La flamme éternelle

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 Usif fut réveillé par un grand vent frais qui s'infiltrait dans son habit et le faisait grelotter. Ce qu'il redoutait depuis longtemps avait fini par arriver. Il savait qu'il allait mourir. Il n'avait jamais eu la carrure pour entreprendre un tel voyage, surtout pour lui, le dragon qui n'avait pas de feu intérieur. Il se sentait frigorifié de la tête aux pieds, dans l'impossibilité de faire un mouvement. Ses pattes arrières étaient blanches de givre, et ses pattes avant n'allaient guère mieux. Il inhala une grande bouffée d'air et fut parcouru d'une immense douleur dans le dos qui l’empêcha de terminer son inspiration. Il avait atterri sur un morceau de bois qui s'était logé sous une écaille, pas loin de sa colonne vertébrale. Il se tourna et voulut le déloger de ses mains, mais la douleur lui arracha un cri puissant.

 Il observa les alentours à la recherche d'une solution et resta pétrifié par la scène qu'il avait devant les yeux. Une satyre se tenait au dessus de lui, un bâton à la main, prête à lui assener le coup fatal. Le dragon, à bout de force, ne pouvait pas réagir. Il savait que sa dernière heure avait sonné. Il fixa la jeune créature en silence, dans un grand calme, sans peur, comme pour attendre la délivrance qu'il espérait. Mais la satyre restait statique, son arme brandie au dessus de sa tête, les yeux plongés dans les siens.

- C'est… c'est grâce à toi ! dit l'animal stupéfait. C'est toi qui m'as fait sortir. Tu m'as libérée !

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Je n'ai rien fait de tel.

- Tu as cassé le mur qui me retenait prisonnière du minotaure, et tu m'as permis de m'échapper !

- Et c'est toi qui l'as fait fuir en lui brûlant le derrière. Répondit Usif avec une profonde reconnaissance. Ça tombe bien que tu sois là, est-ce que tu aurais quelque chose à manger ?

- Non je ne peux pas, rétorqua-t-elle sèchement. Tu es tout de même un dragon, tu appartiens au peuple ennemi, qu'est-ce qui me prouve que tu ne vas pas me faire du mal ?

- Je t'ai sauvé la vie non ? Mentit-il en sachant que ce n'était pas lui qui avait cassé le mur. Je t'en supplie, je ne veux pas mourir comme ça.

La satyre réfléchit longuement, puis posa devant elle les fruits qu'elle avait cueillis sur l'arbre.

- Je les mets ici, maintenant tu te débrouilles.

- Attends ! dit Usif qui avait remarqué que la jeune femme boitait. Tu ne vas pas faire le chemin toute seule ? Tu vas encore te faire attaquer par plein de créatures dangereuses, et il n'y aura personne pour te protéger. Viens avec moi, je pourrais t'aider.

- Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ? Qu'est-ce que tu aurais à en tirer ?

- J'ai aperçu dans ton sac une torche, elle pourrait m'être utile.

- Tu veux ma torche ? Impossible, j'en ai besoin.

- Je sais, vous voulez voler la flamme éternelle aux dragons pour que votre race prospère.

- Tu crois que c'est pour ça ?  questionna-t-elle avec mépris. Bon sang, vous êtes vraiment tous stupides. Cette flamme nous sert à vivre. Sans elle nous ne pourrions pas manger convenablement car les aliments froids nous rendent malades. Nous ne passerions jamais l'hiver sans la possibilité de nous réchauffer. Nous n'avons pas un feu intérieur comme vous.

 Le dragon se rendit compte que les satyres ne volaient pas la flamme par pur égoïsme, mais pour survivre. Ils ne pouvaient pas manger de feu, ni y résister. Ils étaient comme lui.

- Je n'ai pas de feu intérieur non plus, avoua-t-il, comme pour s'excuser. Je suis désolé que cette pathétique guerre vous…

- Attends attends. Tu n'as pas de feu intérieur ? Tu es Usif ?

- C'était donc vrai, tout le monde me connaît.

