20 - Yin... Et Yang.
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-DEBOUT, TOUT LE MONDE !
La vache, y a pas à dire, la voix de Ferdinand au petit matin, ça détend...
J'avais passé la nuit à faire des rêves au sujet de Miku. Cela ne me plaisait pas trop, mais je suppose qu'elle provoque ce genre d'effet sur tout le monde. Que ça fait partie de sa malédiction.
BREF ! On n'a même pas eu dix minutes pour se préparer que Chirutll défaisait déjà le camp. La fosse de N0-V04 avait été rebouchée, et Entia préparait ce qu'elle allait faire pousser pour le petit déj' après la téléportation des ondes.
Je suis quelqu'un de matinal. C'est-à-dire que le matin détermine mon humeur sur toute la journée, et que je peux facilement être énervé. Et alors là, on avait le combo !
-Lever avant même celui du soleil
-réveil en sursaut
-Réveil en urgence
-Climat froid et humide en raison de l'heure matinale
-CHAOS ETERNEL A CAUSE D'AMETARA
-Des oignons au petit déj'.
Ouaip, encore une bonne journée de merde. Bon, le premier repas, je dramatise parce que je déteste les oignons, mais du reste c'était carotte, salade et blé, ce que j'adorais. Mais vu mon humeur, je retenais surtout les mauvaises choses.
Après y a encore eu la période de vol, que je détestais toujours autant... Surtout que le matin, j'ai les ailes engourdies, ça n'arrange pas les choses.
Je vais pas vous rabâcher une fois de plus avec tous les détails... Randonnée, blablabla, téléportation, blablabla, repas, blablabla, c'est pas ce que vous voulez entendre. Et c'est pas non plus ce que j'ai envie de raconter.
Bref ! Quelques cents kilomètres plus loin de l'ancien, le camp de nuit avait été levé. Nous étions arrivés en Inde, et nous nous dirigions vers New Delhi ; notre prochaine étape se trouvait à vingt-cinq kilomètres au nord-ouest de la métropole.
J'avais effectué ma petite ronde en survol autour du campement ; toujours rien en vue. Quoique, dans ce méli-mélo d'arbres et de branches, en survolant il fallait que je fasse bien attention là où je regardais pour ne rien louper. Je passe à un endroit, je crois ne rien voir, j'y repasse dix minutes plus tard et j'y découvre un groupe de yacks. Et encore, je ne les ai vus que parce qu'il y avait un albinos dans le tas qui se démarquait fortement.
Encore une nuit où ma tente jouxtait la fosse de notre Exanthrope... Tant mieux, dans un premier temps c'est moi qui était de garde. Ne pouvant pas fermer l'œil à cause des plaintes de l'homme-robot, Witz et Alex m'ont rejoint et on a commencé à papoter un peu.
On s'est écartés un peu du campement pour se remémorer chacun des bons moments de notre vie. Witz racontait tout ce qu'il faisait dans les jeux vidéos de son adolescence, moi je remémorais les meilleurs moments que j'ai passés à faire des jeux de rôles avec des potes. Des souvenirs sans prix.
Je n'ai jamais vue Alexandra aussi "lumineuse" que le moment où elle nous racontait les bons moments passés avec la vieille bibliothécaire de sa ville natale, sa meilleure amie. Leurs parties d'échecs acharnées, par exemple. Ou les fois où l'aïeule l'aidait à choisir ses prochaines lectures. Et ça, ce n'était encore rien. La vieille s'était donnée pour mission de faire d'Alexandra une enfant heureuse. Entre parenthèses, oui, moi-même je me suis étonné que les échecs existent toujours, trois mille ans plus tard ; avec plus de quatre millénaires et demi d'existence, c'est définitivement le jeu de table qui a duré le plus longtemps.
C'est au moment pile où la ténébrienne laissa s'échapper que cette bibliothécaire avait été une mère pour elle, qu'elle se renfrogna. Les ombres l'envahirent de nouveau. Son sourire se tordait en permanence ; c'était visible qu'en même temps de penser à la vieille, elle pensait à ses parents. Toutes les secondes, elle changeait de rictus ; tantôt souriant, tantôt malheureux. Un instant plus tard, elle fondit en larme. Je la pris dans mes bras pour la consoler, et Witz lui tapa amicalement sur l'épaule, comme pour dire "T'inquiètes, on est là pour toi".
Je conseillai à mes deux amis d'aller se coucher, comme Miku l'avait fait avec moi vingt-quatre heures plus tôt. Dès que je fus seul dans la noirceur de la nuit et avec la chaleur des flammes pour seul compagnon, je songeai que cette journée n'eut finalement pas été si "pourrie" que ça. Comme quoi, avec de bons amis, la vie devient tout de suite plus joyeuse.
