5 : Le monorail
De près, la structure du Monorail est encore plus impressionnante. Pour accéder à la navette, pas d’ascenseur mais une échelle télescopique aux marches plates. J’hallucine. Ceux Qui Etaient Là Avant Nous construisent ce transport d’envergure et mettent un accès préjudiciable ? Pas question que je monte. C’est la mort assurée.
Grand Pa’ est déjà au milieu de son ascension quand il remarque que je suis déterminée à rester à terre. Il redescend, se place derrière moi et m’incite à monter la première.
— Mais si je tombe ? Je risque de mourir !
— Ça se peut, dit-il en riant à demi.
— Dans ce cas, je préfère aller là où nous allons en marchant.
— Bien. Disons que tu marches à la vitesse d’un kilomètre par heure, pour recouvrir une distance de cinq cent vingt-cinq kilomètres, il te faudra quelque chose comme deux semaines de marche complète.
Au fur et à mesure qu’il énonce les informations, ma détermination pâlit. Cinq cent vingt-cinq kilomètres, mais où m’emmène-t-il ? A l’autre bout du monde ?
— Avec le Monorail, une heure et quinze minutes suffisent. Ne trouves-tu pas que c’est plus raisonnable ?
Mais enfin, il le fait exprès !
— Et si le Monorail a une panne et qu’on reste coincé ? Si on s’écrase ? Ou qu’il ne s’arrête pas au bon arrêt ?
Le vieux n’avait pas bien l’air de se rendre compte du danger qui nous environnait. Si seulement, je pouvais faire demi-tour. Or, mes parents ne me pardonneraient jamais d’avoir refusé la dernière volonté de mon grand-père.
— Et si tu prenais une dose de courage et montait cette échelle ? Et si tu réalisais que ce n’est pas plus dangereux que de mettre un pied devant l’autre ? Vivre est un danger en soi. Bon, moi, je n’ai pas la journée !
Et le Fossile s’élance pour la seconde fois. En moins de quinze secondes, il parvient à l’orée du sas d’entrée de la navette. Il appuie sur un bouton, une porte s’ouvre, il s’y engouffre et disparaît de mon champ de vision. Puis, il ressort et lance :
— Départ imminent !
Je proteste et m’indigne.
Les moteurs vrombissent tandis que je rassemble tout le courage qui habite chaque parcelle de mon corps. Je lève la main droite pour saisir un barreau, pose mon pied sur une barre inférieure et me hisse. Je renouvelle l’effort. Très vite, les muscles sollicités me procurent une désagréable sensation d’étirement. Jusqu’à cette époque de ma vie, je les avais peu utilisés. A la cité, je me déplaçais essentiellement sur mon hoverboard ou en réalité virtuelle, c’est pourquoi les sièges étaient munis de pédaliers.
Arrivée au milieu de mon parcours, je m’immobilise et réalise que je tiens, littéralement, ma vie entre mes mains. Si je lâche, c’est le drame. Or, m’esquinter n’est pas au programme de la journée. Je continue. Enfin, je suis tout en haut. Je regarde en bas. Le vertige me submerge. Mais non, je ne tomberai pas. De la fierté m’envahie également car j’ai réussi une performance qui me semblait impossible quelques minutes plus tôt.
— Bienvenue à bord de l’Alpin ! me dit Grand Pa’ lorsque j’entre.
Je découvre une navette aux tons sobres, gris métal et kaki. Le mobilier est minimaliste : quatre tablettes reliées à quatre fauteuils. Les baies vitrées offrent un beau panorama de l’extérieur. Deux modules sont annexés, l’un présentant un cabinet d’aisances et l’autre un poste de commande. Grand’Pa se trouve dans ce dernier. Il m’expose comment utiliser l’ordinateur de bord. Pour aller d’un point A à un point B, il faut sélectionner la carte du monde et indiquer la destination à atteindre. Un point vert clignote, c’est notre position actuelle.
— Tu sais qu’on se trouve ici ? demande t-il.
Je hausse les épaules et pince les lèvres.
— Mais qu’est-ce qu’on vous apprend à l’académie ?
— La géométrie, la mécanique, l’astronomie, la physique, l’arithmétique, la biologie…
Seuls les savoirs utiles nous étaient enseignés. A quoi pouvait bien nous servir la géographie du monde puisque notre existence était circonscrite dans le périmètre de notre cité. L’écran indiquait : Pays, France. Région, Nord. Destination ?
Grand Pa’ sélectionne destination puis un lieu plus bas. Pays, France. Région, Les Hautes Alpes. Une fois l’opération validée, nous prenons place dans les fauteuils, l’un en face de l’autre. Je retire le sac à dos que m’a donné Bon’Pa et m’installe confortablement, en n’oubliant pas la ceinture de sécurité. Avec un « cling » la navette quitte son port d’attache et se met doucement en mouvement. L'indicateur de vitesse s’inscrit en chiffres digitaux sur la fenêtre de droite. Ça va de plus en plus vite jusqu’à atteindre la vitesse de croisière de quatre cent vingt kilomètres par heure. Au début, je regarde le paysage extérieur mais très vite, il se transforme en une ligne plane de couleur automnale. Je me focalise sur mon grand-père : il a la tête penchée sur un côté, les yeux fermés.
Je me lève brusquement et me penche pour effleurer son bras.
Ses paupières papillonnent. Il revient peu à peu à lui.
— Oui ?
— Je vérifiais que tout va bien.
Le Fossile me regarde dans les yeux et lit du soulagement.
— Tout va bien, confirme-t-il avant d’expliquer : les transports de ce type ont pour effet de me bercer et de m’endormir. Je vais me reposer un moment. Nous parlerons ensuite, d’accord ?
— D’accord.
Je me réinstalle au fond de mon siège et m’intéresse au contenu du sac à dos. D’ordinaire, lors de nos balades en réalité virtuelle, nous avons un inventaire remplit de tas d’objets dont nous n’utilisons jamais la fonction. L’ordinateur s’en charge pour nous.
Une fois le sac ouvert, j’extrais tous les éléments et les place sur la tablette en face de moi. Il y a un objet circulaire de couleur or et bombé d’un côté, on peut y passer une chaine ; un plan rudimentaire ; une trousse de premiers secours ; une couverture de survie et un sifflet.
A quoi peut bien servir l’objet bombé ?
Tandis que je m’imagine un millier d’utilité, mes paupières s’alourdissent et je finis par m’endormir, moi aussi.
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