Usif le précieux

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 Il était une fois, dans un pays lointain, une île appelée Ladon, peuplée de dragons. Il y en avait de différentes tailles : des dragons nains aux jambes courtes, les plus petits mais les plus rapides ; ils ne mesuraient que quelques centimètres et servaient surtout à transmettre des messages entre les points relais du domaine. Des dragons titans, les plus grands et les plus puissants, qui pouvaient atteindre plusieurs dizaines de mètres ; ils étaient utiles pour l'attaque grâce aux pointes le long de leur échine, et pour la protection car leur peau était extrêmement solide. On y trouvait aussi des dragons ouvriers aux longues pattes, qui construisaient toute la cité et se chargeaient de la rendre prospère aux cotés des dragons chasseurs aux cous extensibles. La hiérarchie se décidait suivant plusieurs critères. Essentiellement les attributs physiques, comme la longueur des membres, l'envergure des ailes, la solidité des griffes ou encore la taille de la queue, mais aussi la couleur de la peau et des écailles. Plus la couleur était pure et sans tâche, plus le grade était élevé. Ainsi certains petits dragons verts émeraude pouvaient être conseillers royaux tandis que des dragons géants oranges à pois blancs n'étaient que des nourrices.

 Tout ce monde vivait sous la haute autorité du roi Ysil, dont le nom signifiait « le plus grand et le plus puissant ». Ses écailles dorsales couleur ciel, son immense queue dorée, ses ailes démesurément grandes rouges vifs et son visage au reflet argenté étaient les caractéristiques des dragons célestes, le dernier de son espèce. Quand il volait, il semblait disparaître : Ses écailles bleues se confondaient avec le ciel, sa queue paraissait être le soleil et son visage ressemblait à des nuages. Il n'était visible aux yeux de ses ennemis qu'au dernier moment lorsqu'il déployait ses ailes pour leur infliger le coup de grâce à l'aide de ses flammes dévastatrices, d'une chaleur et d'une ampleur incomparables. Il dirigeait l'île d'une patte de fer, et ses ordres n'étaient jamais contestés. Il était l'époux de la reine Trea « la protectrice », dragonne enchanteresse peu tachetée aux écailles blanches et roses, reconnaissable par sa particularité unique : elle possédait deux queues. Cet attribut rare l'avait propulsée très haut dans la hiérarchie dès sa plus tendre enfance, et elle avait appris les bases du commandement et de la magie alors qu'elle n'avait que 50 ans. Elle fut rapidement mise à la tête de la défense magique contre leurs rivaux mortels, les créatures mi-hommes mi-boucs : les satyres.

  Depuis trois millénaires, ces deux peuples voisins se livraient une lutte incessante pour le contrôle de la montagne noire, qui abritait la très ancienne et très précieuse flamme éternelle. Ce feu qui brûlait sans jamais faiblir avait été allumé il y a plusieurs millions d'années par le père de tous les dragons, Pyro « l'enflammé ». C'était l'emblème des dragons, elle leur permettait de vivre convenablement grâce à la chaleur qu'elle dégageait et qui les protégeait du froid. Mais les satyres la convoitaient depuis longtemps pour que leurs congénères connaissent à leur tour l'âge d'or et ils avaient essayé de la voler à plusieurs reprises. Ils réussirent lors de la Grande Bataille de la montagne, il y a 2500 années, avant qu'Ysil ne la récupère dans un affrontement épique qui lui octroya le titre de dragon divin et de roi des dragons.

  Depuis environ 120 ans, la reine était enceinte et allait bientôt mettre bas. Tout le village se préparait à accueillir le fils du chef et les défenseurs renforçaient considérablement les protections de la cité. Pendant les moments d’accalmie, les villageois décoraient leurs maisons, embellissaient la rue principale et portaient secours à la maison royale. Trea passait ses journées allongée sur ordre de son mari et les sage-femmes l'assistaient pour surveiller son état de santé. Quand l'heure arriva, tout le village retint sa respiration et lorsque l'enfant naquit, tous les dragons soufflèrent un immense feu de joie qui enflamma le ciel et fit trembler la terre. Le bébé n'avait pas encore sa couleur définitive, mais il ressemblait à son père, sans les pointes sur le dos qui n'apparaissent que plus tard. Cela ne faisait cependant aucun doute : c'était un dragon céleste. Le seul de sa génération et le dernier après son père.

Ils étaient tellement occupés que personne ne vit le satyre espion, déguisé en dragon, qui s'était introduit dans le domaine jusqu'à la maison royale. Trea se préparait à insuffler la première flamme libératrice à son fils, flamme indispensablement transmise de la mère à l'enfant pour qu'il puisse cracher du feu, mais aussi en manger et y résister. Le satyre surgit par surprise avec une dague de glace en main, l'élément le plus mortel pour un dragon. Il se dirigea vers le berceau avec une telle vitesse que la mère eut à peine le temps de mettre son corps en travers de la trajectoire de l'arme. Elle fut touchée à la patte, et commença subitement à geler. Le roi attrapa l'ennemi et cracha son feu le plus intense dans sa direction, ce qui le réduisit en cendres instantanément. Puis il se dirigea vers sa femme qui tomba dans ses bras. Son feu intérieur se faisait de plus en plus petit, et tout le monde savait que sa dernière heure était arrivée. Ysil la regarda paniqué et lui murmura :

- Trea, je t'en supplie, reste avec moi, ne pars pas comme ça !

- Je suis désolée, répondit-elle à bout de force, j'aurais aimé vivre pour notre fils. Le voir grandir, faire ses premiers pas, ses premières blagues, sa première journée d'école. Je suis sûr qu'il sera tellement beau et majestueux. Dis lui de prendre soin de lui, de se brosser les crocs tous les jours, de bien écouter ses professeurs et toujours faire ses devoirs.

- Tu lui diras toi-même. Je vais t'emmener sur la montagne noire, la flamme va te réchauffer. Tu verras, tout va bien se passer.

- Il est trop tard pour moi, je ne tiendrai pas. Emmène vite notre enfant vers moi pour que je puisse…

  Elle toussa avant d'avoir pu finir sa phrase et se mit à trembler de froid. Jusqu'à ses ailes, tout son corps était devenu glaçon. Une nourrice transporta le nouveau-né vers elle et le mit dans ses bras. La reine cracha vers son enfant, mais ce qui sortit ne fut qu'un souffle glacé. Elle baissa la tête de désespoir, sachant que sa vie ne sera pas facile à cause d'elle. La flamme qui l'habitait avait malheureusement été refroidie, elle ne pouvait donc pas donner à son fils son premier feu. Elle le regarda avec honte et lui murmura en sanglotant :

- Je suis désolé mon enfant. Tu vas probablement me détester pendant les premiers jours de ta vie en comprenant mon erreur. Je n'ai pas été assez vigilante et ils en ont profité pour m'attaquer. Tu te sentiras faible, haï, mais je sais que tu accompliras des choses exceptionnelles. Tu seras le plus grand et le plus puissant de tous les dragons. Aie confiance en toi et en ton père, il te protégera et te donnera l'amour que je ne peux te donner. Je te prie de trouver la force en toi de me pardonner.

  La glace atteignait maintenant ses bras et elle donna l'enfant à Ysil avant de le congeler lui aussi. Elle avait de plus en plus froid et sentait le givre gagner son cou, puis son visage. Elle n'eut le temps de prononcer qu'une dernière phrase avant de geler complètement :

- Mon fils.  Usif « le précieux ». Sois fort, maman veillera sur toi. Je t'aime.

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