2. L'étrange attaque
Le soir tombait, les familles qui constituaient le petit hameau de Gourd s'étaient retirées chez elles pour profiter d'un repos mérité. La pluie automnale se déversait sur les maisonnette basses, ruisselant dans l'unique rue en terre battue. Les moutons se tenaient tranquilles dans la bergerie commune. Cendre et Noisette, les percherons se trouvaient dans l'écurie adjacente profitant de leurs abris. Tout semblait calme…
Le petit Tomas venait de se coucher, bercé par l'ondée qui battait au volet de sa lucarne. Derrière la mélodie redondante, quelque chose d'indistinct le perturbait. Il ouvrit un œil prêtant l'oreille, cherchant la source de cet inconfort. Les chevaux piaffaient dans leurs stalles . Des murmures étouffés semblaient parvenir de la lisière de la forêt.
Soudain, des cris retentirent dans le hameau.
Il se leva prestement. Alors que le garçon tentait d'enfiler ses braies, son père, à la porte, hurlait des injures devant la bâtisse. Tomas descendit l'échelle de bois en vitesse, découvrant sa mère, le visage figé par la peur, qui tentait de barricader la porte avec le peu de mobilier qui garnissait la cahute.
« M'man !
– Tomas ! N' reste pas là r'monte te cacher en haut ! »
Il voulut aider sa mère à empiler les tabourets et la table devant l'entrée, mais celle-ci l'en empêcha, le serrant dans ses bras et lui murmurant des mots d'amour avant de le repousser vers l'échelle. Les exclamations autour semblaient s'intensifier. Un bruit sourd suivi d'un fracas retentit.
« TOMAS ! Fuis par la lucarne, emmène Cendre et va chercher de l'aide ! »
Le garçon se précipita sans attendre vers la fenêtre. Il grimpa rapidement sur le toit de chaume, une scène d'horreur se déroulait sous lui.
Dans la pénombre, des hommes armés attaquaient le village. Les paysans tentaient de se défendre du mieux qu'ils pouvaient, mais la plupart, pris au saut du lit, étaient désarmés, seuls quelques-uns dont son père étaient équipés de houe et de faucille. Le vieux Nodul gisait au sol, la pluie battante lavant ses entrailles exposées. L'enfant resta un temps incrédule devant les événements qui se produisaient devant lui. Un cri dans une des cahutes le réveilla de sa torpeur. Se ressaisissant il sauta du toit et contourna les hostilités par l'arrière des maisons. Pris de remord, il libéra les ovins et sortit de l'écurie sans même mettre le licou à Cendre. Il enfourcha la bête à cru et fuit vers le fort Cenir. Tomas se retourna une dernière fois pour croiser le regard de son père qui une épée entre les omoplates le voyait partir avec un soulagement paternel…
Des larmes aux yeux, il talonna le cheval pour s'éloigner au plus vite du carnage. L’animal de trait peinait à maintenir un galop décent, martelant de ses sabots lourd le sol détrempé. Ressentant l’angoisse de son jeune cavalier, elle fila tant bien que mal à travers la campagne pour arriver en fin de matinée à fort Cenir. En état de choc, il fut accueilli par des soldats compatissants, qui abreuvèrent sa monture fourbue et tentèrent de calmer l'hystérie du garçon avant de comprendre la gravité de la situation. Rapidement, il le conduire au responsable du bastion.
« Sieur Panel ! Un jeune enfant vient d'arriver, il dit que son village vient d'être attaqué !
– Faites-le entrer. Le vieil homme se leva, lissa les pointes de sa moustache et s'adressa à son invité.
– Je suis navré sieur Alderic, mais il semblerait que nous ne trouverons pas la quiétude ce soir.
Son interlocuteur n'eut pas le temps de répondre que Tomas entrait les membres tremblants. Le commandant servit une timbale de vin épicé qu'il tendit au gamin.
– Tiens cela va te requinquer, explique-moi clairement ce qu'il t'arrive.
