Épisode 2. Une soirée au Mordor

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Le détective ne traîna pas. Il prit une douche pour enlever l’odeur des égouts, enfila un pantalon noir, une chemise blanche et une veste sombre, fourra quelques affaires dans un sac à dos et retrouva sa cliente à la gare du Nord en fin d'après-midi. Durant le voyage, Tristan en apprit plus sur la femme. Elle s’appelait Roxane Fontaine et travaillait dans le commerce, rien de très utile pour l’enquête. Après avoir changé plusieurs fois de train, ils arrivèrent à Amay en même temps que la nuit. Roxane, épuisée par le voyage aller-retour, rentra chez elle, promettant au détective de le retrouver le lendemain matin.

Tristan se retrouva donc seul, mais cela n’était pas un problème. Il connaissait les lieux : après tout, c’est ici même qu’il avait grandi avec son frère, élevés par leur mère.

Tristan retrouva donc sa ville natale. Les 20 années passées loin d’ici n’avaient rien changé au paysage : toujours les mêmes rues, la plupart des commerces étaient les mêmes, et ses pas le menaient instinctivement là où il voulait aller. Au Mordor !

Le Mordor était un bar, en apparence comme les autres, sauf pour ceux qui pouvaient voir à travers le voile. Il avait un plafond très haut et des tables rondes en bois massif. Le gérant, un colosse de deux mètres de haut au crâne nu et aux épaules poilues, dit :

  • Je vous préviens, je vais fermer d’ici une demi-heure, alors je vous sers quoi ?
  • Sûrement pas un café, répondit Tristan. La dernière fois, je suis resté vissé aux toilettes une semaine.

Le barman se retourna avec un air méchant, mais quand il reconnut le client, un sourire prit place sur son visage.

  • Par la barbe de ma mère, voilà un revenant !

Il passa de l’autre côté du comptoir et serra le détective dans ses bras énormes.

  • Oh bon sang ! Moi aussi, je suis content de te revoir, Benoît.

Benoît était un orc, une montagne de muscles vert foncé. Il avait mené une vie de combat pendant des dizaines d’années, mais il avait raccroché son marteau de guerre après la défaite de Waterloo. À cette époque, il était connu sous le nom de Beror. Bien qu’il ait servi dans la résistance lors de la Seconde Guerre mondiale, où il protégea des enfants des anciennes races, il n’avait plus combattu depuis plus de deux siècles. Il avait ouvert deux bars, un à Amay et un autre à Cologne, en Allemagne, et tous les 30 ans, il fermait l’un pour ouvrir l’autre.

  • Qu’est-ce qui t'amène dans mon humble demeure ?
  • Je suis sur une affaire, un meurtre et une disparition.
  • Ah oui, c’est vrai que tu joues aux détectives privés maintenant. Désolé, l’ami, mais je n'ai rien entendu.
  • Je ne venais pas pour ça, mais pour savoir si tu avais une chambre pour quelques jours.
  • Ah ça, je peux t’aider. J’ai aménagé mon grenier, et pour l’instant, personne ne le loue.
  • Et tes ronflements d'orc me laisseront dormir ?

Benoît donna un coup sur le bras de Tristan et lui demanda de se taire, en montrant une table où trois jeunes buvaient des sodas.

  • C’est qui, eux ?
  • C’est mon groupe de jeux de rôle. Le mardi, je ferme plus tôt et on poursuit notre campagne.
  • Tu te fous de moi, répondit Tristan en éclatant de rire. Je veux voir ça. Sers-moi une bière, je vais prendre place avec vous.
  • T’es toujours aussi débile, l’humain !
  • Et alors, elle vient, cette bière ? Et ne pisse pas dedans, compris !

Tristan alla prendre place à la table où les trois jeunes attendaient en lisant des livres nommés Bestiaire, Classe ou encore Règles avancées. C'était quelque chose qui amusait beaucoup Tristan. Il y a environ un demi-siècle, des hommes qui voyaient à travers le voile avaient décidé de dénoncer la vérité sur le monde. Personne ne les avait crus, mais on les avait pris pour des génies, et maintenant, leurs livres et leurs jeux étaient devenus un véritable phénomène.

  • Salut la jeunesse, ça vous dérange pas si je regarde ?