Je me concentrai sur ma tâche : protéger le camp des potentiels envahisseurs. En fait... Rapidement, j'ai commencé à flipper. J'ai une tendance au paranoïa et, dès que je suis en situation angoissante, je m'imagine des trucs. Je me rappelais de ce que Miku m'avait dit la veille ; N0-V04 est une cible géante pour N1-V01... Et si elle venait là, maintenant, cette nuit ?
MERDE ! UN FUMET LOUCHE ! Du calme, ce n'est que l'odeur de N0-V04 qui a légèrement transpercé la couche de terre qui le recouvre.
AÏE ! UNE BRANCHE QUI CRAQUE ! QUI EST LA ? Une chouette hulule dans la nuit. Si elle est aussi calme, c'est qu'il n'y a pas de quoi s'affoler.
Je prends mon bâton comme s'il s'agissait d'un Katana et me mets à l'affut du moindre bruit. Les photons sortent par milliards de mes gants, pour me donner un visuel dans toute cette noirceur. L'idée d'avertir les autres ne m'aurait même pas traversé l'esprit, même si le diable en personne avait surgi devant moi.
Conscient que je dramatise une fois de plus, je m'assis près du feu, en ne relâchant pas ma saisie sur mon bâton d'un seul Newton. Ado, lorsque je me baladais seul en forêt, je m'imaginais que des monstres me suivaient et je forçais le pas de plus en plus, jusqu'à la course. Là, mes peurs de l'adolescence ne m'importunaient plus ; seul ce nom, N1-V01, me perturbait. Tout ce que je savais d'elle, c'était la peur religieuse qu'elle exerçait sur les Exos, un faible aspect de sa cruauté, son odeur pestilentielle et l'effet qu'elle provoque sur N0-V04. Aucune trace sur son physique, ni sur sa magie, ni sur son origine, ni de pourquoi elle est la pire criminelle d'Ampéria, tout ce que je savais c'est qu'il y a une raison pour laquelle notre pote de métal chiale à l'idée d'être seul et hurle à l'idée d'être en groupe. Et cette raison, elle avait en même temps un nom et une forme.
Rien que cette idée de peur me faisait imaginer des trucs. N1-V01 était-elle une mage du feu psychopathe ? Une mage du sang sans pitié ? Une maîtresse Thêta ingénieuse ? Etait-elle plus proche du Joker, ennemi de Batman, ou de Jason, le tueur célèbre de "Vendredi 13" ? J'en savais rien, mais plus j'y pensais, plus j'avais l'impression de sentir sa puanteur et d'entendre les arbres grincer, les branches craquer.
Parfois, d'innocents animaux couraient parmi les feuilles ; guidé par l'affolement, je courais alors en direction du bruit, Bâton et propulsion de photons aux mains, prêt à crier en toutes circonstances imprévues.
Fatigué par ma propre paranoïa, et voyant qu'il n'y avait aucun danger, j'ai fini par me calmer et je me suis reposé sur mon bâton. Mes paupières avaient la lourdeur du plomb... Conscient de cet état d'esprit, je me levai rapidement et appelai Olivia pour remplir le second tour de garde.
-ça va, Thauroji ? S'étonna-t-elle en se réveillant et en voyant ma face.
-Je sais pas... Je suis crevé, et, pour tout t'avouer, je suis un peu trop parano. Pas autant que N0-V04, mais c'est trop pour moi, cette sensation de peur omniprésente...
-Ah, mais il fallait le dire ! Ne t'inquiètes pas, pour les prochains jours on va s'arranger pour que tu restes dans ta tente. Si ça ne pose pas de problème aux autres, bien entendu. Il ne faut pas laisser la peur te saper ! Dans ce monde, quand on démarre une aventure, c'est la règle numéro un.
-Merci du conseil, Olivia. Je te souhaite une bonne veillée !
-Merci. Et essaie de dormir. Vide-toi la tête, ne pense plus à ce genre de chose, et laisse-toi bercer dans les bras de Morphée.
Me vider la tête, j'y suis pas arrivé. Ce soir, Morphée ne m'avait pas à la bonne.
Le matin, Ferdinand donnait de nouveau l'appel, d'une autre façon, cette fois-ci.
-Hey, les gars ! Venez vite !
Déjà, à travers le tissu de la tente, je devinai une grande lumière qui se répandait dans l'espace. Ce ne pouvait être le soleil, Ferd' ne nous aurait pas levé si tard... Qu'était-ce, alors ? Célestia venait enfin nous aider ?