- J'arrive pas à y croire. J'ai en face de moi le célèbre dragon. Mes potes ne vont pas en revenir quand je leur raconterai !

- Tu vas m'aider ou pas ? insista l'aventurier, lassé d'être connu pour son handicap.

- Bien sûr, je veux bien t'escorter à la flamme et te prêter ma torche une fois sur place si tu me promets de me défendre contre les créatures présentes ici et de m'accompagner dans mon village pour ramener le feu là-bas.

- Ça ne m'enchante pas trop, mais je n'ai pas le choix. Marché conclu.

 Il se serrèrent la patte, et Usif engloutit les fruits exposés devant lui tandis que la satyre rangea son arme et prépara ses affaires. Puis, dans un moment d'inattention du dragon, la créature mi-bique mi-femme se plaça derrière son nouveau compagnon et tira d'un coup sec sur le morceau de bois enfoncé dans son dos. Le jeune poussa un long cri de douleur qui fit trembler la terre.

- Voilà qui est fait, dit la satyre fièrement ! La victime la fusilla du regard avant de finir son repas en silence. Après une heure de repos, le dragon, requinqué, et sa camarade entreprirent l'ascension de la falaise devant eux. Ils s'étaient attachés ensemble avec du cordage, et le dragon faisait le plus gros du travail pendant que la satyre s'assurait que les vivres ne tombent pas. Les premiers mètres furent faciles, et la progression était aisée. Puis la paroi se fit de plus en plus friable, compliquant la tâche du grimpeur qui manqua de tomber à plusieurs reprises.

- Qu'est-ce que qui se passe ? questionna le dragon qui s’essoufflait progressivement, pas totalement remis de sa précédente chute.

- Le feu brûle en permanence ici. Il empêche tout développement de vie à cause de sa chaleur qui transforme toute l'eau en vapeur et qui assèche la terre. Ça doit être une grande désillusion pour toi : ce qui est source de vie pour vous est source de destruction pour d'autres. Votre pathétique flammèche ne…

- N'importe quoi. Ce n'est pas n'importe quelle flamme, elle a été mise ici par notre grand ancêtre Pyro, père de tous les dragons. C'est la flamme la plus exceptionnelle jamais vue et vous, les satyres, essayez de la voler sans demander. Je suis sûr que si vous expliquiez à mon père la raison de votre convoitise, nos deux peuples trouveraient un arrangement.

- La dernière fois que les dragons et les satyres ont voulu négocier, ça s'est soldé par la Grande Bataille.

 Usif se rendit compte que le dialogue était impossible, et la diplomatie illusoire entre ces deux tribus voisines. Il se tut et reprit l'ascension de plus belle. Ils montèrent pendant une bonne demi-heure avant d'apercevoir la fin de l'escalade. Ils se posèrent sur la terre ferme, pensant apercevoir un immense feu, mais ils ne virent qu'une petite forêt de bambous immenses au milieu du plateau. Le dragon désespéra d'être arrivé au sommet, mais de ne pas visualiser l'ombre d'un brasier. Ils s'enfoncèrent au milieu des arbres, cherchant un abri pour la nuit, lorsqu'une crevasse s'ouvrit sous leurs pieds et les fit tomber de plusieurs mètres. Ils atterrirent dans une grotte immense, cernée de labyrinthes et d'un un mur en verre épais, marqué de nombreuses griffures, comme si des personnes avaient tenté de le casser avec acharnement. D’ailleurs les squelettes qui se trouvaient au pied, armés de pioches, de pelles ou de cailloux témoignaient de ces tentatives infructueuses. La vue offrait un panorama magnifique sur le village des dragons et sur la colline où aimait se reposer Usif après l'école.

 Ce dernier voulut se relever mais son corps, toujours endolori et affaibli par la chute, avait du mal à bouger. Il était frappé de vertiges et sa vue fut brouillée pendant plusieurs secondes, puis il reprit ses esprits et releva la tête. Il aperçut la satyre, sa torche allumée, prendre le chemin d'un tunnel trop petit pour lui. Elle se tourna vers son compagnon et dit avec un rictus de victoire :

- Merci pour la grimpette facile le non-pyrotarien, ça m'a grandement facilité la tâche, mais je vais devoir t'abandonner ici, j'ai une flamme à rapporter à mon village. Ne t'en fais pas, avec de la chance, on retrouvera ton corps calciné d'ici quelques années !

