Chapitre 5

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Igor alla vérifier ses emails. Eléonore se figea un instant face à cette découverte. Igor continua de l'abreuver d'informations pour qu'elle reprenne conscience.

« _ Généralement, les clients sortent seuls de la cabine et quittent l'établissement. Ils empruntent l'autre porte sur le côté pour ne pas croiser les entrants. Simple précaution. La sérénité est contagieuse. Ils peuvent prendre jusqu'à deux minutes pour reprendre leur souffle et retrouver leur esprit. S'ils ne se retirent pas seuls, nous allons les extraire avec courtoisie.

_ Comment vous savez quand c'est fini ?

_ La lumière, elle s'éteint. »

Il pointa du doigt le recording rouge vestige accroché à la paroi de la cabine.

« _ Vous enregistrez, demanda Eléonore.

_ Pas du tout, non ! C'était fourni avec la cabine, on recycle. Tout ce qui est dit là-dedans n'en sort jamais.

_ Mais Marcel sait ce qu'il se dit. Il est tenu au secret, comme dans un confessionnal ?

_ Peut-être, en quelque sorte. »

Cette réponse évasive dérangea Eléonore. Igor semblait tout à coup désinvolte au sujet de son associé et des conséquences de son activité. Le rouge s'éteignit suivi d'un sifflement de décompression. Igor mima un chut en direction de sa nouvelle employée. On laissait le calme revenir. Il avait appris cela quand il était l'assistant d'un dentiste, en plus de ses efficaces techniques de nettoyage. Cet instant de tranquillité où le client ressent tous les effets du soin était primordial. La femme, rajeunie et apaisée, sortit avec précaution de l'épaisse boite et remercia silencieusement les deux collaborateurs d'une main sur le cœur accompagnée d'un doux hochement de tête. Igor répondit d'un sourire. Eléonore était ébahie.

« _ C'était un joli remerciement non ?

_ Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? Elle est toute calme maintenant. Elle ne fait même plus de bruit quand elle marche.

_ C'est la magie de la cabine.

_ Allons accueillir le prochain client, annonça Eléonore d'une voix entrainante qui lui parut étrangère.

_ Pas trop vite ! Nettoyons l'hygiaphone d'abord. »

Igor ne croyait pas aux forces occultes, mais il comprenait que son associé possédait un pouvoir extraordinaire. Il attrapa un pulvérisateur et un chiffon microfibre de l'unique tiroir de son bureau et emboita le pas d'Eléonore qui s'activait d'instinct. Son envergure de géant lui permettait de nettoyer en rapidement la vitre de plexiglas qui surmontait un guichet de bois écorché par les poignes possédées des clients. Eléonore tentait de percevoir un mouvement de l'autre côté du plexiglas malheureusement plongé dans la pénombre, quand Igor lui demanda d'accueillir le client suivant. Elle prit volontiers la place de l'hôtesse, gonflée à bloc par l'ambiance miraculeuse. Elle apparut accueillante dans la salle d'attente, sûrement trop, et fut prise au dépourvu par l'assemblée démultipliée. Une grappe de nouveaux clients avaient comblé les espaces libres de la salle. Le numéro deux bondit face à elle et l'agrippa de son regard enragé. Cette pression l'assomma. Elle se laissa délicatement effacer par le bras d'albatros de son patron qui était venu à son secours et envoya le client dans la cabine.

L'esprit d'Eléonore était paralysé par la fureur du petit homme. Elle s'en voulait de ne pas s'être maitrisée. Où avait disparu cette force qui l'avait maintenue droite au repas dominical ? Elle pensait qu'elle n'arriverait jamais à se dépasser pour survivre dans ce nouveau métier. Elle s'était cru plus forte qu'elle ne pouvait l'être réellement. Elle retrouva ses esprits quand Igor l'assit à son bureau et lui tendit un verre d'eau froide.

« _ Excusez-moi, je ne sais pas ce qui s'est passé. Je ne comprends pas ... Enfin si je comprends : je ne suis pas faite pour ça visiblement.

_ Ce n'est qu'un premier essai. Ne vous jugez pas trop vite et surtout ne laissez pas tomber maintenant. Offrez-vous la chance de réussir.

_ Oui, vous avez raison, balbutia Eléonore.

_ Bon. Retournez-y alors. La cabine vient de se libérer, annonça-t-il en souriant »

Certains clients sont expéditifs. Ils vivent l'expérience comme un rituel hygiénique. Eléonore rassembla son courage pour appliquer l'ordre donné. Les mots d'Igor et l'aigre jugement qu'elle avait d'elle-même dissonaient dans son crâne. Elle nettoya l'hygiaphone machinalement puis s'arrêta tendue face à la porte de la salle d'attente. Elle secoua sa tête comme pour disperser ses pensées. Elle s'engagea dans la pièce, un peu trop raide cette fois, envoya le client dans la cabine, puis expulsa l'air de ses poumons. Son corps se détendait un court instant avant d'exécuter à nouveau le rituel de l'accueil. Cinq, dix, quinze fois elle s'essayait à rester neutre, à être parfaite face aux clients. La fin de matinée approchait, la salle d'attente se vidait en prévision des mécontents du déjeuner. Eléonore était abattue et épuisée par cette chorégraphie qu'elle n'arrivait pas à maitriser. Elle commença à s'oublier en se permettant de douter de l'honnêteté de son entreprise.

« _ Mais si un client parlait de tuer quelqu'un ?

_ Précrime n'a pas encore été inventée, les Précogs non plus, balaya-t-il.

_ Ah ouais, je vois le genre.

_ Le cas ne s'est pas présenté, tout simplement, répondit Igor d'un air un peu penaud. »

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