Je me levai sans faire d'histoire. Non, ma mère n'était pas venue à notre rescousse. A la place, une autre femme... Une grande dame au physique bienveillant et sublime de cent Aurores Boréales nous fixait de ses deux yeux translucides.
J'ai d'abord regardé Tarek ; il avait l'habitude de voyager sur un faucon solaire de ce genre. Mais non, l'homme basané était actuellement prosterné devant la nouvelle arrivante. Était-ce une divinité égyptienne, alors ? Non ; Entia et Miku ne seraient pas à genoux en ce moment même si c'en était une. Moi, Witz et Xenthores arborions un air d'incompréhensibilité. Etrangement, à contrario de tous les autres, Alexandra avait une mine grave.
La dame boréale s'est d'abord avancée vers N0-V04 et Miku, puis a posé ses deux mains sur leur torse. Une lumière parcourut immédiatement les corps du froussard et de sa garde. Puis elle s'arrêta devant Ferdinand et le dévisagea sans un mot. Elle s'en fut, puis tendit une main en ma direction. Immédiatement, une douce chaleur se répandit sur ma peau. Avec ma robe de mage, j'en arrivais même à en avoir chaud ! Que c'était bon !
Enfin, après avoir fait un miracle sur Kernn qui se mit à parler normalement, Elle prit les mains d'Ametara et diffusa sa lumière. Cette dernière action accomplie, l'être s'évanouit en plein air, laissant une dernière image derrière elle : le plus magnifique des phénomènes naturels, arborant un sourire bienfaisant.
-Thauroji ? Fit la voix de Miku.
Je m'étonnai à la voir sous sa forme de Kitsune. Elle était bien plus mignonne en tant que renarde à six queues !
-Je... Je peux avoir ta robe ? Demanda-t-elle.
Alors que je la lui donnai, je regardai N0-V04 avec un étonnement fort positif. L'Exanthrope s'était de lui-même séparé du groupe pour admirer la forêt alentour et humer l'air environnant. Pour une fois, il semblait en paix.
Pendant que je le regardais, Miku s'était vêtue de mon habit. Je la préférais comme ça, habillée décemment, à marcher avec nonchalance au lieu de rouler des fesses.
-ALLEZ LES GARS ON SE DEPÊCHE ! Hurla Ametara, hilare. J'AI UNE PÊCHE D'ENFER ! Allez, allez, allez ! Chirutll, on ne traîne pas ! On range tout ! a encore une longue route à faire !
J'ai craint le pire pour la suite du voyage, mais c'est bel et bien un portail qu'Ametara invoqua.
-Qu'est-ce que tu fais ? Demandai-je.
-On va sauter CINQ ETAPES ! D'UN SEUL COUP ! HEY, XENTHORES ! T'es content ? Ce matin on se réveilles à l'étape deux... CE SOIR, ON SE COUCHERA Á L'ÉTAPE HUIT !
-Hey, hey, hey ! fit Xenthores. Tu vas pas nous dire que tu préfères faire un portail de cinq étapes en avant plutôt qu'une seule téléportation des ondes pour nous retrouver directement à destination !?
-Primo, le pyromancien, ces téléportations c'est une torture pour moi aussi. Secundo, être trop longtemps en téléportation des ondes c'est risqué, pour la santé mentale comme pour le bien physique. Tertio, les portails c'est ce que j'ai de plus rapide. Quatro, ON S'EN FICHE ! EN AVANT LA MUSIQUE !
Et elle fonça dans le portail, suivie d'à peu près tous les autres. Seuls moi, Miku, N0-V04 et Alexandra restions là. N0-V04 profitait du calme de la forêt tant qu'il le pouvait encore. Et Miku se pavanait dans ma propre robe en imitant des feux d'artifice avec sa magie arcanique. Elle se faisait la fête. La capuche gênait fort ses oreilles et il n'y avait pas vraiment place pour ses queues, mais elle s'était enfin débarrassée de la malédiction et c'était tout ce qui comptait. N0-V04, par gentillesse, lui confectionna en vitesse des chaussures de bois précaires. Apparemment, des chaussures très peu appropriées et déséquilibrées, mais qui convenaient infiniment à la Kitsune, qui ne ressentait enfin plus la douleur des moindres cailloux sur le sol.
Tandis que les deux allaient rejoindre le peloton du groupe, j'attendais pour passer en même temps qu'Alexandra.
-Alors, Alex' ? Tu viens ?
Elle ne me répondit pas et me fixa avec un regard sombre.
-Qu'est-ce qu'il y a ? lui demandai-je posément.
-Je la connais, cette créature. C'est Aurora, la Championne d'Ataraxia. Un être de Chi pur créé par les hommes, les Kitsunes et les dieux... Tout le monde peut manipuler le Chi, mais peu de personnes en ont la force. Le Chi, c'est une force tranquille, et la plupart des moines le pratiquent pour le loisir. Jamais un mage de Chi n'a levé la main sur quiconque autrement que comme moyen de défense.