Autour de la table, il y avait un grand maigrichon avec une tignasse rousse, un autre garçon plus petit et rond avec du eye-liner et des cheveux noirs coupés à la tondeuse, et une fille blonde un tout petit peu potelée. Ils s'appelaient respectivement Étienne, Marc et Sophie. Le grand roux jeta un regard vers Benoît, et ce dernier haussa les épaules, ce qui pouvait se traduire par “désolé” ou “j’y peux rien, ce mec est un casse-pied”. Il finit par montrer une chaise en bout de table.

Benoît les avait rejoints après avoir déposé une bière mousseuse devant Tristan. Marc prit la parole :

  • Bon, on poursuit la campagne de la semaine passée.

Ils hochèrent tous la tête de manière très solennelle.

  • Je peux poser une question ? demanda Tristan, l'air amusé.C’est quoi, vos persos ?
  • Je suis un guerrier barbare, aussi rusé que fort, répondit Étienne.
  • Je suis une mage elfe, la soigneuse de l’équipe, dit Sophie.
  • Moi, je suis le maître du jeu, reprit Marc.

Tristan souriait.

  • Et je suppose que toi, Benoît, tu dois être un grand guerrier orc, un chef de guerre ou un truc comme ça.

Tous se mirent à rire.

  • Non, Ben, c’est une chanteuse naine, avec des talents en poterie.

C’en était trop pour Tristan, qui explosa de rire. Il se leva et se dirigea vers la porte.

  • Ah ah ah, merci les gars, vous avez fait ma journée. Allez, je vous laisse à votre jeu, je vais me promener.
  • Ne traînez pas trop près de la tour, il y avait des types bizarres là-bas hier, dit Sophie.
  • Bizarres comment ? demanda Tristan, dont le rire disparut d’un coup.
  • Eh bien, hier, on traînait dans le parc, puis il y a eu un mec qui s’est dirigé vers la vieille tour, suivi peu après par quatre autres personnes. On a fait le tour pour voir ce qu’il se passait, mais quand on est arrivé de l’autre côté, il n’y avait rien. Puis juste après, une voiture est passée en vitesse, manquant presque de renverser Marc.
  • Eh bien, quelle histoire ! Vous en avez parlé à la police ?
  • Ben ouais, ils ont dit qu'ils allaient envoyer quelqu’un, et puis plus de nouvelles.
  • Ok, merci pour l’info, je ferai gaffe, répondit Tristan en adressant un sourire à Benoît, qui le fixa droit dans les yeux.

***

Pendant ce temps, non loin de là.

Dans un salon luxueux, où tous les meubles étaient en marbre, un vieux nain était assis dans un fauteuil roulant, sa longue barbe blanche pendant sur le plaid qui recouvrait ses jambes. Il était vêtu d’un peignoir bleu avec l’écusson de sa famille, un marteau et une massette croisés. Un autre nain entra après avoir frappé.

  • Entre, Garry, entre… quelles sont les nouvelles ?

Le nain avança et se plaça devant le fauteuil roulant. Garry avait toujours un pincement au cœur quand il croisait le regard aveugle du vieux nain.

  • Maître, j’ai bien peur d’avoir de très mauvaises nouvelles, Marcel Demoiny est mort.
  • Et la boîte ?
  • Ils ne l'ont pas encore trouvée, mais c’est une question de temps.
  • C’est fâcheux, dit le vieux nain en s'agitant dans son fauteuil.
  • Ce n’est pas tout.
  • Parle, Garry, à mon âge on n’a plus le temps pour le suspense.
  • Il a des soupçons concernant… la tour.
  • Par la sainte enclume, assure-toi qu’il ne trouve rien.
  • Bien, Maître.

***

Tristan s’était rendu à la vieille tour, qu’on appelle communément “La Tour Romane”. C'était un édifice datant du XIIe siècle, en vieille pierre, rectangulaire, tout en hauteur avec des angles droits. Un petit pont en fer menait à une porte au rez-de-chaussée. Il fut une époque lointaine où la tour était entourée de douves. De nos jours, tout autour, il y avait un petit parc aménagé avec quelques bancs et un sentier de promenade. Le détective savait que la piste avait moins de 24 heures, mais de nuit, il était difficile de trouver des indices.

Tristan décida de revenir le lendemain dès la première heure, sans se rendre compte que, dans l’ombre, quelqu’un ne le quittait pas des yeux.

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