I
Nous étions maintenant tout juste avant septembre. Au bureau, les gens étaient tous revenu de vacances et les 8 ordinateurs, plus le double d'écrans, donnaient à la petite pièce non ventilée des allure de four. Si je faisais des efforts pour venir au moins tous les jours en chemise au début, ça faisait bien longtemps que j'avais abandonné l'idée de "bien" m'habiller pour venir travailler. Dans cette chaleur, un t-shirt était bien plus confortable, et aux vues des auréoles que tout le monde arborait dans leurs chemise rentrée dans le pantalon, j'avais bien raison.
De toute façon je restais toujours derrière mes écrans, n'avais aucun contact avec qui que ce soit de l'extérieur, donc mon allure n'avait aucune importance et je ne comprenais pas pourquoi le manager aurait préféré quand même que je sois en costume, comme tout le monde.
Mon travail du moment se portait sur la mise en forme de documents, par rapport à un lot de données, qui devaient être envoyé ensuite à un organisme de vérification de conformité ou quelque chose du genre.
On me demandait en tout cas d'utiliser des méthodes et des logiciels que je n'avais jamais utilisés et, bien que la tâche en elle-même ne soit pas compliquée, je n'arrivais pas à m'y faire.
Quand je demandais de l'aide à mon responsable, ce n'était jamais le bon moment, et Morgan, à qui on m'avait dit de me renseigner, ne se contentais quand je le faisais de remplir la tâche sur laquelle je butais sans trop essayer de m'expliquer.
Alors, comme Sébastien m'avait invité à faire preuve d'initiative, et que cela faisait déjà une semaine que j'aurais dû avoir terminé, je codais un programme qui fasse ce qu'on me demandait.
Dans le langage que j'avais utilisé jusqu'ici et en une seule journée, je finissais l'application parfaitement opérationnelle. Fier de moi, comme toujours après avoir réussi un programme, voyant mes efforts récompensés par le bon fonctionnement de mon code, je terminais ma journée en souriant.
Le lendemain matin, à la première heure, je saisissais mon ordinateur portable et l'emmenais vers le bureau du manager. Réunissant toutes mes forces pour essayer de me mettre en avant, je frappais à sa porte.
"Oui ?" Fit-il en levant les yeux de son écran.
Je m'approchais, déjà mal à l'aise sous son regard puissant et balbutiais de ma voix douce :
"Alors... euh... Ça fait quelque temps que j'aurais dû finir le programme de, euh... de transfert de documents. Mais j'ai... un petit problème avec le logiciel sur lequel tu veux que je le fasse..."
Il se contentait d'attendre, les yeux toujours fixement accrochés aux miens, essayant, eux, de fuir.
"Bon... Donc, j'ai pris l'initiative, comme tu me l'as demandé en fait, de coder une petite application avec le langage de d'habitude et c'est opérationnel."
Finissais-je d'expliquer rapidement, en commençant à ouvrir l'ordinateur afin de lui faire la démonstration de mon travail.
"Hop hop, m'interrompit-il en levant la main afin de m'arrêter dans mon action, ça ne sert à rien. Il faut que tu le fasses avec le logiciel qui est demandé dans le cahier des charges."
Un silence pesant suivit ses paroles. Il n'y avait dans son attitude rien qui me laisse dire que je pourrais le convaincre du contraire, mais, dans un sursaut de courage, aussi surtout d'indignation du fait qu'il ait balayé mon travail aussi facilement, j'essayais de lui expliquer en quoi ma méthode était meilleure :
"Mais... Ça fait plus d'une semaine que je bosse dessus et tu as bien vu que je n'y arrive pas, je ne comprends pas du tout comment fonctionne ton truc... Par contre, ce que j'ai compris, c'est que ça devrait donner une petite application qu'il faudra actionner quand on voudra envoyer les documents, exactement ce qu'il faudra faire avec mon programme... Que j'ai codé en quelques heures..."
"Oui, mais c'est comme ça, désolé, mais tu devras le faire comme demandé."
Et c'était tout. C'était son argument. "Tu dois faire comme ça, parce que j'ai décidé que ce serait ainsi."