Aurora est la bonté incarnée. Mais ce que je sais surtout, c'est qu'elle reste toujours au cœur de l'Everest. Nous sommes dans un pays frontalier du Népal, c'est normal qu'on le croise... Mais il ne sort jamais de son sanctuaire, sinon pour défendre Ataraxia d'un grand danger. Alors tu comprends que j'aie peur. Plus on avance, plus les signes du retour de Chara sont évidents... D'abord le comportement d'Atherach, puis la Malédiction de Kris, et enfin l'avènement d'Aurora... Et ce n'est pas une illusion qui a donné la force à Ametara, la maturité à Kernn, la tranquillité à N0-V04 et la bénédiction à Miku...
Je voyais très bien ce qu'elle voulait dire. Une très mauvaise nouvelle en quelque sorte. Aurora nous a donné la force d'avancer, mais elle voulait aussi nous délivrer un message, j'en suis sûr. Un avertissement.
-Mais au moins notre groupe se porte mieux ! annonçai-je, enjoué. Nos inquiétudes, à moi et N0-V04, au sujet de N1-V01 se sont enfuies, et pour une fois je ne souffre pas du froid !
-Cela ne va pas durer pour l'éternité, Thauroji... Aurora est fait pour soulager les âmes et guérir le corps de ceux qui en ont besoin, mais sa bénédiction est éphémère. Je ne sais pas comment tu as entendu parler de N1-V01, mais je parie que dès ce soir les cauchemars de N0-V04 reprendront... Pour Ametara, Il lui a donné la force pour faire une unique grande téléportation ; quant aux autres, la Bénédiction durera un peu plus longtemps. J'estime que toi, Miku et Kernn la garderont pendant trois jours. Pas plus.
-Et Miku va re-sombrer dans l'aphrodisie... Elle était si heureuse de se pavaner dans mon costume, je ne sais pas si j'aurais le courage de lui enlever lorsque je n'aurai plus chaud.
-Elle l'enlèvera d'elle-même. Pour elle, dans sa malédiction, c'est une honte d'être habillée. C'est bizarre, mais, dans ce cas, être complètement habillée ou toute nue en public, c'est du pareil au même. Et même dans son aphrodisie c'est une honte de se montrer en tenue d'ève. Elle serait déshonorée si elle gardait ta robe de mage.
-Oh...
J'avais de la peine pour la Kitsune. Elle subissait quelque chose de très cruel, et on ne pouvait apparemment rien faire pour l'aider.
Je pris la main d'Alexandra et on a passé ensemble le portail avant qu'il ne se referme. Les autres étaient en train de nous attendre, alors je continuai à parler avec la Ténébrienne.
-Au fait, à propos d'Aurora... Je n'ai pas pu m'empêcher de faire la remarque que tu la traitais comme un homme.
-LE traiter comme un homme. Et je ne le traites pas comme tel. Il a beau ressembler à une femme, c'est un être asexué.
-Ah, OK...
On a rejoint les autres ; Ametara nous fit face, les bras grand ouverts, en nous souhaitant la bienvenue en Iran. Elle nous a quand même téléporté une fois de plus par les ondes et on a mangé. Il était temps de la phase de vol. Ametara, débordante d'énergie physique, sautillait sur place, n'en tenant plus. N0-V04 et Miku ont laissé leur place sur un aigle géant à Witz et Ferdinand, ceux qui étaient plus sujets au vertige ; N0-V04 était suffisamment calme pour ne pas faire une crise de panique. Ce revirement subit de personnalité m'étonnait profondément. Le pouvoir du Chi n'avait décidément pas fini de me surprendre !
On a fini par atteindre la huitième étape en même pas une demie-journée. Ce saut d'une longueur magistrale faisait décidément plaisir à Xenthores, qui voulait pas trainer dans cette galère pendant deux semaines entières. Si on continuait à rencontrer des "imprévus" de ce genre, on serait à Delphes en trois jours !
Cette nuit-là, ma tente n'était pas placée à côté de la fosse de N0-V04, mais des petits gémissements sont tout de même parvenus à moi. Je me suis décidé à aller voir et à prendre des nouvelles de Miku —puisque la Kitsune s'était portée volontaire pour le premier tour de garde—. Lorsqu'elle me vit arriver, elle s'agita. Je ne pus voir son visage, camouflé par l'ombre de sa capuche. Je me rendis compte d'ô combien c'était perturbant de me parler avec ça sur la tête.
-Thauroji ! Je ne saurai jamais comment te remercier...
