Chasseurs

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La pluie noyait à présent le défilé. Hogarth pointa du doigt une entaille dans la roche, à peine visible derrière les cataractes. Nous lançâmes les chevaux et les mules sur le flanc escarpé, vers une caverne juste assez large pour faire entrer les bêtes et assez profonde pour un campement cette nuit. Tully, marteau de guerre en mains, alla jusqu'au fond pour s'assurer qu'aucun ours ou lion des montagnes ne vivait là. Ou autre chose d'une nature bien plus dangereuse. Hogarth s'occupa de nos montures. Je lançai un feu.

Les flammes naissantes dans cet endroit isolé et inconnu me renvoyaient à notre condition de chevaliers errants. Nous parcourions le monde, suivant les rumeurs. Nous chassions les noires créatures qui se dressaient sur notre route, nous rendions aux hommes leurs terres hantées. Je voulais croire en une quête révélatrice et rédemptrice, mais dans mes moments de doute, je ne voyais en nous que des vagabonds attirés par le sang. Je traversais les confins de ce monde comme pénitent de mes fautes passées. Mais Tully et Hogarth avaient choisi cette vie. Pour moi, ils avaient refusé les affectations qui les attendaient à Gardenia dans l'état-major du général Vonn. Peut-être même à la Garde Royale.

Par chance, mon silex et les herbes sèches n'avaient pas pris l'eau sous les épaisseurs de ma cape couleur groseille. Le feu prit vite. J'avais faim et je pouvais presque entendre l'estomac de Tully gargouiller :

" Il nous reste des rations pour combien de temps, Mack ? me demanda-t-il.

 - Quatre ou cinq jours. Une semaine si on trouve du gibier dans ces montagnes. Et si tu te rationnes un peu. répondis-je en riant.

 - Commence pas avec ça. À quelle distance on est de Rävgård ?

 - Deux jours d'après la carte du vieux. Mais je crains qu'elle ne soit erronée.

 - Ne te tracasse pas pour ça. Nous sommes exactement dans les temps. Essayons de reprendre des forces. " dit Hogarth en s'affalant près des flammes.

La caverne était à nous pour la nuit ou jusqu'à ce que la pluie cessât. Après le repas de saucisses de sanglier, de patates douces et de riz brun, je vérifiai les blessures de Tully. Il garderait pour toujours les cicatrices de son combat contre la stryge de Macheyzal :

 " Tu guéris mais tu seras toujours aussi laid.

 - Je resterai toujours plus beau que toi, l'aristo... Allez, sers-nous encore du vin, Mack. "

Il prit le premier tour de garde. J'eus du mal à m'endormir, mon esprit refusait de me laisser en paix depuis quelques semaines. Le ploc-ploc de nos capes, de nos pantalons épais s'égouttant après la tempête me parvenait. À la faveur du foyer, allongé sur ma paillasse, je relus pour la centième fois la missive apportée par un messager dans un village de la plaine de Chagri. Le papier de la lettre commençait à se déchirer sur une pliure.

 " Mon cher prince,

mon ventre n'a de cesse de s'arrondir. J'ai encore le souvenir de votre étreinte. Je connais l'importance de votre quête et les mille dangers qui vous attendent.

Peut-être qu'un jour, vous nous reviendrez. Sachez que je ne garde aucune rancœur à votre égard, Chevalier.

Vous trouverez toujours un foyer ici. Pour vous et vos amis.

Puissiez-vous trouver la paix et le pardon.

Que votre route soit un chemin pavé et vos nuits étoilées.

Rachaël "

Dans la chaleur de ma peau d'ours, je m'endormis. La dernière image que j'emportai avant que Somnus ne m'attrapât fut la masse imposante de Tully, marteau sur les genoux, fumant la pipe à l'entrée de la grotte.

Je rêvai du château de mon père. L'escalier s'élevait en spirale vers ma chambre et les appartements de ma mère. Quelque chose grattait dans l'obscurité tout en bas puis la porte s'ouvrit dans un grincement. Je l'avais mal fermée. Je vis une forme blanche à peine plus grosse qu'un raton laveur se précipiter vers le colimaçon. Dans une gueule démesurée, ses crocs accrochaient la lueur des lanternes, elle grimpait vers nous suivant la rampe. Ma mère hurla...

On me secouait. La lumière s'était réduite à un rougeoiement. Un visage plein d'ombres dansait devant moi. Hogarth se tenait penché :

 " Hey, compadre. Tout va bien ?

 - Quoi ?

 - Tu t'es mis à crier dans ton sommeil. Encore un mauvais rêve ?

 - Oui, je crois.

 - Tu veux du thé ?

 - C'est l'heure de mon tour de garde ?

 - Non, pas encore. "

La tasse réchauffait mes mains dans l'humidité de la caverne. Dehors, les ténèbres et la pluie avalaient le monde. Je m'emmitouflais dans la peau d'ours et rejoignis Hogarth devant l'entrée. Tully ronflait tel un dragon. Nous en rîmes un moment. Quand le sommeil me quitta définitivement, je laissais mon ami aller se reposer.

Face au miroir noir de la nuit, mes pensées s'envolèrent vers le village de l'autre côté du canyon. Des échos de mauvaises récoltes nous étaient parvenus à travers les montagnes. On racontait qu'un démon sévissait là-bas, effrayait les paysans de la plaine fertile. Et l'occire était notre mission. S'il existait vraiment. Parfois, nous ne trouvions rien d'autre que croyances, folie et obscurantisme.

Pendant les heures précédant l'aube, j'affûtai mon daisho ainsi que mon tomahawk. La pluie se calma. Dans l'aube grise, les lames de mes sabres renvoyaient des reflets funestes et impatients.

Mais je savais que, dans ce monde en proie à la peur et aux ténèbres grandissantes, elles trouveraient bientôt de quoi se rassasier.

Tully et Hogarth commençaient à bouger. La guerre n'offrait aucun jour de répit, nous reprendrions bientôt la route.

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