 Elle s'enfonça dans le couloir et saccagea l'entrée pour bloquer le passage. Usif, indigné d'un tel comportement, voulut la rattraper, mais ses muscles ne bougèrent pas comme il voulait. Puis, conscient de ce que son ancienne camarade tenait dans les mains, il se tourna lentement et resta bouche bée devant ce spectacle.

Elle était là, devant lui.

La flamme éternelle.

 Il recula d'un pas, par peur d'être brûlé, mais aussi étrange que cela puisse paraître, il ne ressentait aucune chaleur émaner de cette immense flamme d'un rouge orangé aveuglant. Il se sentait, au contraire, mystérieusement apaisé. Il avança prudemment vers le feu, conscient du danger qu'il encourait, mais plus il s'approchait, plus il sentait une connexion entre la flamme et lui.

 Il n'était maintenant plus qu'à quelques centimètres, et il ne ressentait toujours aucune gêne à être aussi près d'une source de chaleur. Il savait que même les autres dragons ne pouvaient pas s'approcher autant sans ressentir la violence de cette fournaise.

 Il ne restait qu'une dizaine de millimètres avant le contact. Il s'avança encore, toujours avec autant de précaution, jusqu'à toucher le feu. Il l'avait à peine effleuré qu'aussitôt le brasier doubla de volume et se teinta d'une vive couleur violette. Usif recula tellement brusquement qu'il tomba sur les fesses, les yeux écarquillés devant cette nouvelle apparence. Il se leva et voulut s'enfuir par le mur vitré. Il le frappa de toutes ses forces, sans succès. Soudain, une grosse voix imposante résonna dans toute la grotte, faisant trembler les parois. Usif la sentait même pénétrer son corps et envahir sa tête lorsqu'elle dit :

- Ne t'enfuis pas, jeune dragon céleste. Je ne te veux aucun mal.

 Il se retourna et vit le feu adopter une forme non-conventionnelle. Il s'était étiré pour prendre l'apparence d'un dragon immense, dont les ailes remplissaient toute la caverne. Ses épines dorsales d'une forme sans pareille se frayaient un chemin jusqu'à sa queue, munie d'un boulet. Ses membres avant et arrière avaient une musculature impressionnante et son visage était mangé par une barbe ardente, aussi longue qu'imposante.

- Qui… qui êtes-vous ? questionna le jeune apeuré, en se demandant s'il était encore victime d'une hallucination.

- Je sais qui tu es, Usif « le précieux », fils d'Ysil « le plus grand et le plus puissant », et de Trea « la protectrice », le seul dragon non-pyrotarien, le seul incapable de cracher du feu, le seul…

- Qui êtes-vous ? dit-il cette fois-ci sur un ton sec et énervé. Pourquoi est-ce que tout le monde n'arrête pas de me rappeler que je ne suis pas pleinement un dragon ? Lâchez-moi avec ça !

- Tu te trompes, fils d'Ysil. Tu es le meilleur dragon que j'ai vu depuis longtemps.

- Vous m'observiez d'ici ?

- Je ne t'ai jamais quitté des yeux. Tu avais un destin hors du commun, et ta mère l'avait senti dès ta naissance. Depuis je te surveille, je t'observe, dans l'espoir que tu viennes ici un jour pour que je puisse te voir en écaille et en os.

- Vous n'aviez qu'à venir au village si vous y teniez tant.

- Il m'est impossible de quitter cet endroit, mais je pouvais te faire venir jusqu'à moi.

- Comment ? Vous ne pouvez pas me contrôler.

- Non, mais j'ai envoyé un feu glacé à ton village, sachant que tu n'en mangerais pas et que tu serais forcé de monter jusqu'ici. Le dragon qui peut cracher du feu glacé ? Vous êtes… Pyro « l'enflammé » !

- Le père de tous les dragons.

