« Said hey honey take a walk on the wild side »

Walk On The Wild Side, Lou Reed (reprise par Vanessa Paradis sur son album Variations Sur Le Même T’Aime)

Je noircis des pages entières en écoutant tomber la pluie.

Des pages qui s’égrènent, qui s’égarent pour finir inlassablement froissées ou déchirées. Que pourrais-je faire d’autre ? Prier ? Je brûlerai en enfer de toute manière. Pour mes pensées lubriques. Pour ce que je t’ai fait, Clarisse.

D’où je suis, la lucarne sur le monde est trop étroite pour m’évader. Il n’y a que les souvenirs qui m’emportent. Le souvenir de ton corps que je n’ai jamais pu toucher.

A quoi bon t’écrire ces lettres ? Pour flageller ma chair peut-être…

Je t’ai soustraite à la vie par pur égoïsme. Désormais, tu m’appartiens, seulement je n’ai que du vide sous mes doigts. Tu demeures aussi impalpable qu’un fantasme inavouable.

Adam n’a jamais été qu’un guignol. Il n’était pas digne de tes faveurs, ta déférence, ton aliénation à ses avances. Comment a-t-il pu t’aveugler à ce point ? L’idée même de vos ébats me foutait la gerbe, alors que celle de te prendre me donne cette rectitude avec laquelle j’aurais aimé forer ton antre.

Clarisse, tu aurais dû m’aimer. Voire me haïr. J’aurais au moins eu une infime part de ta considération. Las, mes efforts de gentillesse ne servaient à rien, tu m’asphyxiais par ta trop lointaine indifférence. Même les pitbulls ou les roquets ont droit à des caresses. J’étais probablement encore moins que ça à tes yeux.

Dans mes nuits de colère, lorsque tu me faisais l’affront de me toiser de ta hautaine suffisance, je te baisais, soumise ! Oh oui, tu étais à ma merci, mon amour ! Menottée au barreau d’un lit glacial, en tenue d’Eve. Tu criais sans doute sous mes assauts de mâle, de douleur peut-être, mais de jouissance aussi. Une jouissance contrainte que ton connard de prince charmant ne pouvait empêcher. Il était trop lâche. Même dans vos transports, il n’avait aucune envergure.

Je l’imagine souvent sangloter comme un minot sur ta tombe, pitoyable. Plus tard, quand il aura rayé de sa mémoire ce que vous avez vécu ensemble, une banale histoire de cul en somme, il se perdra dans d’autres bras. Il fanfaronnera de ses coucheries, il t’oubliera, Clarisse.

Mes sentiments pour toi ont toujours été plus nobles que les siens. J’ai sacrifié ton enveloppe charnelle sur l’autel de notre amour. J’ai renoncé à mon désir par orgueil et t’ai érigée en déesse platonique. J’ai à jamais figé ta beauté, icône éternelle. Et je te voue un culte, te vénère, tel un fidèle dont le salut de l’âme ne dépend que de toi. Absous mes pêchés, ma Vénus bien-aimée, car ce qui nous lie à jamais est plus fort que la mort. Rien ne peut le briser.

Tiens, il ne pleut plus ! Ton image envahit ma cellule à présent. Je l’ai collée partout contre les murs. Un délire obscène.

Ces quelques feuillets n’iront pas rejoindre les autres. Ils sont ma confession. Je t’ai enchaînée à mon être, Clarisse, contre ton gré. Je t’ai faite mienne parce que je t’aime à te tuer. Oui, je t’aime comme un fou, et ma folie te fut fatale.

C’est ça que je leur dirai demain, quand j’irai te rejoindre, lorsque je descendrai le grand escalier de pierre et que tu seras sur le perron à attendre qu’ils rendent leur sentence. Leur feu me purifiera peut-être. Et peut-être m’autoriseront-t-ils à te visiter une dernière fois dans ton sanctuaire. Je m’agenouillerai devant toi en implorant ce pardon que je ne mérite pas. Je t’ai mise à mort, mon amour, j’ai sonné ton glas. Repose enfin en paix, et que cette passion coupable me poignarde à jamais. A jamais, Clarisse…