Chapitre 5

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Hermen se colla à As dans l’effroi d’être plongé dans un échange de balles. Bon sang, il n’avait pas signé pour en arriver là. Tout ce qu’il désirait, c’était ce papillon. S’il était gardé par des militaires, ça ne faisait aucun doute que l’horreur attendait ce monde.

— Tu vois, chuchota-t-il, ils ont foutu des types armés pour être sûrs que personne ne vole le lépidoptère. Si tu ne me croyais toujours pas sur les conséquences que cet animal va produire, maintenant, tu peux en être certain.

Il fallait le voir autrement ; ces soldats ne protégeaient pas un papillon, mais plusieurs milliards d’euros dans un monde ravagé par la crise économique. C’était un pactole qui empêcherait n’importe quel pays de couler dans le krach boursier. Après, s'il souhaitait récupérer l’insecte au prix de sa vie, il n’en était plus sûr. La peur lui serra l’estomac, son corps entier tremblait, il aurait voulu courir dans la forêt pour ne jamais affronter cette guerre. Mais ça signifiait quitter As et donc sa seule protection. Non merci.

Le colonel, lui, n’en revenait pas. En fait, il s’était préparé à s’ancrer dans une bataille incessante. Si ce n’était pas ce jour-là, avec ce pays, ça serait dans un mois avec une autre nation. C’était inévitable d’entrer en guerre tant la planète devenait susceptible à force d’échecs. Les liens s’étaient dissociés, reformés, créés, anéantis. Autrefois, la France était alliée avec les États-Unis, mais la compétition avait entraîné des tensions qu’elle ne souhaitait pas régler.

Avec la mondialisation, aucun territoire n’avait été épargné. Si l’un tombait, tous suivaient. Par contre, quand il s’agissait de remonter la pente, l’individualité primait. Les alliances n’étaient plus que de l’hypocrisie qu’on n’assumait pas. Ça oui, As avait été pris de court. Enfin, ça faisait des années qu’il se préparait, c’était un acte qui surprenait toujours, peu importait les indices.

— Bon, commença As, tu n’as pas envie de voir ça.

Il avait ordonné à son escouade de supprimer les deux ennemis tandis qu’il incitait Hermen à tourner le dos. Lui-même ne s’était jamais habitué à voir des hommes mourir, encore moins par sa faute. Personne n’y prenait l’habitude. Tu en ressortais traumatisé, dépressif, alcoolique. Tu noyais ta culpabilité dans n’importe quelle substance qui effaçait ta mémoire. Tu te sanctionnais par la solitude, tu t’insultais, tu pensais ne mériter aucun bonheur quand tu en avais privé d’autres de ce plaisir. Tu ne t’en remettais jamais, c’était à peine si tu t’y adaptais.

As avait déjà tué, trois ans par le passé. Il n’était encore qu’un soldat banal qui avait été envoyé sur le terrain pour une histoire de terrorisme. Les attentats étaient nombreux, car on les considérait comme le meilleur moyen de faire chanter un gouvernement. Ce jour-là, il avait envoyé une grenade dans un troupeau de soldats ennemis. Les cris agonisants, l’odeur de fer, les bouts de chair qui se propageaient sur des mètres, ce souvenir le hantait chaque nuit. Dès que le silence le forçait à penser, elles traînaient dans son esprit.

Lui non plus n’avait pas envie d’être témoin de ces assassinats. Mais il était le commandant de cette mission alors il avait avancé de quelques pas pour être certain qu’il n’y ait pas de problème. L’un des soldats colombiens avait été égorgé tandis que l’autre était désarmé et étouffé. À six envoyés pour faire le sale boulot contre deux, ils n’auraient eu aucune chance.

— Où est-ce que tu penses qu’ils l’ont mis ?

— J’en sais rien. Vu la sécurité pour que personne s’en approche, je dirais vers les derniers étages.

Il laissa ses soldats rentrer les premiers pour faire le ménage comme il disait si bien. La mitraillette pointée vers l’avant, le dos courbé, les yeux rivés sur les alentours, pas après pas, il se glissa dans les escaliers.

— Tu restes bien derrière moi. Tu ne fais aucun bruit, rien.

Ils passèrent le premier étage, puis le second, le troisième. Le silence le tuait lentement, cette pression qu’un jump scare lui sauterait à la gorge, qu’à tout instant, un ennemi sortirait de sa cachette. Son cœur explosa dans sa poitrine, la douleur le comprima, ses mains moites glissèrent sur le métal de son arme, son doigt contre la gâchette s’efforça de ne pas céder à la tentation d’appuyer.