- J'ai été manipulé comme une marionnette, mon peuple a été mis en danger, et vous avez rendu mon village vulnérable, seulement pour pouvoir me parler ? Pourquoi ? demanda-t-il, avec une fureur inouïe dans la voix. Vous n'avez aucun droit de faire ça !

- J'ai tous les droits, dit-il en doublant de volume et avec un timbre assourdissant. Je pourrais tous vous supprimer d'un claquement de doigt si l'envie m'en prenait !

Il se calma, reprit sa taille initiale et ajouta sur un ton plus calme :

- Mais je n'ai jamais dit que c'est moi qui voulais te parler, jeune dragon.

 La flamme changea à nouveau d'apparence, pour prendre cette fois les traits d'une dragonne plus petite, avec une particularité remarquable : elle avait deux queues. Usif reconnut immédiatement la silhouette de la statue présente sur la place centrale du village.

Ça ne faisait aucun doute.

C'était sa mère, Trea.

 Elle ressentait toute la méfiance de son enfant, et prit son temps pour ne pas le brusquer. Elle l'observa dans les moindres détails, fière du beau dragon qu'il était devenu. Le plus pur des dragons célestes.

- Mon fils, commença-t-elle doucement. J'ai attendu ce moment tellement longtemps.

- C'est toi qui m'as fait venir ici ? demanda-t-il perplexe, ne sachant pas s'il devait être énervé ou heureux de pouvoir enfin lui parler.

- Tu es aussi responsable de tout ça ? Je suis désolée d'avoir eu recours à tout ce stratagème. Envoyer une flamme glacée n'était pas mon idée, c'est Pyro qui a pris l'initiative.

- Il est complètement fêlé celui-là. Pourquoi il a fait ça ? Ça lui est égal de tuer ses semblables ?

- C'est un dragon particulier. Il n'aime pas les autres dragons. Il m'a aidée seulement en échange d'un service. Je ne peux pas te dire lequel mais il fallait absolument que je te parle.

- C'était donc toi, qui m'appelais. Je n'étais pas fou, la flamme de la célèbre montagne noire murmurait bien mon nom. Comment fais-tu pour être dans la flamme ? Tous les dragons disparus peuvent apparaître ici ?

- Non, seuls les descendants directs de Pyro peuvent accomplir cet exploit. Il se trouve que je suis l'arrière-arrière-arrière-petite-fille du père de tous les dragons.

- Tu veux dire que je fais partie de sa descendance directe ?

- Exactement. Tous les dragons qui proviennent de Pyro ont accompli de grandes choses.

- Je comprends tout maintenant. Voila pourquoi je me sentais apaisé quand je regardais la flamme. Elle fait partie de moi. Enfin, façon de parler puisque…

- Je suis désolée, dit-elle en baissant la tête. Je n'ai pas eu le temps à ta naissance de t'insuffler ton feu libérateur, c'est à cause de moi que tu ne peux pas supporter le feu.

- Non, c'est à cause des satyres. Père m'a raconté cette histoire des centaines de fois : l'histoire du jour de ma naissance. Et pourquoi la flamme libératrice, celle que seule une mère peut transmettre à son enfant ne m'a pas été donnée.

- Ne leur en veux pas, ils ne font pas ça par méchanceté.

- C'est pour survivre, je sais. J'ai rencontré une satyre en montant ici.

- Tu as parlé avec une satyre sans te battre ? demanda-t-elle étonnée d'un tel comportement venant d'un dragon.

- Je n'avais ni la force ni l'envie de l'affronter. En plus, j'avais besoin d'elle et de sa torche pour ramener un peu de feu et sauver le village. Mais elle s'est enfuie et m'a laissé bloqué ici.

- Tu as rencontré un ennemi des dragons et tu ne l'as volontairement pas affronté ?

- Ce n'est pas la seule. J'ai aussi croisé des centaures, des cyclopes et un minotaure, mais je n'en ai blessé aucun. Tous voulaient me tuer mais j'ai échappé à chacun d'entre eux.

Elle réfléchit longuement, puis elle interrogea avec un rictus aux lèvres.

