Épisode 10. Course contre la montre
Tristan et Roxane sortirent du Mordor. En traversant la rue, ils débouchèrent sur la place. Le ciel s'assombrissait déjà. Un coup d’œil vers la collégiale et son horloge informa le détective de l'heure. Il était presque 20 heures. Décidément, cette journée était passée à une vitesse folle.
- Où allons-nous ? demanda Roxane, ses cheveux acajou brillant sous la lumière mourante du jour.
- Je suis sûr que Drumlin, ce vieux nain, sait où se trouve son fils, répondit Tristan.
Roxane consulta à son tour l'heure.
- Je ne crois pas que Garry nous laissera entrer, dit-elle en suivant Tristan.
- Dans ce cas, on ne lui laissera pas le choix. Le temps presse, et qui sait où est Doolin et ce qu’il mijote en ce moment. Je n’oublie pas que, grâce à toi, il a cette foutue boîte et l’œil de basilic qu’elle contient.
- Je ne vais pas m'excuser d’avoir fait mon travail. Je ne savais pas que vous alliez vous jeter dans la gueule du loup. Doolin m’avait promis de relâcher ton frère dès qu’il aurait la boîte.
- Ce nain est devenu fou, répliqua Tristan. Il a déjà fait tuer Marcel Demoiny, il n’allait pas laisser de témoins derrière lui.
Ils arrivèrent rapidement devant la maison à l'ancienne du vieux nain. Tristan frappa à la porte. Après quelques secondes, Garry ouvrit.
- Nous savons qu’il est tard, mais nous devons parler à Drumlin, dit Tristan d'un ton pressé.
- Ça ne va pas être possible, Humain.
- C’est vraiment urgent, Doolin a la boîte, ajouta Roxane.
- Oui, j’avais cru comprendre quand il est passé tout à l’heure.
- Il est venu ici ? Qu'est-ce qu’il voulait ? demanda Tristan, intrigué.
- Que son père connaisse son triomphe, quoi d’autre ? Ce nain est aveuglé par sa propre vanité.
- Garry, nous devons voir Drumlin, insista Tristan.
Le nain soupira.
- Monsieur, j’ai le regret de vous annoncer le décès de Maître Drumlin. Que le marteau et la massette veillent sur lui.
- Oh non, c’est Doolin qui l’a tué ? demanda Roxane, horrifiée.
- Non, c’est son chagrin.
Tristan posa une main réconfortante sur l'épaule de Garry.
- Je suis vraiment désolé, Garry.
- Garde tes regrets pour plus tard, humain. Suis-moi, nous avons un fou furieux à arrêter !
- Mais nous ne savons pas où il est, intervint Roxane.
- Moi, je le sais, répondit Garry, déterminé.
***
Le trio se dirigea vers la tour romane. En arrivant devant, Tristan ne pouvait s'empêcher de penser que tout les menait à cette tour, qui le fascinait déjà quand il était enfant. Il traversa le chemin et passa sur le petit pont métallique pour se retrouver devant la porte.
- Par ma hache, c’est fermé, grogna Garry.
- J’aime pas ça, mais on va devoir défoncer cette porte.
- Mollo, les rustres, intervint Roxane. Laissez faire la douceur.
Elle s'accroupit devant la serrure, l'examina un instant, puis sortit une petite pochette contenant des crochets à peine plus gros que des aiguilles. Elle en prit deux et les inséra dans la serrure, habituée à ce genre d'exercice. Après quelques mouvements précis, un déclic se fit entendre, et la porte s'entrouvrit.
- Pas mal, admit Tristan.
- Super, tu veux dire, l’humain. En tout cas, ça nous évite un bleu à l’épaule, répliqua Garry.
- Allez, on y va, dit Roxane en rangeant sa pochette.
Le trio entra dans la tour, actionna le levier pour ouvrir le puits, et commença à descendre.
- Je vous conseille la discrétion si vous voulez éviter les cloakers cette fois-ci, murmura Garry.
Tristan sortit trois perles bleues, les secoua pour les activer, et, lorsqu'elles s'illuminèrent, en donna une à Roxane et une autre à Garry. En peu de temps, ils arrivèrent dans la grande salle circulaire. Le sol était jonché de cadavres de raies volantes et de papiers noircis par le sang des créatures. À l’autre bout, se dressait l’énorme porte que Tristan avait inspectée le matin même. Garry s’en approcha, posa ses grandes mains dessus, et chercha le mécanisme.