C’était l’angoisse, la vraie, celle qui le déconnectait du monde, qui lui faisait oublier qu’il avait des parents, un métier, ses besoins primaires, celle qui le réduisait à un obsédé fou de la guerre. Il n’y avait plus que lui et les ennemis, lui et des hommes armés jusqu’aux dents, lui et la mort.

— Ça doit être là, murmura Hermen.

As tressaillit comme la fois où il avait regardé un film d’horreur. À un rien de tirer dans le vide, il le fixa avec un regard de tueur. Oui, il aurait pu le massacrer sur-le-champ tant il s’en voulait d’avoir sursauté comme un débutant. Heureusement qu’il avait mieux à faire, par exemple, surveiller qu’un soldat ne vienne pas les contrecarrer.

Il vit son camarade pointer du doigt un plan sur le mur. Les vivariums s’implantaient au sixième étage. Il se retint de le sermonner parce qu’il avait sans doute raison, mais si ça ne tenait qu’à lui et son impatience, il lui aurait hurlé dessus.

Ils continuèrent de grimper les escaliers jusqu’à leur cible, poussèrent la porte et s’insérèrent dans un couloir. C’était calme comme l’enfer. Il n’y avait personne comme si tous avaient déserté. Il pouvait entendre d’ici les tirs du rez-de-chaussée, mince, ils avaient été alertés. Son rythme cardiaque s’emballa à l’idée d’avoir été démasqués depuis plusieurs heures.

Il n’y avait que deux hypothèses, soit les ennemis étaient tous en bas, soit ils les attendaient. Il ne sut pas quoi faire tant son anxiété le perdit, incapable de penser. Il en était sûr, leur mission était un échec.

Puis il y eut ce mauvais pressentiment, celui qui bousculait ses plans, qui devinait la mort, incontrôlable, évident, c’était son instinct qui lui imposait ses mouvements. Stop. Un bruit de pas titilla son ouïe à deux mètres de lui. Hermen ? Pourquoi était-il si loin ? Il lui avait ordonné de rester collé à son cul. Non, ce n’était pas lui. C’était un ennemi, il se le jura.

Un cri aigu, bien que faible, du genre surpris, retentit derrière lui.

— Pose ton arme.

Putain. L’erreur de débutant. Il avait pourtant vérifié l’horizon, mais il aurait dû fouiller les pièces. Hermen avait un fusil sur sa tempe. Deux étoiles sur le devant de son buste, c’était un lieutenant colombien qui avait pris en otage son camarade. Que faire ? Il pointait sa mitraillette sur l’ennemi, un geste et il le tuerait. Mais si son allié en pâtissait ? Au fond, est-ce que sa perte aurait un intérêt ? Ce n’était qu’un spécialiste des papillons dont tout le monde se fichait. Puis, il y avait ce Klek qui pourrait l’aider à faire on ne sait quoi de cette histoire.

Trois autres soldats ennemis apparurent devant lui. Bon, son questionnement devint obsolète. Un contre quatre, il n’avait aucune chance. Quelle idée de merde d’avoir été en Colombie.

Il était trop jeune pour mourir ainsi. Bon, tant qu’il respirait, il ne fallait pas désespérer. Il prit une grande inspiration et jeta son arme au sol. Il leva ses bras et pria intérieurement pour ne pas être fusillé par quatre armes à feu en même temps. Il n’avait pas envie de voir son corps réduit en purée, s’il pouvait au moins rester en un seul morceau.

Le lieutenant paraissait un peu plus âgé que lui, les cheveux courts, mais assez longs pour être en bataille. Les yeux noirs, As aurait préféré les découvrir autrement que par ce regard d’assassin. Il ne sut plus comment agir, s’il bougeait, il serait tué. Les secondes étaient des heures, la température donnait l’air d’une canicule, l’humidité l’oppressait dans son uniforme, c’était long, si long, trop long. Que ce type fasse quelque chose, n’importe quoi, qu’il le tue même si ça permettait de cesser ce supplice.

— Je ne vous ai jamais aimés, vous, los Franceses. Vous vous prenez pour des Dioses et c’est pour ça que vous êtes prévisibles. Sostén las armas.

Qu’est-ce qu’il venait d’ordonner aux autres soldats ? Tout devait se jouer avec minutie. À la moindre faute, c’en était fini pour lui. Plus d’avenir, plus d’amour, plus de regrets, il ne serait plus qu’un cadavre en décomposition dans une boite en bois. Et encore, si tant ils ne le brûlaient pas et éparpillaient les cendres dans des toilettes.

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