Chapitre 1
1
Jour un.
Que ferais-tu si tu étais face à cette merveille ?
C’était la meilleure chose que tu puisses voir dans ta vie. Hermen Hustad rêvait de le voir, de ses yeux vu, de l’attraper et de le garder pour soi. Qui n’aimerait pas ça ? Il détenait dans ses mains l’édition du jour ; « 21 juillet 2137 ; Une espèce de papillon unique ? ».
Les journalistes étaient des idiots qui ne réalisaient pas sur quoi ils venaient de tomber. Ce titre n’était même pas à la une, juste un article au coin d’une page trop loin pour qu’on la lise. Tout le monde était passé à côté de la nouvelle qui allait révolutionner la Terre.
Hermen n’était pas un plaisantin qui se marrait de l’incroyable. Il était du genre à vérifier quinze fois ses sources avant de confirmer l’existence d’une nouvelle espèce. Bon sang, si seulement il pouvait l’admirer de ses propres yeux. Il donnerait tout pour l’avoir entre ses mains, mais à moins d’avoir une brique d’or sur lui, il n’intéresserait pas la Colombie.
— Es-tu sûr qu’ils ne se trompent pas ?
— Si ce que tu me dis est vrai, alors oui. Ce papillon doit valoir une fortune.
Hermen fixa son ami décontenancé, ses yeux noirs contrastaient par la brillance d’un chagrin, la mine pâlotte et dépitée ; c’était la pire nouvelle de sa vie. S’il pouvait pleurer, il le ferait. Mais cette histoire, il était le seul à pouvoir s’en occuper correctement.
Il se rongea l’ongle de son pouce tout en faisant les cent pas. Malgré l’ambiance de son appartement saturé de terrariums aux milliers de papillons, les lampes à UV qui simulaient un été chaleureux, des piles de dossiers qui donneraient l’envie aux urbexeurs de visiter cet endroit mythique, il ne trouvait aucune idée pour se satisfaire.
Allez, la solution pour éviter la catastrophe sociale. Ça ne devait pas être bien difficile. Il en voyait bien une, mais… Quelle galère.
Il en avait vu des choses au cours de sa carrière, des espèces bien rares qu’on priait pour les déceler, des captures miraculeuses, des rencontres intéressantes. Il avait fait le tour du monde pour augmenter sa collection, il connaissait ces insectes par cœur. Après trente années à s’en occuper, il ne s’était jamais imaginé tomber sur un lépidoptère inédit à ce jour.
— Ça va être hard.
— Tout de même, j’ai jamais vu ça.
— Personne n’a jamais vu ça, Klek. Pas même moi, t’imagines. C’est mon métier. Pas même aucun autre lépidoptériste. On passe notre temps à étudier les lépidoptères, jusqu’à leur migration. Comment une espèce de la sorte aurait pu nous échapper ? On sait où ils volent, où ils vont, ce qu’ils font, on sait tout bordel.
— C’est bizarre tout ça. Peut-être qu’elle se cachait ? En tout cas, ce papillon vaut sept cent trente-deux millions d’euros aujourd’hui. Et vu ce que tu me dis, je pense qu’ils la sous-estiment beaucoup. Elle doit valoir… Peut-être un milliard.
Klek Isarra était un économiste réputé. Le genre qu’on idolâtrait, qu’on ne contredisait jamais et dont on acquiesçait tout ce qu’il disait. Il avait prédit les plus grandes crises économiques, nommé les points critiques, les solutions, un tout. Avec ses rides creusées, ses cheveux blancs qui saturaient sa couleur grisâtre, il pensait avoir tout vu en cinquante-six ans. Pourtant, ce jour-là, si Hermen disait vrai, il venait d’estimer le prix d’un papillon à au moins un milliard d’euros.
Il se jeta sur une chaise, ses jambes à bout de force. Que c’était épuisant d’être sous le choc. Il releva ses lunettes, ses yeux rivés sur son ami qui continuait de contempler les vidéos du papillon. D’un geste approbateur de la tête, il le comprit sans se dire un mot. Oui, cette chose est incroyable, pensa-t-il.
La taille de l’insecte était conséquente, une bonne vingtaine de centimètres. Ses antennes étaient longues et ramifiées, son thorax bleu, violet ou rose, ça dépendait de la lumière. Mais c’était ses ailes qui attiraient vraiment l’œil, transparentes aux reflets aux mille couleurs comme du cristal. Non, des diamants. Des diamants bleus, roses, violets et verts en même temps, c’était ça. Ça y ressemblait, mais avec une rareté davantage considérable.
Même Klek, qui n’y connaissait rien, le regardait avec obsession. Qu’est-ce qu’il ne donnerait pas pour admirer ses couleurs, ses lumières, ses nuances. Il détestait les caméras qui manquaient de performance pour retranscrire parfaitement la réalité.
— Hé, dis-moi. Qu’est-ce que tu comptes faire ?
Hermen se tourna vers lui, un soupir s’échappa comme un coup de massue qui lui explosait le crâne. Ah, que fallait-il faire dans ces moments-là ? Personne n’en aurait la réponse. Les gens n’agissaient que sur des impulsions depuis sa découverte.
C’était un type qui n’intéressait personne qui était tombé sur ce miracle animal, fasciné, il l’avait embarqué chez lui. Il s’était empressé de propager maintes photos et vidéos pour s’en vanter. Cette nouvelle était passée dans les journaux du monde entier, mais personne n’y constatait un grand intérêt. Un nouveau papillon, et ?
Un spécialiste l’avait recueilli pour en définir n’était-ce qu’un nom, mais après l’étude de ses écailles, là, les choses avaient changé grandement. Des centaines de millions d’euros, avait-on dit. Davantage quand les gemmologues se mettront d’accord sur la valeur de cette matière. C’était ce qu’il valait, une richesse sur un être vivant qu’on pouvait apprivoiser. Celui qui le gagnerait serait le plus chanceux de tous.
Mais Hermen était quelqu’un de sacrément tenace. Il le voulait, ce papillon.
— Je vais aller le récupérer.
— T’as de l’espoir toi, rit-il. L’armée colombienne l’a récup. Tu vas voir qu’elle va le vendre aux États-Unis et que, bientôt, ils feront plein de tests pour forcer sa reproduction et en avoir plein d’autres comme lui.
— Je vais ramener mon armée à moi pour les forcer à me le donner.
— Ah ouais ? Comment tu vas te la dégoter, ton armée ?
Il y avait une chose sympathique avec la chance ; on pouvait la provoquer. N’importe qui d’ailleurs. Même toi. Tu n’avais besoin que d’un paquet de pognons et le tour était joué.
— Je vais chialer dans leurs pattes. Et tu vas venir avec moi faire pareil.
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