Alice
Mercredi 20 Septembre 2023
L'arrosoir à la main, je me dirige vers un des pots géants en terre cuite, qui bordent mes manèges. Le parc est très reposant. Les oiseaux chantent leurs douces mélodies et le vent joue son friselis sur les feuilles des arbres. Les attractions ronronnent les unes après les autres, le temps d'un ou plusieurs tours afin de les contrôler. Les vacances d'été passées, le parc ferme ses portes et les ouvre seulement les week-ends et les congés de la Toussaint. Durant la semaine, seule les équipes techniques et infrastructures sont de la partie. Certains opérateurs, comme moi, viennent en renfort pour le nettoyage et la décoration. Aujourd'hui, je suis à l'habillage de certains manèges pour les fêtes Halloween, qui arrivent à grands pas. Avant d'accrocher les différents tissus, un lavage s'impose. J'ai même dans l'idée de vérifier l'éclairage et si nécessaire de changer quelques ampoules.
Pendant que je verse l'eau sur la terre sèche, un papillon aux ailes oranges avec des taches noires vient se poser sur le rebord de la jardinière. Il joue avec une tige de mauvaise herbe, puis reprend son envol, quand je change de position. Mon récipient vide, je retourne le remplir au robinet planqué derrière une porte de placard, se trouvant à l'extérieur de la cabine des chaises volantes. Au sol traîne des sacs-poubelles pleins et un tuyau vert crade. J'aurais pu m'en servir, mais je n'avais pas envie de le démêler et de tirer dessus comme une demeurée.
Je repars cette fois-ci vers la plante que j'affectionne, une rose du désert. Les fleurs ont cinq pétales en trompettes roses tirant vers le rouge. Délicatement, j'en tiens une pour la humer. Un savoureux mélange d'odeurs boisée, vanille et agrume ébranle mes narines. Après cette courte pause, je continue mon arrosage.
Une vingtaine de minutes plus tard, mon arrosoir et le tuyau sont à leurs places. Sans perdre plus de temps, je mets la console des chaises volantes en tension et allume les lumières. Le manège est subitement illuminé d'or, le magnifiant davantage. J'en fais rapidement le tour à la recherche de boulettes, deux sont repérées en hauteur et une qui est accessible sans faire de la grimpette. Dans la cabine, je fouille les tiroirs à la recherche d'ampoules. Par chance, je trouve une boite neuve. La première est remplacée facilement, pour les autres, j'ai besoin d'une échelle.
Sur la gauche à l'extérieur de la zone du manège, un escabeau en alu est dissimulé contre un mur et derrière un totem indien. Les techniciens l'ont laissé à proximité, car ils s'en servent pour faire descendre les enfants, quand le manège se bloque. Je me demande bien comment ils se débrouillent pour en arriver là ! J'ai eu ce problème deux trois fois et à chaque fois, je me suis démerdée pour le faire redescendre. Un jour, je leur ai même expliqué comment je faisais. J’attrape fermement l'objet et le passe sous le bras, puis retourne tranquillement sur mes pas.
- Je peux savoir ce que tu comptes faire avec ça ?
Dans un sursaut, je me lâche l'échelle sur le pied. Du bout de la chaussure, je la pousse immédiatement sur le côté. « Heureusement que ce truc est léger ! » Pensé-je. Gary s'avance à grande enjambé, un air sérieux sur son visage.
- Bordel, tu m'as fait peur, lâché-je sur la défensive.
- As-tu quelque chose à te reprocher ? Me demande-t-il avec un mince sourire.
- Pas du tout.
- Tu n'as toujours pas répondu à ma première question.
- Elle me faisait de la peine dans son coin, alors j'ai décidé de la promener, plaisanté-je.
Humour que je regrette aussitôt. Il s'immobilise face à moi, droit comme un pic, les bras croisés sur sa poitrine, le regard sévère porté sur moi. Je me mords la lèvre et baisse les yeux. Je me sens comme une petite fille prise en flag lors d'une bêtise.
- Bon ok, des ampoules ont grillé, je voulais les changer, avoué-je en osant un regard vers mon tortionnaire.
- Alice, mais qu'est ce que je vais bien faire de toi ? souffle-t-il désemparé et en lâchant ses bras le long de son corps. Ce n'est pas à toi de faire ça.
Le sentant un peu plus détendu, ma confiance refait surface et je lui dévoile un argumentaire créé de toute pièce dans mon cerveau en ébullition.
- Je sais bien. J'ai beau allé voir l'équipe technique, ils se foutent bien de ce que j'ai à dire. Donc quand je peux réparer, je le fais. Changer ces foutues ampoules ça ne va me prendre que quelques minutes. Les clients se plaignent de la vétusté du parc et je pense que ça la fou mal de voir des ampoules grillées, des planches qui ne tiennent pas, des volants et des roues de petites voitures qui se barrent, des chaises...
- Respire, j'ai compris, m'arrête-t-il dans mon monologue en posant sa main sur mon bras.
À ce contact, les poils de mon membre se dressent. Les manches longues ont empêché Gary de s'en apercevoir. S'ajoute aussi une chaleur intense aux joues. Là encore, la casquette que je porte masque mon trouble.
- Je vais t'aider, ajoute-t-il en se baissant pour ramasser l'échelle.
Il la tient de la même façon que moi auparavant, puis s'oriente vers l'attraction de la discorde. Tout en le suivant, je repense à sa colère de samedi dernier. Gary incarne la sérénité, son manque de contrôle m'a tellement surprise que j'en ai eu peur. Son étreinte en guise d'excuse m'a immédiatement rassurée. Maintenant, que tout est redevenu normal, je comprends que ce n'était pas de la colère, mais de l'inquiétude. Et en y réfléchissant, depuis mon arrivée, il y a cinq ans maintenant, il s'est toujours tracassé pour moi, que cela soit pour un rhume, une migraine, une écharde...bien plus que pour les autres opérateurs manèges. Pourquoi un tel intérêt pour moi ? Je sais qu'il s'entend bien avec mon père. Peut-être lui a-t-il demandé de veiller sur moi ? Ou bien...aurait-il des sentiments pour moi...non, ce n'est pas possible ! Je m'enlève tout de suite cette idée stupide de la tête et l'aide à placer l’escabeau.
Pendant qu'il monte, je prends fermement appui sur mes jambes afin de pouvoir tenir au mieux l'échelle. Je lève la tête, mon regard se pose sur un fessier bombé, musclé et de forme ronde. Je rougis de nouveau et avale le surplus de salive. Bordel ! Soudain, je réalise : j'ai un crush pour Gary.
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