– Il faut nous aider seigneur ! Je v...viens de Gourd, ils nous sont tombés dessus à la nuit tombée ! Seigneur s'il vous plaît aidez mes parents !
– Calme-toi. Combien étaient-ils ? Le garçon eut une moue honteuse.
– Je ne sais pas compter messire... Et il faisait très sombre, mais ils étaient nombreux !
– Tu es sûr ? L'homme semblait surpris. Je n'ai pas dans mes rapports d'éclaireur entendu parler d'une bande aussi conséquente...
Le chevalier Alderic se leva et vint planter son regard dans celui de l'enfant. Sa stature imposante équipée de son armure clinquante des chevaliers d'Azur lui donnait l'apparence d'une montagne.
Il me semble que Gourd est à la lisière de la forêt... Es-tu sûr qu'il s'agissait d'hommes? Le sous-entendu ne laissait pas de doute à la véritable interrogation.
– Oui Seigneur, je n'ai pas bien vu leurs visages, mais c'étaient des hommes... Certains portaient le même genre d'armure avec l'aigle et la rose que les soldats à l'entrée. Il faut se dépêcher sinon mes parents... Des larmes menaçaient de poindre aux coins des yeux du garçon. Le chevalier se tourna vers Panel.
– Avez-vous eu des déserteurs récemment ?
– Depuis ma nomination à Fort Cenir, je n'ai jamais eu de déserteurs… L'indignation teintait sa voix. Il reprit : pour l'heure, je dois aller à Gourd vérifier ce qu'il en est ! Je suis désolé, mais je vais devoir écourter notre réunion…
– Les chevaliers d'Azur vous accompagneront, ainsi vous laisserez le fort avec un maximum de gardes. Quant à toi, tu vas devoir nous accompagner. Le garçon acquiesça de la tête… »
Après que les ordres furent donnés, il ne fallut que quelque temps pour organiser les préparatifs, prouvant à Alderic la discipline que le commandant du bastion avait obtenue de ses soldats. En tout, une vingtaine d'hommes partirent au trot. Ils traversèrent la campagne, empruntant le même chemin que l'enfant avait utilisé quelques heures plus tôt. Mais celui-ci peinait à tenir la cadence, Cendre toujours fatigué prouvait sa condition de bête de somme. Ils parvinrent au hameau au soir déclinant… Alors que le ciel gris laissait place à la nuit, tout était calme… Le chaos semblait avoir marqué Gourd, des traces de sang marquaient ici et là les bâtiments de pierre basse. Des portes défoncées jonchaient la rue.
Le commandant s'adressa à son lieutenant.
« Prenez des hommes, cherchez des survivants, rassemblez les cadavres, faites un état des lieux et envoyez des éclaireurs trouver des indices.
– Oui commandant ! Il salua son chef et partit exécuter ses ordres.
L'enfant mit pied à terre, filant à toute vitesse vers sa chaumière hurlant après sa mère. Alderic le regarda partir, quelque chose sonnait bizarre dans la scène… Ce fut le lieutenant qui leur apporta la réponse.
– Lieutenant Seffard au rapport ! Le commandant lui fit signe de continuer.
Nous n'avons trouvé aucun survivant et aucun corps, il n'y a plus d'objet de valeur. Nos premières indications laissent à penser qu'ils sont repartis vers la forêt.
– Donc il s'agit d'un groupe de bandits de grande envergure… enchérit le commandant sur le ton de la réflexion.
– Je ne pense pas qu’ils s’agissent de bandits, intervint Alderic. On devine facilement que ces pauvres bougres n'avaient rien de valeur. Le fait que l'on soit en périphérie du royaume est inquiétant. Il est urgent de prévenir le prince régent. »
Ses espoirs envolés, les nerfs de Tomas lâchèrent. Il revint pleurant la morve au nez et bégayant comme un petit enfant ayant reçu une correction. Il était le premier orphelin de cette nouvelle guerre…
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