J'ai toujours eu beaucoup de mal avec l'autorité. Que ce soit avec mes parents ou avec mes professeurs, quand quelque chose ne me paraissait pas juste ou logique, j'étais obligé de répondre, de questionner du moins afin d'essayer de comprendre, peut-être avaient-ils de bonnes raisons, mais il fallait me les faire comprendre.
Mais c'était toujours ainsi, moi, Clément, le petit, le nouveau sans expérience, je n'avais, pour eux, pas besoin de comprendre, je n'avais qu'à écouter et obéir...
Ainsi, depuis tout ce temps, devant ce problème de hiérarchie arbitraire, j'avais développé une très simple méthode. Têtu, certainement borné, ne voulant tout simplement pas me laisser faire ainsi, et ayant compris que discuter ne servait à rien avec ces gens, j'adoptais finalement exactement le même comportement, et faisait exactement ce que j'avais décidé de faire.
J'acquiesçais donc gentiment, lâchant un petit "Ok." suivi d'un sourire, comme toujours et sortais du bureau pour me réinstaller devant mes écrans.
Le logiciel qu'on me demandait d'utiliser se baisait en réalité sur le langage de programmation que je connaissais, dans un menu roulant, il y avait différents items, chacun correspondant à une fonction informatique précise. En les sélectionnant, cela donnait une espèce de petit panneau sur la page de travail que l'on connectait avec d'autres afin de constituer un programme, c'était en quelque sorte du code assisté absolument abjecte.
Dans le menu, j'avais cependant remarqué que l'un des panneaux servait à y inscrire du code en brut qui serait exécuter dans le processus. Je supprimais le fouillis que j'avais créé en essayant de comprendre comment les choses fonctionnaient et ouvrait alors la zone de code. Je copiais, puis collais, tout mon code à l'intérieur, enregistrais et testais.
Ça fonctionnait parfaitement. C'était donc terminé. Malhonnête de le faire ainsi, mais c'était la seule solution. Finalement, je pensais même que si j'avais fait cela dès le début, bien que ce ne soit absolument pas ce que le manager voulait que je fasse, il n'y aurait certainement vu que du feu. J'envoyais le programme à mon responsable, dont le bureau était tout juste face au mien et passais la tête au-dessus de la séparation afin de lui dire que c'était terminé.
Je le voyais alors ouvrir le programme et parcourir mon code, n'y comprenant sûrement absolument rien. Il leva les yeux vers moi avec un regard comme fatigué et me dit :
"Bon... Ça ira comme ça j'imagine, il faut juste que Sébastien ne regarde pas..."
Christophe n'était pas quelqu'un de mauvais, je l'avais vu au premier coup d'œil. Assez grand et mince, il n'était pas du tout comme le manager. En tout cas, ayant assurément entendu la conversation que j'avais eue avec l'autre, il avait l'air de comprendre mon point de vue, et de savoir que j'avais, au moins en partie, raison et que le manager était lui-même beaucoup trop borné.
D'un coup, je vis que Sébastien se levait dans son bureau entièrement vitré. Je pris peur qu'il ait déjà vu le programme que Christophe avait dû mettre dans la file d'attente de mise en production. Mon cœur se mit à battre de plus en plus fort à mesure qu'il approchait de la porte redoutant de devoir avoir affaire à l'un de ses discours paternalistes insupportables.
Il entra et resta devant l'ouverture un moment, son sourire m'indiquant qu'il ne venait sûrement pas pour moi finalement, puis annonça d'une voix forte et enjouée :
"Réservez votre 2e week-end de septembre ! On part en stage de survie militaire !"
J'aurais peut-être préféré la première option finalement...
"Ce n'est pas obligatoire bien sûr. Mais vivement recommandé ! Pour vous expliquer vite fait, on va ensemble dans une forêt, avec un vétéran, et on y fait de l'orientation, on ramasse de quoi se nourrir, feu de camp et camping."
J'avais en fait arrêté d'écouter aux mots "pas obligatoire". "Survie" et "militaire" m'avaient de toute façon déjà bien exposé que ce n'était absolument pas quelque chose pour moi.
