Fields
(2022 - Réalité : Fields)
Le discours d'Olga était émouvant. Le shérif et ses agents ont pris note de chaque détail, retraçant le déroulé de cette sordide histoire. L'agent Brook avait une main sur celle de la victime en signe de compassion, d'empathie. Ils ont tous les trois du mal à croire que cela ait été possible et semblent estomaqués par cette affaire. Déterminés à faire tomber cette structure malsaine, ils s'en vont, lentement, laissant quelques mots de soutien à cette victime.
— Ça va aller, on s'occupe de cette histoire. Vous pouvez être sereine maintenant. Vous êtes entre de bonnes mains. Nous partons. Nous allons les faire tomber !
— Merci. Merci à vous.
— Nous reviendrons vous visiter prochainement, Olga. Bon rétablissement.
Sur ces mots, ils passent la porte, la laissant seule fasse à ses pensées torturées, alors que le crépuscule approche.
Tous les trois se dirigent maintenant vers la sortie de l'hôpital, croisant sur leur chemin un homme gras à l'allure étrange, un jerrican à la main.
— Excusez-moi monsieur, mais qu'est-ce que c'est ? l'interroge le shérif Cooper.
— C'est huile pour réparer le ascenseur, répond l'homme avec cet accent ukrainien.
Le shérif souffle un « Hum » dubitatif, mais décide de le croire, puis il tourne les talons vers la sortie. L'agent Fields continue de faire claquer son stylo à quatre couleurs, tentant de contrôler son stress.
— Tu veux bien arrêter avec ça ! Tu l'as déjà fait pendant tout l'entretien avec Olga Stempson, qu'est-ce que t'as, hein ? lui lance l'agent Brook. Y'a quelque chose qui te préoccupe ?
Fields détourne le regard pour ne pas lui répondre et s'engouffre dans la voiture de police, sur le siège arrière, côté passager. Brook monte devant et Cooper s'installe au poste de conduite. Ils prennent alors la route, traversant divers carrefours, avant d’arriver sur un des axes principaux de la ville ; une voie rapide à double sens de circulation qui contourne le côté sud de Cedar Valley. Un calme plat s'est imposé et, de ces trois représentants de l'ordre, pas un seul n'ose trahir cet étrange silence. Fields sort alors son smartphone pour passer un appel.
— C'est Fields. Tu pourras lui dire que ça va être fait. Oui. D'ici une minute. Entendu. Mes salutations à Ulrich Van Oaken.
L'étonnement gagne le visage de l'agent Brook, qui se retourne précipitamment alors que Fields raccroche.
— Qu'est-ce que tu viens ...
Fields l'interrompt d'une balle en pleine tête. Une détonation aussi vive que bruyante, faisant sursauter le shérif qui perd le contrôle du véhicule. La voiture part en tête à queue et traverse la chaussée pour finir sur le bord de route, de l'autre côté de la voie.
La cervelle de Brook étalée sur le pare-brise coule lentement vers les buses d'aération. Son corps sans vie est coincé entre les deux sièges avant. Cooper panique, porte sa main à sa ceinture et découvre que l'arme qu'a utilisé Fields est la sienne. Il se retourne alors face à celui qu'il croyait être son collègue.
— Fields, calme-toi. Pose cette arme lentement, lui conseille-t-il, ses paumes de mains tendues vers lui en signe d’apaisement.
Mais Fields en profite pour l'affaiblir, en tirant dans l'une de ses mains ; elle laisse à présent apparaître un trou sanglant. S'en suit un hurlement viril qui s'extirpe de la gorge de Cooper.
— Fields, pourquoi ?
— Personne ne doit savoir, dit-il avec un ton arrogant, presque fou. Personne ne doit connaître son histoire. Notre histoire. Le projet de Van Oaken est bien trop grand pour être ruiné à cause d'une pauvre hystérique qui nous a échappé. Un homme est en route pour l'éliminer. Qu'est-ce qu'il t'a dit déjà ? Ah oui ! ''C'est huile pour réparer le ascenseur''.
— C'est... Non. Non c'est pas ...
— Chuuut, souffle Fields. Ça va aller. Tu dois juste intégrer le fait qu'elle sera morte en vain, car aucun de nous n'ira raconter son histoire. Pas même toi. Car je vais devoir te tuer aussi.
Il rit tel un psychopathe, puis charge son arme et la pointe sur le shérif Cooper. Ce dernier se retourne et s'empresse d'ouvrir la portière avec sa main perforée, la pousse quand violemment, un camion qui passait un peu trop près l'arrache, emportant au même moment son bras.
