5. Le réveil
Il entrouvrit les yeux lentement et déjà le souvenir s'effaçait, ne laissant que des volutes brumeuses. La salle était vide… Les membres courbaturés, il s'assit difficilement. Tous avaient disparu, même le cadavre du malheureux sans nom. Il faisait toujours aussi sombre, mais on pouvait distinguer l'aube se lever, il avait dû dormir un peu moins d'une journée. Il se releva douloureusement, ses jambes le tiraient de partout comme parcourues de crampes tenaces. Et c'est avec une joie sans borne, qu'il constata la disparition de son infirmité. Zach se précipita vers l'étrange miroir pour y contempler son reflet, les larmes affluant de bonheur… Un jeune homme dans la fleur de l'âge se tenant dans des guenilles était face à lui, une chevelure épaisse ondulait sur ses épaules telle la crinière d'un lion, seules de fines cicatrices argentées d'à peine la taille d'un petit doigt marquaient son visage, dont une plus longue que les autres partait de sa joue traversant la base de son nez pour finir plus haut à l'opposé de son front. Ses yeux vert clair restaient ternis par d'épais cernes foncés. Son observation se termina sur le bijou qui ornait son doigt, en regardant de plus près on pouvait distinguer un pentacle magique, en trois dimensions gravé à l'intérieur. Que cachait cette magie... Il savait qu'il s'était corrompu, mais peu lui importait, il avait retrouvé un peu de sa splendeur et de ces années perdues.
La trahison en valait le prix…
Le jeune homme se mit en quête de la pièce évoquée par son nouveau maître, tentant d'ouvrir toutes les portes du couloir. Mais seulement une se trouvait ouverte.
Derrière celle-ci se trouvait une chambre à coucher relayée en débarras, des objets de valeur côtoyaient du linge éparpillé, des armes étaient suspendues sur un râtelier et un désordre hétéroclite régnait dans la pièce. Zach rechercha des objets utiles pour sa mission. Il trouva des bottes souples en cuir bouilli, des braies ainsi qu'une paire de chausses kaki, une chemise blanche en lin et un gilet sans manche grenat. N'avant jamais été doué pour les armes de contact, il se détourna du présentoir. Il avait toujours eu des prédispositions pour les couteaux, or c'était surtout pour la fronde qu’allait sa préférence. Arme des bergers par nature, Zach y excellait à l'étonnement de son père. Mais il dut se contenter d'une petite dague de lancer en feuille de laurier, arme d’appoint de l'infanterie elfique traditionnelle, qu'il dissimula dans le revers de son gilet. La voix insidieuse se tenait en retrait dans son esprit mais il la sentait toujours présente. A son inventaire, il ajouta une besace, une pierre à amadou, un carquois de flèches vides pour lequel le jeune homme avait une idée bien précise en tête, un poêlon ainsi qu'une petite bourse contenant quelques cids. De quoi tenir un mois en vivant luxueusement ou plus en se restreignant. Mais sa plus belle trouvaille fut un luth marqueté avec plusieurs essences de bois, des motifs floraux en nacre délicate étaient incrustés dans le bois prouvant le talent de l'artisan. Il le rangea avec délicatesse dans son étui avec son jeu de corde de rechange. Avant de sortir de la chambre, il découvrit une cape de voyage avec de multiples poches, suspendue au lit à baldaquin. Il traversa le couloir en jetant un dernier coup d’œil pour admirer l'ensemble. Il ressemblait à Arsen, barde itinérant de son état, une couverture aisée pour traverser le pays sans évoquer les soupçons. En entrant dans la pièce principale, il remarqua que les pions avaient été rangés, il fallait croire que la confiance n'était pas encore gagnée... Seul un pion subsistait sur la carte, d'où il devina l’emplacement de Guersac. Puis, il scruta une dernière fois la salle du conseil, s'enfourna plusieurs collations au porc et gâteaux sucrés dans la bouche avec un sentiment d'extase, puis mit le reste dans sa besace. Il se dirigea vers le balcon par curiosité, mais surtout pour ressentir la liberté des grands espaces qu'on lui avait interdits trop longtemps.
La mer grise s'étendait loin devant lui. Malgré la marée basse, il pouvait sentir les embruns marins parfumer l'air. Un sourire marqua son visage, même la voix se tut devant ce spectacle naturel. Des aigrettes cendrées de Bhiran fouillaient de leurs becs le sable près des petites lagunes à la recherche de petits êtres vivants parmi lesquelles des algues flottant lascivement. Sur la grève était semée des rochers noirs pointus, dentition érodée de colosses oubliés depuis des lustres. A marée haute ils devaient affleurer sous l'eau. Sans doute la terreur des marins…
Des marches grossières étaient dissimulées sur le côté, gravées à même la falaise. Le choix s'offrit à lui entre descendre celles-ci ou trouver une autre sortie par le palais. Bien que son instinct lui indiquat que ses hôtes étaient partis, il préféra ne pas prendre de risque option que son alter approuvait à force de gémissement et de plainte.