Le manager, fier de son idée, pointait un à un les employés, sans bouger de la porte, afin de recueillir leur réponse, qui ne devait, selon lui, pas être négative. Tout le monde accepta, certains plus enjoués que d'autres, et enfin, son regard se posa sur moi, j'y vis qu'il attendait particulièrement ma réponse et je sentais aussi, d'un coup, toute l'attention de la pièce se poser sur moi, comme si ma réponse était si importante...
Sans que je sache trop pourquoi, j'ai toujours eu beaucoup de mal à gérer ce genre de choses. Mon cœur s'emballa à nouveau, finalement pour pas grand-chose, et je le savais bien, mais ma respiration se fit momentanément plus forte et ma bouche se mit alors en mouvement, comme d'elle-même :
"Je viendrais !"
L'homme afficha un sourire encore plus large sur son visage et sortit de l'open-space afin d'aller annoncer son idée de stage à l'équipe du support. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi il voulait tant que j'en fasse partit. En fait même, que tout le monde y participe. Je savais bien qu'il voulait améliorer la cohésion de l'équipe, qu'on soit tous soudés, etc. Mais... Proposé un stage de survie militaire à un groupe de personnes qui passent la plupart de leur temps assis à scruter des écrans... Puis, ce n'est pas comme si on s'entendait bien, on n'avait absolument aucun point en commun, il était même certainement tout ce que je détestais chez les hommes, et inversement d'ailleurs, alors pourquoi ?
Pourquoi vouloir qu'on se retrouve tous ensemble ainsi, pendant un week-end entier ? Franchement, pour la cohésion d'équipe, il m'aurait demandé et je lui aurais trouvé un jeu vidéo auquel on puisse jouer ensemble et qui ait un impact sûrement supérieur.
Mais bon... Ma décision était prise, et pour le coup, il ne servait à rien d'essayer de comprendre ce que pensait Sébastien, j'en aurais été incapable vu notre trop grande différence à ce niveau.
Alors je laissais passer les jours, me disant toujours "Demain, j'irais lui dire que je ne viens pas." Jusqu'à ce que finalement, vers 17 h, le vendredi précédant le week-end en question, j'aille enfin vers son bureau pour lui annoncer la chose, inventant maladroitement une histoire de famille qu'on savait tous complètement bidon.
Il me répondit que mon comportement était nul, et que leur week-end allait être super, que j'allais rater un truc, mais je ne l'écoutais déjà plus, comme j'avais pris l'habitude de le faire. Je hochais la têtes gentiment, et quand il me demanda si j'étais bien sûr de ne pas vouloir venir, je lui répondais d'une "Oui." ferme.
Il afficha alors une espèce de grimace, associée à un regard de pitié, pensant certainement que j'étais bizarre ou que sais-je, mais je n'en avais plus rien à faire de ce qu'il pouvait bien penser de moi. Je n'avais juste pas envie de camper avec ces gens, je n'aimais déjà pas le faire avec mes amis plus jeunes. Je n'ai jamais compris ce qu'il y avait d'intéressant à mal dormir dans le froid alors qu'un lit m'attendait chez moi. Je faisais preuve de logique et ne m'obligeait pas à faire quelque chose que je ne voulais pas faire, à l'inverse de la moitié des employés.
Ironiquement, je passais la majeure parue du week-end sur un jeu de survie assez poussé avec un ami, m'offrant précisément les mêmes impressions tout en allant me coucher dans un lit douillet.
Et le lundi, j'avais la preuve, encore une fois, que j'avais bien fait de ne pas y aller et que si c'était la cohésion qu'il visait, c'était bien raté. Le manager était, avec le reste des responsables et Morgan, devant la machine à café de la salle de repos, et, venant leur dire bonjour, l'interceptait leur conversation. Pour ne pas changer, ils se moquaient d'un des collègues qui, visiblement, sentait la transpiration, chose tout à fait logique j'imagine quand on fait de la survie sous 35°, puisqu'un autre, en surpoids, n'avait pas pu faire 10 pompes, quand en réalité, un seule des siennes équivalaient à 3 des leurs... Qu'on avait dû l'attendre plusieurs fois lors de l'orientation, etc.
Je ne suis pas bien certain que ce soit l'idée qu'on ait de la notion d'une équipe soudée, en tout cas ce n'est clairement pas celle que j'ai personnellement...
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