta et avança dans la lumière, disant :
- Personne ne bouge, compris les feuilles de laitue?
Les gobelins, surpris, se levèrent de leurs chaises de fortune.
- Qu'est-ce que vous ne comprenez pas dans 'personne ne bouge'?
- Tu devrais repartir, humain, dit l'un des gobelins. Ça pourrait être dangereux pour toi.
- Tu crois vraiment que je vais avoir peur de quatre gobelins rachitiques? Mais au fait, où est le quatrième?
Tristan avait suivi la piste de quatre gobelins, mais devant lui, il n’y en avait que trois. Le coup partit tout seul : une planche de bois moisi se brisa en heurtant de plein fouet le dos du détective. Ce dernier, surpris, perdit quelques secondes à se remettre. Il n’en fallut pas tant pour que les trois peaux-vertes ramassent sur la table ce qu'ils trouvaient pour s’en servir comme armes contre l’homme.
- Les gars, le repas est servi!
Sur cette phrase, les quatre gobelins s'élancèrent sur Tristan. Celui-ci en envoya un rouler dans une flaque d’eau croupie d’un coup de botte dans le visage. Un deuxième avait agrippé sa chemise et commençait à le mordiller. La douleur n'était pas forte ; après tout, les gobelins ont de petites dents. Un coup de crosse de son arme assomma la petite créature.
- Non mais sérieusement, les mecs, on est en 2024, il faut changer votre alimentation.
Tristan tira un coup de feu en l’air, ce qui calma les deux dernières créatures.
- Bon, sérieusement, il y a deux possibilités : je repartirais d’ici avec la gamine de toute façon. À vous de voir si je vous mets une raclée avant ou non.
- Et pourquoi tu nous laisserais la vie sauve, humain?
- On m’a payé pour ramener Catherine, pas pour vous faire la peau, mais si vous insistez, je peux faire des extras. Ça ne me dérange pas.
Les deux gobelins se regardèrent, puis, sans un mot, prirent la fuite.
Tristan s’approcha de la fille dans l'édredon et lui enleva son bâillon.
- Ça va? Ils ne t’ont pas fait de mal?
- Mis à part mon odorat, ils ne m’ont rien fait.
La fille avait l’air d'avoir 16 ans, mais pour une elfe, elle pouvait très bien en avoir 60 ou même 80.
- Ok, on remonte d’ici, tes parents t'attendent chez toi.
***
Après avoir ramené la fille chez elle, Tristan regagna son appartement en périphérie de la capitale française. Il n’avait pas encore mis ses clés dans la serrure que la porte d’à côté s’ouvrit, et une femme d’une soixantaine d’années, avec un tablier taché de graisse, sortit.
- Mon loyer, vous l'avez? Déjà une semaine de retard. Si je ne l’ai pas dans…
- Je l’ai, Madame Houlans, je l’ai avec moi. Tenez.
Madame Houlans prit les billets, les compta avant de les fourrer dans son tablier.
- Au prochain retard, je vous mettrai à la porte. Et puis, vous faites quoi dans cet appart? C’est quoi tout ce va-et-vient, hein? Je savais que vous étiez un homme louche, un de ces bizarres qu’on voit à la télé.
- Je suis désolé si mes visites vous causent des soucis…
- Des soucis? Pas du tout, mon p’tit bonhomme, mais bon, ça cause beaucoup dans le quartier, et maintenant il y a cette jolie nénette qui attend chez vous depuis le début de l’après-midi.
À ces mots, Tristan tiqua.
- Vous voulez dire qu’il y a quelqu'un chez moi?
- En tout cas, je l’ai vue passer la porte, mais pas ressortir.
- Merci, madame, mais je dois vous laisser.
- N'oubliez pas, plus de retard sinon à la rue. Et puis, c’est quoi cette puanteur?
Tristan ne répondit pas. Il y avait quelqu'un chez lui, et il ignorait qui. Sur le pas de la porte, il dégagea l'accès à son Beretta et ouvrit la porte. Une jeune femme à la chevelure de feu attendait devant son bureau, assise sur la chaise des clients.
Le détective enleva sa veste et l'accrocha au crochet près de l'entrée.
- Je ne reçois mes clients que sur rendez-vous.
La femme se retourna. Elle avait un très joli visage, un petit nez sur lequel était posée une paire de lunettes, des yeux clairs, et un sourire à vous faire dire oui quand vous pensez non.
- Bien, dans ce cas, pourrais-je avoir un rendez-vous?
- Bien sûr. Pour quand?
- Tout de suite.
- C’est-à-dire que là, je suis attendu ailleurs… Snif, avec ma douche… Vous comprenez.
- Pourtant, j’ai besoin de vous. Vous vous occupez des affaires spéciales, d'après ce qu’on m’a dit.
Tristan fit le tour de son bureau et prit place dans son vieux fauteuil à roulettes.
- Bon, faites vite. Qu'est-ce que je peux faire pour vous?
- Mon oncle a été tué hier soir.
- Je suis désolé, mais je ne suis pas nécromancien.
- Ce n’est pas pour ça que je suis venue, répondit la femme. Son assistant a disparu.
- Et vous le soupçonnez du meurtre de votre oncle?
- Non, il le considérait comme son père. Il n'aurait jamais fait ça.
Tristan prit un stylo et commença à écrire les différents détails de sa cliente.
- Il y a aussi un objet qui a disparu.
- Quel genre d’objet?
- Je ne sais pas, mais sa maison a été totalement retournée.
- Dans ce cas, comment savez-vous qu’un objet manque?
La femme se mordit les lèvres.
- Disons que je le sais.
- Bien. Vous savez, si vous voulez que je vous aide pour votre affaire, évitons les secrets. C’est plus simple, vous comprenez?
- D'accord.
- Bien, reprenons. Comment s'appelait votre oncle?
- Marcel Demoiny.
Ce nom n’était pas inconnu de Tristan.
- Où travaillait-il?
Le détective connaissait déjà la réponse.
- Il était bibliothécaire en Belgique.
Les yeux de Tristan se rétrécirent.
- Comment s’appelle la personne qui a disparu?
- C’est…
- Qui!
- C’est votre frère, Pierre Renard.
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