Épisode 8. Entre ombre et lumière
- Faut qu’on sorte d’ici, dit Pierre, observant son frère blanchir à vue d'œil.
La balle qui avait blessé le détective à la cuisse continuait de le vider de son sang. Roxane s’approcha rapidement, attrapant la cravate de Pierre pour en faire un garrot autour de la jambe de Tristan.
- Attention, c’est de la soie ! s'indigna Pierre.
- Content de voir où sont tes priorités, frérot, grogna Tristan, grimaçant lorsque Roxane serra le nœud.
- Il faut l’emmener à l’hôpital !
- Non, pas l’hôpital, répondirent Tristan et Roxane à l’unisson.
- Mais... mais... vous êtes fous, ma parole ?!
- Conduis-moi au Mordor, marmonna Tristan.
- Oh, le pauvre, il délire déjà…
- Le Mordor, c’est un bar près de la place d’Amay, expliqua Roxane calmement.
- Un bar ? Vous croyez que c’est le moment de prendre un verre ?
- Emmène-moi là-bas, insista Tristan, tentant de se relever avec l’aide de son frère.
- T’es marrant, mais on fait comment ? On est enfermés dans cette foutue fosse !
Roxane scrutait les alentours, son regard se posant sur le cadavre du drake. Elle réprima une moue de dégoût en sentant le sang noir sur son visage, son cœur battant un peu plus vite. “Vraiment, je dois grimper là-dessus ?” pensa-t-elle une seconde, hésitante. Mais elle n’avait pas le choix. Chassant ses doutes, elle grimpa sur le corps du lézard géant. Prenant son élan, elle exécuta un coup de pied fulgurant digne d’un film d’arts martiaux, espérant de tout cœur que cela suffirait. Le choc fit sauter le couvercle de la trappe. Elle atterrit souplement près des deux frères, un léger sourire aux lèvres.
- Voilà, c’est ouvert.
Elle sauta à nouveau, s'accrochant au bord de la sortie, puis se hissa et disparut dans le four à chaux.
- C’est qui cette fille ? demanda Pierre.
- À vrai dire, je n’en sais plus rien, répondit Tristan en grimaçant. Elle m'a menti depuis le début et... Aïe... je suis même pas sûr qu’elle va revenir.
- La confiance règne, monsieur le détective, lança Roxane en réapparaissant par l’ouverture au plafond avant de jeter une corde. Attachez-la bien, je vais vous hisser.
Après quelques minutes, le trio sortait de l’ancienne usine, Tristan soutenu par son frère et Roxane, qui les guidait vers sa voiture. Ensemble, ils prirent la route pour se rendre au Mordor.
***
Pendant ce temps, sous terre.
Une vingtaine de nains attendaient dans une vaste galerie aux parois irrégulières, creusées dans la roche.
- Ce type me donne la chair de poule, murmura un nain à son camarade de gauche.
- M’en parle pas, répondit l’autre. La dernière fois, il m’a à peine regardé et j’ai fait des cauchemars pendant une semaine.
- Silence ! ordonna Ivan. Si le patron fait affaire avec ce...
- Il est quoi, au juste ?
- J’en sais rien. J’ai juste vu ses yeux, mais ils font vraiment peur.
- Taisez-vous, ou vous allez faire des journées doubles !
- Pfff, on bosse déjà trop, chef.
- Des journées doubles sans pause bière, dans ce cas, répliqua Ivan, mettant fin à la discussion. Le silence retomba immédiatement.
Une silhouette encapuchonnée apparut à l'autre bout du tunnel. Ivan s'avança pour l'accueillir et lui tendit la main. L’inconnu ne la serra pas.
- Mon maître vous attend, monsieur, dit Ivan en relevant la tête pour tenter de voir son interlocuteur. En vain. Il ne distingua que deux lueurs rougeâtres sous la capuche.
- Bien. Conduisez-moi à lui ! répondit une voix froide et suave, qui fit frissonner Ivan.
- Bi… Bien, suivez-moi… S’il vous plaît.
Ivan prit la tête du groupe, l’homme encapuchonné à sa suite. Derrière eux, les autres nains, nerveux, ne pouvaient s’empêcher de remarquer que l’air se raréfiait et que la pierre semblait plus noire après leur passage.
***
Nos héros arrivèrent devant le Mordor. Alerté par le vrombissement du moteur et le crissement strident des freins, Benoît sortit du bar pour voir d’où venait ce vacarme. Il aperçut alors Tristan, soutenu par la femme du matin, accompagnés d’un autre homme en costume, tout sale.
- Mais qu’est-ce qui s’est passé ? demanda l’orc.
- C’est une longue histoire, répondit le détective, la jambe de son pantalon imbibée de sang.
- Longue comment ? T’es ici depuis moins de vingt-quatre heures.
- Je vous expliquerai ! intervint Roxane. Mais pour le moment, vous pouvez nous aider ?
- Oui, oui, bien sûr. Mais entrez par la porte de derrière, j’ai des clients à l’intérieur.
Le trio contourna le bar et entra par la porte de la cuisine. Benoît les attendait déjà à l’intérieur, débarrassant la grande table où il avait pris le petit déjeuner avec Tristan ce matin-là.
- Posez-le là. Puis, se tournant vers l’homme en costume : Et vous êtes ?
- Oh, désolé, toute cette agitation me fait oublier les bonnes manières. Je m'appelle Pierre...
- C’est mon frère, celui qui avait disparu, précisa Tristan.
- Ah, donc tout s’est bien passé, à ce que je vois, dit l’orc en arrachant la jambe du pantalon de Tristan pour examiner la blessure.
- Plus ou moins. C’est grave ?
- C’est plus moche que grave. La balle est sortie, mais...
- Mais quoi ?
L’orc se tourna vers le fourneau, alluma une flamme et plaça un grand couteau plat au-dessus.
- J’ai plus de rustine, donc on va faire à l’ancienne. Vous deux, tenez-le bien, il va douiller dans deux minutes.
- Oh bon sang, j’oubliais que tu étais aussi rassurant qu’une tronçonneuse rouillée. T’as rien pour la douleur, à tout hasard ?
- Derrière vous, mademoiselle. Il y a une bouteille de whisky au fond de l’armoire.
Roxane s’accroupit, ouvrit l’armoire et sortit une vieille bouteille poussiéreuse.
- Il date de quand ton breuvage ? demanda le détective en prenant une gorgée.
- Waterloo. Bois pas tout, j’en ai besoin.
- Oh BON SANG ! C’est pire que ton café, ce truc.
L’orc prit la bouteille et en versa un peu sur la plaie de Tristan, qui se mit à hurler de douleur. Dans le bar, les trois jeunes clients entendirent le cri provenant de la cuisine et se demandèrent ce qui se passait là-dedans.
- Allez, c’est presque fini, dit Benoît.
- Ah bon ? J’ai l’impression que t’as même pas encore commencé... OH LA VACHE !
L’orc appliqua le couteau chauffé sur la cuisse du détective. Tristan se tordit de douleur avant de sombrer légèrement dans l’inconscience.
Benoît se tourna alors vers Roxane et Pierre.
- Maintenant, vous allez me dire ce qui s’est passé ?
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