Les voix de mes parents emplissent peu à peu l’espace. Une salle de séjour se dessine. Murs sablés, mobiliers épurés, un salon et trois fauteuils à pédales occupent la pièce. C’est une après-midi où nous nous apprêtons à partir en promenade. Ounilo, le fils de notre voisin, a apporté un disque-voyage. Nous partirons bientôt explorer le continent africain du vingt-deuxième siècle. Mais soudain, un heurt à l’entrée, suivi d’une quinte de toux interrompt les préparatifs. Les regards de mes parents se rencontrent, interrogateurs. Bonne Ma’ nous tend deux paires de lunettes interactives.

— Allez jouer à côté, les enfants.

Je proteste car je n’ai pas envie de jouer. Pourquoi essaye-t-elle de se débarrasser de nous ? Qui cogne à la porte quand il suffit d’un pass pour entrer ? Le regard de ma mère suffit à me faire obtempérer. Je saisis le jouet et emboîte le pas d’Ounilo.

Nous entrons dans la pièce adjacente. Murs sablés, mobilier, néant. Lorsque la porte commence à se refermer, j’attrape le premier objet qui me tombe sous la main pour enrayer le mécanisme de fermeture. Sous la pression, l’objet se plie et casse. De vifs éclats de voix nous parviennent de l’autre côté mais sont incompréhensibles.

Ounilo, qui s’est vite désintéressé du mystérieux visiteur, me défie à un jeu de combat algorithmique.

— Es-tu sûre de vouloir te mesurer à Uhna La Rouge ?

— Affirmatif !

Même si quelques cycles nous distancent, Ounilo et moi sommes deux jeunes cellules en apprentissage. Nous grandissons lentement pour mieux nous développer par la suite, comme le veut le nouveau système éducatif. Mon jeune voisin est toujours d’humeur à jouer. Je délaisse ma curiosité pour enfiler la seconde paire de lunettes interactives.

Aussitôt, le monde se transforme. Je suis physiquement dans mon foyer mais virtuellement dans une instance. Je choisis pour avatar une silhouette de femme adulte ayant mes traits de visage, mon teint ambré et ma chevelure ondulée. Je teins ses cheveux en rouge, l’habille d’une robe moulante carmin et lui donne pour arme et protection, une épée et un bouclier. Uhna La Rouge est prête au combat.

D’un vaste panel de personnages, Ounilo sort un zombie aux traits familiers. Nous validons chacun notre avatar et nous retrouvons propulsés sur un ring prêts à passer à l’action. Le zombie pousse des grognements tandis que La Rouge s’impatiente. Je fais le vide afin de me concentrer pour résoudre les phrases arithmétiques que le zombie va me flanquer. Pas question de flancher et de me faire battre par un petit !

— Prépare-toi, Uhna ! me lance, exalté, mon camarade de jeu.

Je suis sur le point de répliquer lorsque la voix de mon père nous ramène à la réalité. L’instance virtuelle s’évanouit. J’ôte mes lunettes et observe mon père : il a l’air éprouvé.

Il donne congé à Ounilo et me dit :

— Uhna, ta Bonne Ma’ et moi venons de prendre une décision. Viens avec moi, je dois te présenter quelqu’un.