-Je n'ai fait que te passer ma robe.
-Non, tu n'as pas fait que ça ! Si tu n'étais pas là, jamais il n'y aurait eu de Seconde Expédition, je ne serais pas là, on n'aurait pas rencontré Aurora et je n'aurais jamais pu me revoir telle que j'étais avant !
Je lui souriai par compassion.
-Si tu veux, je peux te passer mon pull en plus, je sais que ma tunique n'est pas très chaude.
-Attends... Tu es sûr ?
-Sûr et certain ! lui assurai-je en ouvrant la fermeture-éclair. Aurora m'a guéri de ma frilosité.
Elle se dévêtit un instant de ma robe pour mettre mon pull. Nom de Zeus j'en avais presque oublié qu'elle était pratiquement nue... Juste après s'être passée l'habit, elle avait un air apaisé et reconnaissant qui m'illuminait mes journées à chaque fois que j'y pensais. Le bonheur qu'elle ressentait n'avait pas de prix.
-C'est tellement dommage que cela ne va pas durer... fit-elle avec mélancolie en réenfilant la robe —et la capuche avec—.
-Ah ? Tu sais ?
-Thauroji, je vais fêter mes cinq-cent-soixante ans cette année. La plupart des Kitsunes sont érudits, c'est un des cadeaux de notre longue longévité. Alors moi, ce que j'ai étudié en particulier, c'est l'art des Arcanes et la géographie. Ce sont mes deux passions. Mais tout le monde, chez moi, connaît Aurora sur le bout des doigts. C'est notre plus grande fierté.
Je ne pus pas m'empêcher de remarquer qu'elle disait "chez moi" assez amèrement. Du reste, elle sembla être perturbée, puis, voyant que je ne lui posais pas de question, dût se dire que j'avais déjà entendu parler d'Aurora.
-Ecoutes-le, l'autre, dans sa fosse... Aurora l'a guéri de ses peurs, et ce soir ses cauchemars sont déjà revenus. Dans trois jours, tu en aura de nouveau marre du froid, et moi je redeviendrai...
Elle n'a pas fini sa phrase. Mais je comprenais totalement. Un silence s'installa, puis elle reprit :
-Je les détestes...
-De qui ?
-Les Exanthropes, annonça-t-elle comme si c'était une évidence.
-Alors pourquoi tu protèges N0-V04 ?
-Parce qu'il est ma voie vers la délivrance.
-Quoi, si tu veux être débarrassée de ta malédiction, il faut juste le protéger ?
-Si seulement c'était aussi simple ! rit-elle. Non, une seule chose peut réparer mes erreurs, et c'est tuer N1-V01. Et ramener sa tête à mon... à mon père.
-Miku, que s'est-il passé ?
Il était visible qu'elle voulait se confesser. Quelque chose, peut-être la peur d'être rejetée, la retenait, mais elle commença enfin :
-Je suis née d'une bonne famille Kitsune... Dans mon peuple, on est neutre. Les Exanthropes, les Kytsimms, les Fées, les Humains et même les Orcs, on est fort propices à fournir ressources et matériaux à tous, tant qu'ils nous fournissent une seule chose qui n'a aucun prix : la paix. Cette paix, elle fut renversée par les Orcs une fois ; c'était il n'y a pas si longtemps, ils voulaient des ressources de chez nous mais ils n'acceptent pas de cadeaux tant qu'ils ne les prennent pas par la force.
Moi, étrangement, j'adorais les Orcs. Enfin... Pas assez pour faire copain-copain avec, mais je les adorais. S'il y avait une race que je détestait profondément, c'étaient les Exanthropes.
-Pourquoi ?
-J'imagine que le fait que je sois une Arcaniste n'améliore pas les choses... Tu connais la relation entre Entia et Alexandra ; eh bien moi, je détestait —et je déteste toujours, d'ailleurs— les machines, sans doute parce que les Arcanes détruisent la technologie. J'avais cent-trente-neuf ans lorsque tout s'est corsé...
Elle s'arrêta net.
-Et alors ? Demandai-je.
-Je... J'ai tué trois hommes-robots.
J'ai cherché à digérer la nouvelle.
-Dis quelque chose, je t'en prie... supplia-t-elle. Si tu veux récupérer ta robe et ton pull, je comprendrais...
-Je n'approuve pas tes crimes... Mais j'estime que ta peine a déjà été trop dure. Garde les vêtements. A une condition : continue, je t'en prie.
-Je n'ai aucune excuse... pendant cent-trente-neuf ans, ma haine pour les machines n'a fait que prendre de l'ampleur. Et à un moment, j'ai craqué. Je n'avais pris aucune substance illicite, j'était complètement sobre...