- Je vois. Tu n'as donc aucun moyen de secourir notre peuple actuellement ?

- Pourquoi ça te fait sourire ?

- Que serais-tu prêt à faire pour sauver les dragons ?

 Il ne répondit pas, mais on pouvait clairement lire dans ses yeux une volonté ardente et une détermination sans faille. La même détermination qui l'avait poussé à entreprendre ce voyage. La même détermination qui lui avait permis de survivre dans un froid des plus glacials. La même détermination qui lui avait donné le sang froid nécessaire pour affronter tous les monstres sur son passage. Tout cela était clair en lui. Même s'il devait ramener la flamme avec ses mains, il le ferait. Même s'il devait refaire le trajet des milliers de fois avec les dragons sur son dos, il n’hésiterait pas. Il était plus que résolu à sauver tout le monde, sans exception.

- Mon fils, dit-elle avec une voix qui s'intensifiait de plus en plus. Tu es destiné à accomplir de grandes choses. J'aurais adoré parler avec toi plus longtemps, mais le temps est compté. Tu as fait preuve de beaucoup de bravoure, d'intelligence, d'habileté et de sagesse pour parvenir jusqu'ici. Tu mérites donc la plus grande des récompenses. Va, et reçois enfin ton feu libérateur ! Sauve ton peuple, et deviens le plus puissant, Usif le dragon céleste, fils d'Ysil ! Mon fils.

 À ces mots, elle explosa dans une gerbe de flammes d'une intensité incroyable, qui illumina toute la caverne ainsi que tous les lieux alentours. Toutes les îles environnantes purent voir le ciel s'enflammer d'une couleur violette aveuglante provenant du sommet de la montagne noire. Puis, toutes les flammèches dispersées s'engouffrèrent dans la bouche et le nez d'Usif, surpris et tétanisé par ce qui lui arrivait. Il sentait une profonde chaleur entrer en lui petit à petit, d'abord brûlante, puis il se rendit vite compte que les brûlures se transformaient en effusion d'énergie et que toute la pièce se réchauffait intensément. Plus la flamme pénétrait en lui, plus ses forces regagnaient son corps et plus ses blessures se guérissaient. Il sentait aussi ses épines dorsales sortir de son échine pour laisser apparaître une formidable arme de défense en dents de scie, couleur violet foncé. Il entendait au fur et à mesure la voix de sa mère murmurer « je crois en toi, mon enfant ». Il captait aussi les voix de ses ancêtres lui prodiguer un à un des conseils, des cris d'encouragement et de soutien. Enfin, lorsque les flammes furent entièrement entrées en lui, il se rendit compte que tous ses muscles semblaient plus toniques et résistants, et que ses écailles s'étaient largement endurcies. Il ne ressentait plus aucun froid, ni aucune douleur.

 Il prit une profonde inspiration qui remplit ses poumons d'un air chaud et doux, très agréable et revigorant. Puis il ouvrit les yeux et perçut le monde d'une manière extrêmement différente, comme si tout s'offrait désormais à lui ; il sentait que plus rien n'était impossible. Son regard n'était plus le même ; celui d'un petit garçon apeuré, subissant sa différence au quotidien, poussé à accomplir une quête d'une importance capitale, portant le poids de toute une nation sur ses épaules, s'était transformé en celui d'un grand dragon, sûr de lui, possédant un immense calme intérieur et doté d'une puissance incommensurable. Enfin, il poussa un grognement d'une telle ampleur que toute la montagne, ainsi que toutes les îles adjacentes tremblèrent, comme secouées par un puissant séisme. Les nuages disparurent et l'océan se déchaîna, frappant violemment les flancs des différentes terres. Il sentait son cri se réchauffer de plus en plus, et sa gorge prendre feu. Il s'en échappa un brasier violacé d'une envergure hors du commun, qui fit fondre instantanément le mur vitré et qui recouvrit la totalité du ciel devant lui. Les cloisons du caveau devinrent de la lave en fusion qui coula sur le corps du dragon, sans le faire réagir. Il émit un rictus de satisfaction, puis sauta dans le vide, les ailes déployées.

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