Ploc, ploc, ploc 2

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Dans un savon de lavande, je me permets de soulager mon corps de la fatigue de la journée, bien que vide. Qui aurait cru que même en ne faisant rien, on s’épuise ?

Après ma rencontre avec le groupe de ce matin, je me suis dirigée vers le bar où j’ai joué en tout dix parties, n’en gagnant que deux. J’ai toujours été nulle à ce jeu et encore du mal à comprendre les règles ! Puis, la bronzette m’a invitée au bord de la piscine, mais je ne m’y suis pas attardée ; trop de gosses à gueuler un peu partout.

Et enfin, l’affiche du bain de minuit m’a fait de l’œil, collée à une porte avec ses consœurs. Je m’attendais à trouver du monde, notamment de vieilles femmes au corps rabougri, des mères enfin libres de souffler ou encore des couples qui ne réussissaient pas à se détacher l’un de l’autre. Pourtant, je me retrouve toute seule.

Pas que ça me dérange.

  • Je peux me joindre à toi ?

Et j’ai parlé trop vite.

  • Tu n’as pas besoin de mon accord pour prendre un bain.
  • Non, mais en ta compagnie, oui.

Elyse s’installe non loin de moi et on garde le silence. Ça fait tellement longtemps qu’on ne s’était pas adressée la parole que je perds mes mots.

  • Je viens te présenter mes excuses pour Jade. Tu sais comment elle est, toujours directe et honnête…
  • Pas besoin non plus de justifier ses actes. Tu n’es pas sa mère.
  • Oui, mais quand même. Elle ne devait pas le dire de la sorte.
  • Qu’est-ce que tu veux vraiment, Elyse ?

Elle se tait, regarde les bulles éclater, ouvre sa bouche et la referme la seconde d’après pour enfin se tourner vers moi.

  • Essayer de réparer l’irréparable… ?
  • J’ignore de quoi tu parles.
  • Tu le sais très bien ! Pourquoi tu m’as rien dis ?
  • Je…Je ne voulais pas te déranger avec euh…Mes histoires…
  • Tu t’entends parler ? C’était comme si on se connaissait depuis quelques semaines !
  • Chut ! Tu vas réveiller tout le monde !
  • Comment tu veux que je garde mon calme alors que tu me traites comme si j’étais personne !
  • Ton accent de quartier refait surface.
  • J’emmerde mon accent !

On se tait encore.

Cette fois, c’est moi qui suis gênée par ce silence. Ça a toujours été comme ça, depuis notre enfance. Elyse, bien que plus mûre à cet âge, a toujours gardé son côté explosif secret ; il n’y a qu’avec moi qu’il reprend vie. Une chose qui ne me déplaît pas, mais j’ignore toujours où mettre les pieds à chaque fois.

Je m’enfonce un peu plus dans l’eau et remarque qu’Elyse fait de même. On reste ainsi durant des minutes et des minutes et une fois ennuyée par les bulles, je lève la tête. Je n’ai pas remarqué que le ciel est dégagé et que les étoiles sont visibles ce soir. Et juste au milieu, une lune à moitié pleine.

  • Ça me fait penser à nos vacances d’été à la compagne, dis-je sans réfléchir.
  • …Le jour où ton grand-père nous a trouvées perdues dans les bois ?
  • Et quand il a pété un câble parce qu’il a passé la journée à nous chercher, haha !
  • Et quand ta grand-mère a vu ma robe déchirée, je me souviendrai de son serment toute ma vie.
  • Après, ils nous ont obligées les tâches ménagères pour nous séparer.
  • Parce qu’on ne faisait que des bêtises ensemble !
  • Et on faisait tout pour se retrouver quand même.

On éclate de rire et je plaque mes mains contre la bouche d’Elyse ; il n’y a pas plus assourdissant que son fou rire. Il faut dire qu’elle ne se gêne pas.

  • Raconte-moi ce qu’il s’est passé, Mary, me dit-elle une fois calmée.
  • Qu’est-ce que tu veux savoir exactement ?
  • Pourquoi tu t’es pas défendue quand Jade a lancé ces rumeurs ?
  • Tu les as crues ?
  • Tu m’aurais crevée les yeux.
  • Haha ! Ravie que tu en sois consciente…Pour te dire la vérité, j’avais peur des regards des autres. On parle bien de Jade, hein. La fille que tout le monde côtoie plus longtemps que moi. Quoi qu’elle dise, Amen !
  • Quelles étaient ses raisons ?
  • Je l’ai vu en train de coucher avec le prof remplaçant de philo. Elle avait tellement peur que je dise quoi que ce soit qu’elle m’a accusée de droguée.
  • Et tu… ?
  • Je n’y ai jamais touché. Tentée peut-être, mais jamais.
  • Ton père était en désintoxe à cette période-là, si je m’en souviens bien. Comment va-t-il ?
  • Il a du mal à résister, mais il tient bon. Il n’y a pas touché depuis un an maintenant.

L’éclatement des bulles meublent le nouveau silence, moins inconfortable que le précédent. Un soupir d’aise quitte le bouche d’Elyse qui ferme les yeux et apprécie ce moment. Alors que je mouve mes bras sur l’eau, mouillant au passage mes épaules séchées.

J’éclate une bulle de savon.

  • Ploc, ploc, ploc…

Je pensais mon murmure discret, mais je remarque le regard d’Elyse posé sur mon index qui s’amuse à « exploser » les bulles les plus persistantes. Je me tourne vers elle et tente :

  • Ploc, ploc, ploc ?
  • Ploc, ploc, ploc ! rit-elle en rejoignant mon jeu.

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