Sous-chapitre 3 : L’éveil du rôle

Clara était assise sur un rocher plat, ses mains toujours légèrement tremblantes après son affrontement avec le troll. L’homme, celui qui l’avait sauvée, s’était installé près d’un feu de camp qu’il venait d’allumer, non loin. La créature gisait encore à quelques mètres, sa masse imposante semblant absorber toute lumière. Une odeur âcre flottait dans l’air, un mélange de sang et de chair brûlée qui lui donnait la nausée.

Le silence pesant fut finalement rompu par la voix grave et posée de l’homme :
— Alors, tu comptes rester là à te demander ce qui vient de se passer, ou tu veux quelques réponses ?

Clara releva lentement la tête. Ses yeux bleu clair perçaient à travers la poussière encore en suspension, mais son regard trahissait une confusion profonde.
— Où suis-je ? répéta-t-elle d’une voix hésitante.

L’homme, accroupi près du feu, planta son regard dans le sien, comme s’il la jaugeait.
— Tu es dans les Plaines des Échos, une des régions périphériques d’Eryndor. Un endroit tranquille… jusqu’à ce qu’un troll comme celui-ci décide d’y rôder.

Il se redressa, son armure cliquetant légèrement, et croisa les bras.
— Mais toi, tu n’es pas d’ici. Ça se voit à ton air perdu et à la façon dont tu as tenu cette épée comme si c’était un jouet. Alors, dis-moi, d’où viens-tu ?

Clara ouvrit la bouche, puis la referma aussitôt. Comment pouvait-elle expliquer qu’elle venait d’un monde totalement différent ? D’une réalité où tout cela, Eryndor, n’était qu’un jeu vidéo ? Elle hésita, triturant le bas de sa tunique en cuir.
— Je… Je viens de Tourcoing. C’est… un endroit loin d’ici, dans un autre monde, probablement.

L’homme haussa un sourcil, l’air dubitatif.
— Un autre monde ?

Elle hocha la tête, rassemblant son courage.
— Oui. Je jouais à un jeu. À ce… monde. Et puis, je me suis retrouvée ici. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais tout ça… ce n’est pas réel. Enfin, ça ne devrait pas l’être.

Il la fixa longuement, son expression oscillant entre scepticisme et curiosité. Puis, il lâcha un petit rire, rauque et chargé d’ironie.
— Si ça n’est pas réel, je suppose que ce troll mort derrière toi est une illusion, et que le sang sur ton épée n’est qu’un rêve.

Clara baissa les yeux, observant la lame qu’elle avait reposée près de ses pieds. Il avait raison. Tout était tangible, trop réel pour n’être qu’un rêve ou une hallucination. Mais cette explication rationnelle ne rendait pas la situation moins absurde.

L’homme s’approcha et s’assit en face d’elle, son imposante carrure lui donnant l’air d’une montagne. Il tendit une gourde.
— Bois. Ça t’aidera à reprendre tes esprits.

Clara hésita, puis accepta. Le liquide était frais, légèrement épicé, et glissa dans sa gorge comme un baume. Elle sentit son cœur ralentir, sa respiration se calmer.

— Merci, murmura-t-elle.

— Alors, reprit-il, si je comprends bien, tu es une sorte d’étrangère, venue d’un autre monde. C’est rare, mais pas inédit.

Clara releva la tête, surprise.
— Vous voulez dire que… d’autres comme moi sont déjà venus ici ?

Il hocha la tête, ses yeux scrutant les flammes dansantes du feu.
— Il y a des légendes, des histoires anciennes qui parlent de voyageurs venus d’ailleurs. On les appelle les Fracturés, parce qu’ils viennent d’un endroit brisé, différent d’Eryndor. Mais ils ne sont pas tous restés… et ceux qui l’ont fait ont changé le cours de l’histoire.

Clara sentit un frisson lui parcourir l’échine. Était-elle l’une de ces Fracturés dont il parlait ? Si oui, pourquoi elle ? Elle n’avait rien d’exceptionnel. Elle n’était qu’une lycéenne banale qui jouait à des jeux vidéo pour échapper à sa routine.

— Pourquoi moi ? demanda-t-elle à voix basse, presque pour elle-même.

L’homme haussa les épaules.
— Ça, c’est à toi de le découvrir. Mais si tu veux survivre ici, tu dois apprendre rapidement. Ce monde est impitoyable, surtout pour les novices comme toi.

Il se leva et se dirigea vers le troll, inspectant le cadavre avec un mélange d’habitude et de professionnalisme.
— Chaque créature ici a un but, un rôle dans le cycle d’Eryndor. Ce troll, par exemple, était probablement un gardien d’une épreuve mineure. Sa mort signifie quelque chose.

Clara se redressa lentement, intriguée.
— Une épreuve ?

L’homme se retourna vers elle, un sourire énigmatique aux lèvres.
— Oui. Eryndor est un monde d’épreuves. Ceux qui viennent ici, qu’ils soient natifs ou étrangers, sont mis au défi. Chaque victoire t’apporte quelque chose : une bénédiction, une leçon, un fragment de vérité. Mais échoue…

Il laissa sa phrase en suspens, son regard suffisamment parlant pour qu’elle comprenne.

Clara serra les poings. Elle n’aimait pas l’idée d’être testée, d’être jetée dans ce monde sans préparation. Mais au fond d’elle, une petite voix murmurait que c’était peut-être une opportunité. Une chance de prouver qu’elle pouvait être plus que ce qu’elle pensait être.

— Et maintenant ? demanda-t-elle en se levant.

L’homme sourit, satisfait de son regain de détermination.
— Maintenant, tu me suis. Je vais t’emmener à Gorenth, la Ville du Jugement. Là-bas, tu trouveras des réponses… et peut-être ta prochaine épreuve.

Clara hocha la tête, glissant son épée dans son fourreau. Elle ne savait pas où ce chemin la mènerait, mais elle avait une chose en tête : elle n’était plus une simple joueuse. Elle était une aventurière d’Eryndor.

Alors qu’ils commençaient à marcher, une ombre passa dans le ciel. Clara leva les yeux et vit un oiseau gigantesque, ses ailes déployées projetant une silhouette imposante sur le sol.

— Un griffon, murmura l’homme sans ralentir.

— Un griffon ?! s’exclama Clara, stupéfaite.

Il sourit, amusé par son étonnement.
— Tu n’as encore rien vu, petite. Bienvenue dans un monde où les légendes prennent vie.

Ils marchèrent en silence, laissant derrière eux la carcasse du troll et la Plaine des Échos. Pour Clara, c’était le début d’un voyage qu’elle n’aurait jamais pu imaginer.