Cooper agonise. Son épaule déformée laisse apparaître quelques os à peine soutenus par ce qu'il reste des chaires de son bras manquant. Les jambes encore dans l'habitacle de la voiture et le dos sur la chaussée, il tente de se retourner pour faire face au ciel qui s’assombrit à mesure que le soleil disparaît sous l'horizon. Il respire très lentement : dyspnéique, il dépend du rythme saccadé de son diaphragme. Il dépend aussi de l'hémorragie et de son importance. Mais il dépend surtout de Fields.
Ce dernier est parti à la rencontre du chauffeur du poids lourd pour l’abattre, à nouveau avec son revolver semi-automatique. Puis il longe la route pour récupérer la portière et le bras qui y est toujours greffé. Il retourne vers Cooper puis il lui souffle :
— Tu ne mérites pas une balle en pleine tête. Non, je pense que ton héroïsme factice requière une mort plus... travaillée. Tu ne crois pas ?
Cooper n'a pas le temps de répondre. Fields soulève la portière et la positionne bien droite, puis, comme une lame géante, il la projette sur les mâchoires du shérif afin de lui fendre le crâne en deux. La portière sectionne les os et les artères, heurte alors le bitume et reste droite, en équilibre entre ce qu'il reste des deux mâchoires de cette nouvelle victime. Entre la pomme d’Adam et le nez se trouve alors une sorte de pâte de chaire, d'os et de sang, qui maquille d'un rouge vif les yeux tristes du shérif. Un dernier gasp d'agonie émerge de ce qui était sa bouche, puis la portière chancelle et tombe sur le haut de son crâne, qui se vide de son contenu sur le goudron.
— Sa mission désormais accomplie, Fields n'a alors plus rien à devoir à personne. Il ne lui reste qu'une chose à faire ; se donner la mort pour respecter le contrat avec Ulrich Van Oaken. Il se dirige alors vers le capot moteur de la voiture de police, l'ouvre, saisit les câbles qui sont connectés de part et d'autre à la batterie, puis les porte à son torse. Comme un défibrillateur, ceci choque violemment son cœur, puis il s'effondre au sol, convulsant. Enfin, ses membres s'immobilisent, il s’apaise, le regard vide, et laisse ce doux néant s'emparer des lieux, habillant cette scène d'horreur de son noir le plus sombre.
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L'obscurité est tombée sur Cedar Valley. Plus rien n'existe. Tout est mort. C'est un nouveau paysage qui émerge à présent. Celui du cahot. Un cahot ukrainien. Un souffle radioactif semble avoir tout emporté. Pourtant, elle est là. Olga.
Elle marche, découpant l'épais brouillard, une entaille profondément gravée sur le côté gauche de son cou, les yeux mutilés et le corps meurtri. Cette faille laisse jaillir au ralenti un panache de sang qui se déploie avec volupté dans cet air stérile. Puis elle s'arrête. Le fluide d'hémoglobine se fige, en apesanteur, avant de changer de direction. Comme rembobiné, il regagne la plaie où étaient sectionnées l'artère carotidienne et la veine jugulaire. Quand tout ce liquide rouge et ferreux a regagné la gorge d'Olga, la plaie cicatrise. Son corps rajeuni, ses cheveux regagnent leurs reflets cuivrés et les pommettes rosissent à nouveau, avant que ces yeux ne se rouvrent, exempts de toute blessure. De son regard profond, elle scrute ce paysage rasé de la carte puis elle pointe du doigt une femme sur un lit de fer : une autre elle, une autre Olga. Elle s'adresse à elle en lui laissant ces quelques mots :
— Ton avenir.
Puis, tout explose à nouveau, dans un souffle glaçant, avant qu'une autre voix perce le silence :
— Olga ! Olga, je sais que tu m'entends.
La voix s’éclaircit à mesure qu'elle l'appelle. C'est celle d'Ulrich Van Oaken, qui flotte dans ce paysage sans vie, ne semblant s'adresser à personne.
— Olga. N'as-tu pas des questions ? Pourquoi les gardes de ma clinique n'ont pas réagi quand tu as franchi le portail ? Pourquoi Sean, qui travaillait pour moi, décida-t-il de t'aider à rejoindre l'hôpital de Cedar Valley ? Pourquoi ma clinique n’apparaît-elle pas sur Google Earth comme l'a découvert Viviane ? D'ailleurs, qu'est-ce que Google Earth, sinon un autre de mes projets de collecte de données qui verra le jour d'ici quelques années ?
Il fait une pause, puis reprend :
— Pourquoi n'as-tu pas conservé ton accent ukrainien ? Après tout, qu'est-ce qui est plus fictif que la fiction, sinon la réalité ? Voici un élément de réponse à tout cela. Il s'agit d'une réalité montée de toute pièce. Dans un rêve. Faisant ainsi de la fiction un rêve imbriqué !
Le néant retombe.
— Fin du programme. Tu te réveilles ! Tu me rejoins dans Le Vrai Monde. Maintenant !
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