-Continue.
-Je... D'accord. J'avais d'abord tué un Exanthrope. Mon père le sut tout de suite... Après avoir consommé une fortune pour me protéger, il me passa un savon comme je n'étais pas prête de l'oublier... Il m'accusait d'avoir ruiné l'honneur de ma famille, d'avoir bafoué les dieux... Dix jours plus tard, comme une imbécile, j'ai récidivé. Mon père m'a battue... Toujours, cela ne me servait pas de leçon ; j'ai encore tué.
Lorsque l'Empereur Exanthrope apprit le triple meurtre, une semaine plus tard à peine, il n'a pas tardé à agir. Je n'étais pas à la maison lorsqu'un envoyé de Vishkar alla voir mon père et lui annonça la nouvelle, accompagnée de toutes les preuves qu'il fallait. Si la police Exanthrope me trouvait, le verdict serait tout défini, même pas besoin de jugement...
Lorsque je revins à la maison, mon père pleurait de rage. J'avais déshonoré l'entièreté de ma famille, même les générations à venir. Jamais notre nom ne serait épuré de ses crimes. Au lieu de me livrer aux Exanthropes, il lava notre réputation. Une tradition veut qu'on maudisse ou qu'on bannisse les criminels. mon père... Mon père fit les deux. Il invoqua nos dieux pour me frapper d'aphrodisie ; aussitôt, je me sentis souillée dans ma robe de soie que j'enlevais en vitesse en la déchirant. Puis il me chassa du territoire Kitsune...
-Tu ne pourrais pas revenir ?
-Généralement, un banni a le regard des dieux posé sur lui et ce sont les dieux qui veillent à ce qu'il ne revienne plus. Pour moi, mon père n'a même pas pris la peine de demander aux dieux ; il lui a juste suffi de me chasser de sa maison. Personne n'aurait envie d'héberger une maudite comme moi, sinon pour profiter de ma situation, et il savait que je le savais.
Pendant trois cent ans je me suis égarée parmi les Hommes, gagnant mon pain par le pire des métiers. Et puis, un jour... un vieillard vint à moi. A cause de ma malédiction, je commençai immédiatement à le caresser... Il m'emmena dans un coin sombre et je m'apprêtai à commettre une action dégradante une fois de plus. En fait, il commença un rituel et nous nous sommes fait téléporter dans un énorme bâtiment. Ce vieillard, c'était l'Ancien. Et le bâtiment en question, c'était l'Académie des Néomages. Il m'a donné une nouvelle famille, une famille qui croyait en moi et surtout qui n'a jamais profité de moi.
-Mais cette malédiction te ronge et tu veux la réparer, ai-je supposé.
-Si tu crois que ça me fait plaisir de chaque jour me regarder dans la glace et de voir quelqu'un d'autre... Ce matin, c'était la première fois depuis quatre cent ans que je prenais ma forme animale. Parce que la malédiction d'aphrodisie n'a pas le même effet si j'ai cette forme, donc elle me l'interdit...
-Donc tu dis que tuer N1-V01 pourrait te faire pardonner ?
-A ce point-là, je ne peux rien faire de plus...
-Tu as été maudite parce que tu as tué des Exanthropes, tu ne pense pas attirer encore plus les foudres de ton père si tu lui ramène une tête d'Axo ?
-Je ne pense pas, Thauroji. N1-V01 n'est pas surnommée "le Fléau des Exos" pour rien. Elle est la cheffe d'un groupe qui s'apparente à une secte, les YPSO, qui œuvre pour libérer les femelles du joug des mâles dans la société Exanthrope. Si certains groupes possèdent le même objectif, les YPSO veulent faire régner les Axos en montrant aux Exos que ce sont elles les meilleures. N1-V01 et sa bande sont des meurtrières en série. Il y a une douzaine d'année, elle a réussi à mettre un Archontinent entier en position latérale de sécurité ; alors qu'Ampéria est surprotégée, l'empereur lui-même a été mis en léthargie. Depuis, comme ses héritiers ne peuvent pas prendre sa place, une femme inexpérimentée dirige l'Archontinent maladroitement ; l'Archontinent Technologique est au bord de la faillite depuis douze ans, c'est un miracle si les invasions d'Arcania sont repoussées.
-La vache !
-Oui. Cette Axo a une prime de cinq milliards d'Ampériums sur sa tête, pourtant les chasseurs de primes les plus renommés ne lui cherchent aucune merde. Seuls les fous, les ignorants et les téméraires se lancent à sa poursuite. Aucun d'eux n'est revenu. Elle est intrépide. Il est connu qu'elle est mariée à deux Grands Anciens ; Oorn, le gardien du Monde des Rêves, et Bugg-Shash, le Grand Ancien du meurtre qui effraie même les plus grands démons.