Arsen noua sa cape et entreprit de descendre les marches glissantes. Arrivé en bas, l'escalier semblait disparaître par un effet d'optique pour se fondre dans le reste de la roche. Plusieurs lieux du littoral rocheux s'étendant devant lui, il se mit rapidement en marche vers le sud de crainte que la montée des eaux ne le rattrape et l'engloutisse avant qu'il ne puisse se mettre à l'abri... Le sable mouillé lui facilitait la marche, mais il lui fallut un moment et l'eau lui arrivait déjà à mi-cuisse quand il parvint sur une plate bande de plage de galets plus large. Il s'allongea pour permettre à ses jambes douloureuses de se reposer après l'effort, il n'avait pas eu l'occasion de marcher ainsi depuis des années. Le soleil se trouvait non loin de midi et il décida de profiter de sa pause pour manger un biscuit et réfléchir à la suite des événements. Pour arriver à destination le plus rapidement possible, la solution la plus simple était de longer la côte jusqu’au delta créé par la Gueuse. Traverser les marécages serait sans doute le plus difficile, la mort y rôdait. Seul, il avait plus de chances de réussir. De l'autre côté du delta, il serait en territoire humain. Avec sa bourse, peut- être lui serait-il plus facile de rejoindre une caravane marchande passant par Guersac.
Après ce court délassement, il se remit en marche, s'éloignant de la plage, en gardant toujours la mer sur sa gauche. L’atmosphère de l'autre côté de la grève semblait touchée d'une affliction inconnue. Le paysage était plat, vierge de toute flore, seuls de gros rocs de granite noir apparaissaient ici et là. Des lichens ornaient ceux-ci, mais aucun signe de vie. Bien plus loin, à l'ouest, devait se trouver la plaine où avait eu lieu la Grande Guerre. Des milliers de guerriers pour faire diversion et leur permettre de contourner Sombrevie, sans succès… Ils avaient lamentablement échoué et le prince était mort sous sa responsabilité… Il n'a jamais su l'issue du combat…
Le jeune barde s'arrêta à la nuit tombée près d'un monticule de pierres. Triste consolation pour le protéger des vents froids nocturnes, il décida d'allumer un feu avec quelques branchages et du bois flotté trouvé sur le rivage. Il mit de l'eau salée dans son poêlon pour la mettre à bouillir. Pendant qu'il entreprit de défaire les coutures de son carquois, Arsen posa le cuir aplani au sol, puis trancha de fines lanières dedans, il en garda un morceau pour après. Et tressa celles-ci entre elles pour se confectionner une ceinture puis dans la partie restante, il dessina à l'aide de sa dague une fronde qu'il poinçonna et renforça avec la ficelle de son étui à flèches. Le bricoleur en herbe plongea son arme dans l’eau afin de la ramollir, fouilla dans son sac à la recherche d'une collation au lard mangeant soigneusement et ne gardant que la couenne grasse de côté. La nuit était finalement tombée et dans l'obscurité, seul le rayonnement du feu pouvait trahir sa position. L'odeur infecte du bouillon se propageant insidieusement, il décida de vider sa casserole et de laisser refroidir le cuir. Il étouffa le feu avec du sable et s'éloigna de plusieurs pas des braises par précaution. Il fut maintenu éveillé une bonne partie de la nuit. Des hurlements sinistres se faisaient entendre dont certains à seulement quelques pieds de lui. Quelque chose de gigantesque semblait se mouvoir.
[ Notre maître nous a promis une traversée facile… ]
Sa voix tentant de les rassurer. Mais il ne cessait de garder en mémoire le jour où il avait failli et où le prince était mort.
Le voyageur fut réveillé transi par la rosée humide du matin, il mangea encore un gâteau tout en graissant avec son gras de porc le cuir de sa fronde. Satisfait de son travail, il le noua sur son œil. Encore un conseil de son père, toujours avoir au moins une arme dissimulée… Il se remit en marche.
Le paysage morne mais plus vallonné ressemblait à une carrière à ciel ouvert, d'où de rares buissons mourants laissaient apercevoir des épines longues comme des doigts dans le feuillage clairsemé. Pendant deux jours, le trajet fut difficile, mais les nuits furent pires. On pouvait toujours entendre les cris lugubres et cette sensation qu’un monstre gigantesque faisant rouler les pierres sur son passage.
La voix démente psalmodiant encore ces litanies.
[ Le maître nous protège… ]
Elle semblait avoir raison, car rien ne lui arriva, et il parvint finalement au delta de la Gueuse.
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