Gary

4 minutes de lecture

Un examen prompt de l'horloge, m'atteste qu'il est déjà onze heures quinze. J'achève ma phrase puis mets l'ordinateur en veille. Pendant que j'ordonne mon bureau, je reçois un message sur mon portable. Je le consulte attentivement, Babeth souhaiterait qu'on déjeune ensemble. Je n'atermoie pas une seconde et lui assure que je serais libre qu'à partir de treize heures. Sa réponse parvenue, le téléphone dans la poche arrière de mon pantalon, le talkie-walkie en main, je sors.


La première chose que je perçois est un rire cristallin, reconnaissable entre tous. Un rire musical, qui donne du baume au cœur. Sans que je ne puisse les influencer, mes lèvres s'étirent. Je fais face à un rire communicatif. Le son se rapproche, jusqu'à ce que je puisse discerner la personne qui émet cette charmante tonalité.


Alice apparaît dans mon champ de vision. Le souvenir de ce matin survient malgré moi. Sa surprise, sa voix cajoleuse pour me faire faire ce qu'elle veut, son étreinte inopinée, le rosissement de ses joues et la maladresse dans ses gestes. Je peux encore sentir l'effluve de lavande émanant de ses cheveux et celle de vanille provenant de son cou.


Mes poils se hèrissent à un contact sur mon bras, j'abandonne mes pensées pour revenir à la réalité. Alice se trouve à quelques pas de moi. Elle a délaissé son haut de ce matin, pour la chemise du parc, qui est seulement rentrée sur le devant de son jean. Sa tête est parée d'un chapeau de cow-boy en daim aux nuances de jais et une tresse brune apparaît sur le côté gauche. Sa tenue est complétée par des bottines marron.


Ayant intercepté uniquement le dernier mot de sa phrase, je lui demande :


- Comment ?

- Je te demandais si tu allais bien ?

- Oui, je réfléchissais, mens-je.


Je remarque une souillure de peinture noire sur sa pommette droite. Avec délicatesse, je lui retire du bout du doigt. Incessamment, l'ensemble de mon corps est inondé par une décharge électrique enflammée.


- Il faut que tu m'expliques comment tu as réussi à te mettre de la peinture sur le visage.

- Va savoir. Ma maladresse légendaire est entrée en action, analyse-t-elle en relevant candidement les épaules.

- Tu es prête ? questionnè-je en me retenant de rire face au naturel de la jeune femme.

- Yes !

- Parfait, on va commencer par les chaises volantes, puis les ours et on terminera par les autos-tamponneuses adultes, éclaircis-je en m'orientant vers la première attraction.


Alice s'occupe des chaises volantes, tandis que moi, j'alterne entre les bottes et le « little animal ». Nous enchaînons tours sur tours, sans vraiment prendre le temps de souffler. Dès que possible, j'observe la jeune femme à la dérobe, je constate qu'elle n'a pas perdue la main. La première pause se déroule sans encombre.


Pour la deuxième, Alice insiste pour s'occuper du « Wild animal » et je la comprends. Pour le « bears », l'opérateur doit tenir compte du poids des nacelles, pour que le manège démarre. Il n'est pas toujours facile d'annoncer à une personne qu'elle est trop lourde et qu'elle doit descendre. Méthodiquement, je vérifie que les six nacelles sont correctement verrouillées, puis je retourne à la cabine pour presser le bouton départ. Je supervise un instant, puis reporte mon attention sur mon allié du jour.


Alice patiente à proximité de son manège en marche, les battements de mon palpitant s’intensifient. Soudain, elle attrape la poignée de la diligence et se hisse sur le plateau. Mon sang ne fait qu'un tour et une bouffée de chaleur m'empare de moi. Alice s'avance vers un enfant, lui parle sans délai, ensuite revient vers le bord, attend quelques secondes et descend de l'attraction toujours en fonctionnement. Haletant, les poings serrés, je me hâte vers la jeune femme, empoigne son bras et la contrains à rentrer dans la cabine.


- Putain, Alice à quoi tu joues ? m'énervè-je.

- Je voulais juste qu'il reste en place, se justifie-t-elle dans un murmure et repliée dans un coin de la pièce.


La voyant aussi vulnérable, j'harmonise ma respiration pour me calmer, mes muscles se décontractent un à un et mon cœur reprend un rythme plus serein. Sans un mot, je m'approche d'elle et l'enlace délicatement dans mes bras. Je me soustrais à elle, quand je distingue la sonnerie de fin de mon manège. Je me retire pour aider les clients à descendre.


La troisième pause s'écoule dans un silence incommodant. Pendant que je prends en main l'attraction, Alice est installée sur une chaise en plastique près de la console, pianotant sur son téléphone.


Accoudé à la barrière, les yeux ancrés sur la piste, je me remémore mon manque de maîtrise. J'ai appris à garder le contrôle en toute circonstance, mais avec cet événement, je suis complètement bouleversé. Je ne comprends pas pourquoi j'ai réagi aussi âprement. Et surtout, je m'en veux de lui avoir fait peur. Ça ne me correspond pas, mais vraiment pas.


L'opérateur ayant réintégré son poste, il est temps pour nous de prendre notre pause. Je suggère à Alice :


- J'ai commandé chez Laurent, tu m'accompagnes ?

- Je suis désolée, j'ai promis aux autres de manger avec eux au réfectoire. On se retrouve pour les pauses de cet après-midi ?

- Oui, on dit quinze heures vingt au bureau ?

- Très bien. À plus tard.


Je la regarde s'éloigner, puis vais récupérer ma commande. Au comptoir, alors que j'espère ma nourriture, j'attends mon prénom. Babeth est attablée devant une salade, m’accueillant d'un signe de la main. Je progresse vers elle, lui témoigne un baiser sur les lèvres et m'assoie à sa droite. Sa main se pose sur la mienne et me caresse chèrement. Pas de frisson, de picotement, ni de décharge, ni de chaleur enivrante, je ne ressens rien à ce contact.

















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