Le Monde des Rêves sert à beaucoup de choses, mais N1-V01 y va chaque soir pour regarder le futur pour la journée à venir ; elle sait toujours qui va attaquer, quand il va attaquer, et où il va attaquer. Et là, dès qu'elle sait qu'on l'attaque, elle tue. N1-V01 est une sociopathe qui ne ressent que très peu d'émotion ; elle ne verse jamais de larme ; elle ressent de l'amour, mais pour les deux Grands Anciens dont elle est mariée ; et surtout, SURTOUT ! Elle ne ressent jamais de plaisir, sinon lorsqu'elle voit les gens souffrir le martyr. La plupart des gens qu'elle a tué, on les a découverts désassemblés comme s'ils étaient faits de vulgaires pièces détachées ; elle les paralyse, leur injecte un poison très dolent mais qui les maintient en vie, leur arrache les dents, puis les ongles , puis les orteils, puis les doigts, les pieds, les mains, les yeux, la langue, les bras, les jambes, et c'est seulement quand sa victime n'est plus qu'un torse sanglant avec une tête qu'elle laisse la carcasse là où elle l'a trouvée, en train de se vider de son sang, de sa vie, de son âme. Certains disent même qu'elle mange les âmes de ses victimes, en passant d'un plan à l'autre grâce au Monde des Rêves.
-Charmant, fis-je, le visage blême.
Le fait que cette histoire me fut contée par un personnage dont le visage était caché dans l'ombre augmentait l'impression d'angoisse.
-Et encore... Elle a trois partenaires ; 7U-M1-N4, maîtresse des illusions et de la zizanie. Je te recommandes de nous vérifier régulièrement avec ton électrolocalisation, il n'y a pas de meilleur infiltratrice qu'elle. La fois où elle a infiltré le palais de l'empereur d'Ampéria pour mieux l'empoisonner, elle est restée pendant plus d'un an sous la forme de son épouse, allant jusqu'à simuler une grossesse et un accouchement. L'éléctrolocalisation, c'est parce que la vision électronique se fiche des photons, donc ça passe au travers de ses illusions lumineuses.
En train de flipper, j'activai ma vision de foudre et vis que Miku était bien Miku. 7U-M1-N4 n'était donc pas en face de moi. Pour être certain, je regardai tout autour, au cas où l'espionne était déjà parmi nous mais invisible.
-Et puis il y a M01-R4, la plus grande scientifique Exanthrope. On dit qu'elle et 7U-M1-N4 auraient réussi à braquer Centralis en secret et à faire une copie des données. Rien, sur Ampéria, n'est censé être plus sécurisé que Centralis ; car cette base de donnée nécessite tant d'énergie que si elle est détruite, il y aura une explosion énergétique qui rasera l'entièreté du continent Américain d'Ampéria. Il y a en fait trois rumeurs sur M01-R4 ; la seconde, c'est qu'elle aurait installé plusieurs Bombes Quantiques dans Ampéria. On n'en a découverte aucune, ce qui est inquiétant puisque toutes les bombes peuvent déchaîner leur chaos en même temps et n'importe quand. Dis-toi qu'une bombe quantique, c'est dix fois plus destructeur et cent fois plus condamnant qu'une bombe nucléaire.
-AH ! Et... Et c'est quoi, l'autre rumeur ?
-C'est qu'elle possède une arme secrète d'une puissance incomparable. Une arme plus puissante que toutes les bombes quantiques qu'elle aurait éparpillées dans le monde. On ne sait pas ce que c'est, tout ce qu'on sait c'est une faible rumeur. Et enfin, la dernière grande membre des YPSO, c'est C1-N37. une Axo cinétique.
-Et... Elle fait quoi, elle ?
-C'est basiquement la plus grande arme des YPSO. C1-N37 s'est faite arracher des membres pour les remplacer par des prothèses Orcs. Et les Orcs se fichent de la morale, de l'éthique ; même les Orcs de Lave, les êtres les plus courageux, bourrus et téméraires du multivers, n'ont plus de voix à force de hurler de douleur rien qu'avec une prothèse de doigt. Leur technologie est axée sur la guerre, et il n'y a rien de plus puissant en ces termes que leurs prothèses. C'est directement relié au nerfs, ces machins-là... Et à chaque mouvement, ces nerfs même sont tirés, ce qui provoque en même temps une démangeaison horrible, mais aussi une grande douleur. Eh bien dis-toi que pour les Exanthropes, cette douleur est empirée. Petit plus : pour un Exanthrope, se faire greffer de la technologie précaire est le plus grand des déshonneurs. Résultat : C1-N37 a des yeux Orcs écarquillés en permanence, des bras Orcs si grands qu'ils en touchent le sol et un masque de fer Orc sur sa bouche. Ceci donne une idée de son je-m'en-foutisme en ce qui concerne à la fois la douleur et le déshonneur. Elle n'est même plus capable de réfléchir par elle-même ! Elle vit pour obéir aux YPSO et détruire. C1-N37 est surtout connue pour sa lourde respiration horrible, sa lenteur angoissante qui se transforme en sprint acharné lorsqu'elle se trouve près d'une cible, et sa force incommensurable. Dans la plupart des peuples, on a des blagues de ce genre : "C1-N37 lance une grenade cryonique. Il y a trente morts. Puis la grenade explose."