- Tu sais comment ouvrir cette porte ? demanda Tristan.
- Non, mais c’est mon maître qui l’a construite. Il m’a formé pendant près de cent-vingt ans, alors j’ai, comme vous dites, bon espoir.
Les minutes passèrent sans que rien ne se produise. Pendant ce temps, Roxane, nerveuse, faisait passer la perle lumineuse au-dessus de sa tête pour scruter le plafond. L’obscurité dissimulait un dôme où elle distinguait les ombres des cloakers, endormis comme des chauves-souris. Il y en avait des centaines, peut-être un millier. Elle déglutit, priant que rien ne les réveille cette fois-ci.
- Là ! Par ma hache, c’est pas possible, s’exclama Garry.
- Quoi ? demanda Tristan.
- Il manque un morceau. Il doit y avoir une clé ou un truc du genre.
- Un truc... tu peux être plus précis ?
- Bien sûr, l’humain. Il manque un engrenage circulaire, légèrement denté, de calibre…
- Un truc rond, c’est ça ?
- Euh, oui, c’est ça. Un peu simpliste, mais c’est bien ça.
Roxane se figea en entendant cette description. Elle se souvenait d'un gros médaillon vu plus tôt sur une table. Elle s’en approcha, mais il n’était plus là. Elle mit un genou à terre, scrutant le sol avec la perle lumineuse. Soudain, un objet brilla sous une aile de cloaker. Elle la souleva délicatement et ramassa l’objet : un engrenage circulaire, légèrement denté, de calibre inconnu. Sans se préoccuper des détails, elle s'écria un peu trop fort :
- Je l’ai !
Instantanément, elle porta une main à sa bouche en entendant sa propre voix résonner.
Garry et Tristan frissonnèrent, le cœur battant, tendant l’oreille pour guetter d’éventuels battements d’ailes.
Rien.
- Par ma hache, tu veux nous faire tuer ! grommela Garry.
- Désolée, j’avais oublié, chuchota Roxane, gênée.
Elle s’approcha et tendit l’engrenage circulaire à Garry. Ce dernier l’inséra dans une cavité sur la porte et tourna le disque d’un coup sec. Un craquement sourd résonna dans la salle, et la porte s’ouvrit.
***
Pendant ce temps, Doolin était surexcité. Son moment de gloire était enfin arrivé.
L’homme encapuchonné observait le corps imposant du serpent, puis, avec des gestes précis, il sauta plusieurs fois, grimpant jusqu’à la tête de la créature. Dans l’une des orbites vides, il trouva ce qu’il cherchait : des fragments de métal, plus exactement des morceaux d’une épée brisée. Il les ramassa soigneusement, veillant à n’en oublier aucun.
Sans un mot, il redescendit et passa devant le nain sans lui accorder un regard.
- Quoi, c’est tout ?! Vous m’aviez promis un trône de pierre et vous partez en me laissant une statue de serpent ? hurla Doolin, furieux.
Ivan posa la main sur sa hache, et les autres nains l’imitèrent, prêts à en découdre.
- Ouvrez la boîte et placez ce qu’elle contient dans l’une des orbites de la statue. Vous aurez alors votre récompense, répondit l’homme encapuchonné, d’une voix glaciale.
Doolin baissa les yeux vers la boîte noire qu’il tenait, puis leva son regard vers la statue du serpent. Sans plus attendre, il entreprit son ascension vers la tête de la créature. Une fois au sommet, il ouvrit la boîte. À l’intérieur, un œil reptilien reposait sur un velours rouge sombre, veiné de noir.
- Stop ! lança soudain une voix depuis l’obscurité.
Tous se tournèrent vers l’endroit d’où provenaient ces mots. Là, sorti de l’ombre, Tristan apparut, armé de son épée noire.
- Trop tard ! Vous ne m’arrêterez pas ! s’écria Doolin en plaçant l’œil sur le visage du basilic.
Soudain, un grincement aigu retentit dans toute la pièce. Doolin éclata de rire, sentant la statue vibrer.
Mais son triomphe fut de courte durée. Le regard du basilic s’activa, et croisa celui du nain, hilare. En une fraction de seconde, Doolin se figea, transformé en statue de pierre. Son corps pétrifié chuta lourdement au sol, éclatant en mille morceaux sous le choc.
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