Alice (7)
Je vois à peine devant moi. Le ciel est couvert. Une pluie torrentielle tombe sur le parc, accentuant les décorations au thème Halloween. Le vent souffle de plus en plus fort : les drapeaux, les guirlandes se décrochent, les tissus se déchirent et les décorations se déplacent ici et là.
Je pénètre dans les toilettes principales du parc, récemment refaites à neuf. Je vais pour m'engouffrer dans une cabine quand une main m'agrippe le bras. Je me retourne subitement. Mes larmes voilent légèrement ma vue, mais je peux apercevoir Gary.
— S'il te plaît, laisse-moi tranquille, arrivé-je à dire entre deux sanglots.
— Il faut que je te parle. J'ai besoin de te dire que...
— Tu as surtout besoin de te donner une bonne conscience, le coupé-je en retirant mon bras.
— Non, j'ai besoin... j'ai besoin de temps pour réfléchir à mes sentiments, me révèle-t-il.
Mon regard se pose instantanément sur son visage. De la sincérité et une grande détresse y émanent. Mes muscles se relâchent. Je suis prête à entendre ses paroles.
— Tu dois tout savoir, mais pour ça, laisse-moi parler, me dit-il avec calme.
Je lui fais un signe positif de la tête. Il me prend la main et me conduit au poste de secours pour que nous soyons plus tranquilles. Je retire ma veste trempée, m'installe sur une chaise et écoute.
— Hier, après l'urgence, j'ai parlé avec Patrice. Il a remarqué notre rapprochement. Il m'a mis en garde.
J’entrouvre la bouche pour intervenir, mais je la referme aussitôt. J'aurai tout le loisir d'intervenir plus tard. Tout en parcourant la petite pièce, il continue ses explications.
— Notre différence d'âge : j'en ai 44 et toi 24. Mes enfants ne comprendraient pas, et puis il y a Babeth. Je tiens à elle et je ne souhaite pas la faire souffrir. Ton accident m'a fait réaliser que je tenais beaucoup plus à toi que je ne le pensais. Notre rapprochement me fait peur. J'ai besoin de temps. Du temps pour réfléchir à mes sentiments pour toi. Sentiments que je n'ai plus ressentis depuis longtemps...
Un silence s'installe dans la pièce à l'odeur de désinfectant et aux couleurs froides. Je n'ose pas prendre la parole, ne sachant pas s'il a terminé ou pas. De toute évidence non, car il me demande :
— Tu voulais en venir où... avec ce que tu m'as dit... j'étais perdu.
— Jérôme, lâché-je dans un souffle.
— Jérôme, répète-t-il. Le Jérôme du parc ?
Je relève mon regard. Je n'ai pas besoin de confirmer. Il comprend.
— Il m'a dit que c'était sérieux. J'avais des sentiments pour lui depuis longtemps, débuté-je lentement en cherchant mes mots.
Gary tire une chaise et l'installe en face de moi.
— Du jour au lendemain, il n'y a plus rien eu. Il m'évitait, il me fuyait. Il ne me disait même plus bonjour. Je lui ai demandé ce qu'il y avait. Il se défilait à chaque fois. J'ai cru à cette histoire. J'ai cru qu'il était sincère... il a joué avec mes sentiments et ça m'a terriblement fait mal...
Je me repose un instant. J'hésite sur les mots. Me remémorer ses souvenirs me peine. Gary essuie une larme qui s'échappe sur ma joue, puis me prend la main avec tendresse.
— J'en ai pleuré des jours et des jours. Mon cœur s'est brisé quand je l'ai vu avec sa copine actuelle... Quand tu m'as avoué que ce n'était pas possible entre nous deux, j'ai repensé à cette période et cela m'a de nouveau anéanti.
Je sèche mes larmes de ma main libre et fixe mon interlocuteur du regard. Ses sentiments sont sincères, je le sens, je le vois. Il me le confirme avec ses paroles :
— Concernant les sentiments que j'ai pour toi, je ne triche pas. Je me suis très mal pris avec toi et je m'en veux. Mais cela ne va pas m'empêcher de prendre du recul. De réfléchir au pour et au contre. De remettre mes idées en ordre. J'ai besoin que tu me laisses du temps. À partir de ce soir, je suis en congé pour une semaine. Tu veux bien me laisser cette semaine ?
J'approche mon visage du sien et lui dépose un baiser amoureux.
— Si jamais c'est le dernier, lui affirmé-je avec un mince sourire. Juste, promets-moi de me donner une réponse après cette période, terminé-je par dire.
— Je te le promets, ma belle.
Il me caresse tendrement la joue, puis se lève. Je fais de même, prends mes affaires et sors sous la fine pluie. Un rayon de soleil arrive à s'infiltrer à travers les épais nuages, pour venir me réchauffer le visage. Avec la manche de ma veste, je sèche les dernières larmes puis m'en vais d'un pas décidé vers mes manèges sans vie.
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