-Hey, on avait la même avec un certain Chuck Norris, là d'où je viens ! informai-je.
-C'est peut-être inspiré. Quoi qu'il en soit, cette blague est basée sur des faits réels. Elle l'a vraiment fait. Seulement, des morts, il n'y en avait pas trente, il y en avait dix.
Je n'ai rien dit. Ma tête n'aurait pas été plus pâle si j'avais vêtu ma forme de demi-dieu. Pour C1-N37, le moindre caillou deviendrait donc une arme de destruction massive ?
-Chez les humains, les elfes etcaetera on essaie d'en rire, mais le nom seul d'une unique YPSO, et surtout de N1-V01, fait trembler l'entièreté des Exos. Pas des Axos, cependant ; tant qu'elles ne prennent pas le camp de leurs mâles, elles savent qu'elles ne craignent rien. N1-V01 est là pour les délivrer de la tyrannie masculine.
-C'est pas vraiment le genre de cause pour laquelle j'aurais pensé qu'on tuerait...
-Oui, mais les Exanthropes sont aussi rétrogrades sur les femmes que l'étaient les Grecs Anciens. Entia peut comprendre, je suppose. En attendant, écoute-moi ça ! On est en train de parler des YPSO, son pire cauchemar, et à aucun moment N0-V04 n'a crié ni n'a haussé la voix. On ne le dirait pas, mais il est toujours délivré d'un grand poids.
Ouais, eh ben ce poids il me l'avait surtout refourgué en mode "Salut ! Je te passe mes peurs ! Amuses-toi bien avec !".
Voyant que je gardais le silence, Miku se rapprocha de moi timidement :
-Euh... A propos de ma malédiction, tu me pardonnes ?
-Tu détestes toujours autant les Exanthropes, apparemment, soulignai-je. C'est une des premières choses que tu m'as dites, ce soir.
-Oui, je ne les aimes toujours pas, mais j'ai appris ma leçon... Plus jamais je n'oserai leur faire du mal.
-Tu as passé tant de temps avec cette malédiction que je suis bien obligé de te croire. Si tu t'es remise en question, alors je te pardonne.
Elle retira sa capuche qu'elle avait gardée tout du long de la conversation, dévoilant ainsi un large sourire :
-Merci, Thauroji. Merci infiniment, merci pour tout.
Elle m'embrassa sur la joue, puis appuya sa tête sur mon épaule. Ce n'était pas sa malédiction : elle n'a même pas tenté de me caresser. Non, c'était un geste sincère, un geste symbolisant en même temps le remerciement, la confiance et le confort. Je préférais cette Miku-là. C'est moi qui lui ai caressé les oreilles, après quelques minutes ; d'après les dires d'un Kitsune en cours de sociologie, caresser la tête et les oreilles d'un Kitsune c'est l'équivalent d'un câlin chez les humains. Un court instant plus tard, elle émettait de petits jappements ; comme elle avait les yeux fermés, je supposais qu'elle s'était endormie. Elle était si paisible que je n'ai même pas pris le risque de la réveiller en me bougeant. J'ai donc pris la décision d'assurer le prochain tour de garde, même avec ma paranoïa. Je réactivai quand même mon électrolocalisation pour vérifier si ce n'était pas 7U-M1-N4 qui se reposait sur mon épaule, mais il n'en était rien. Les paroles prononcées ce soir me hantèrent une heure avant que je ne prenne trop peur, que je ne ramène Miku à sa tente en vitesse et que j'appelle le prochain veilleur.
Je sautai dans mon lit, m'enfermai profondément dans mon sac de couchage et tentai désespérément de me calmer. Je me disais que ces monstres pouvaient attaquer n'importe quand...
à peine quelques heures après que je me sois miraculeusement endormi, la voix tonitruante de Ferd' résonnait de nouveau dans le camp... Nom de Zeus, j'aurais préféré ne rien savoir. Le savoir peut parfois être un fardeau.
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