4

4 minutes de lecture

Chris finissait de nettoyer la salle de bain quand on toqua violemment à la porte. Elle regarda longuement la poignée, hésitant à ouvrir, puis se dit que personne à part elle-même n'était au courant de la mort de la vraie locataire de l'appartement. A contrario, si elle restait ainsi enfermée, elle éveillerait sans doute les soupçons. Aussi finit-elle par déverrouiller la porte.

Elle découvrit alors un homme de taille moyenne, pas particulièrement fort, mais dont les traits prononcés, les poings serrés et le regard dur révélaient le tempérament rude. Il avait les joues creuses, les lèvres fines, le nez droit, le menton en avant et les yeux verts foncés légèrement plissés. Son teint était mate, ses cheveux noirs ébouriffés. Il avait autant de cicatrices qu'un sapin de Noël a de guirlandes : sous l'œil droit, au cou, aux bras, au poignet, jusqu'au doigt. Il se tenait droit, aussi impassible qu'une forteresse. Il portait un jean sombre dont le bas était sale et le haut troué, une chemise à carreaux rouges, noirs et blancs, une veste en cuir ternie et des bottes de cow-boy. Une boucle d'oreille avec une petite perle en bois et une plume brune pendait à son lobe gauche. Il fixait Chris avec circonspection. Impressionnée, elle déglutit.

Il demanda d'un ton sec :

- Qui es-tu ?

- Chris McSteel, répondit-elle avec une assurance forcée.

Puis, voyant qu'il ne bronchait pas, elle l'interrogea :

- Et vous ?

- Son mec.

Cette réponse eut l'effet d'un coup de massue. Malgré elle, Chris se mit à trembler. L'homme la poussa doucement et entra tout naturellement dans l'appartement pour prendre place sur le sofa. Elle resta plantée là, agrippée à la poignée de la porte en serrant les lèvres.

L'homme la regardait, avec un petit sourire en coin. Chris tentait de ne pas croiser ce regard mais il avait le don de l'énerver.

Chris fronça les sourcils et demanda avec agacement :

- Pourquoi tu me regardes comme ça ?

Son sourire s'élargit. Il lança :

- C'est bien; avec ce ton-là tu ressembles un peu plus à Chris.

Gênée, elle se mit à fixer le sol. La voix de l'homme était posée et sereine.

- Allez dit-il, tu peux bien venir t'asseoir dans ton sofa. C'est le tien maintenant, non ?

Elle s'exécuta en silence, sans cesser de regarder à terre. L'homme posa les coudes sur les cuisses, joignit les mains et se tourna vers Chris :

- Tu peux m'expliquer qui tu es ?

Elle soupira :

- Je ne me rappelle rien. Je n'ai pas la moindre idée de qui je suis. Je me suis réveillée dans cette grange avec un flot de sang qui jaillissait de ma tête et un cadavre à côté de moi. J'ai pris tous ses papiers, sa voiture, ses clés... J'ai volé l'identité de Chris McSteel. Peut-être que ça fait de moi une meurtrière, une voleuse, une usurpatrice. J'ai juste pris ce qui s'offrait à moi, je m'en fous si c'est mal.

L'homme hocha la tête. Il demanda :

- Qu'as-tu fait du corps ?

- Je l'ai enterré dans la grange; c'était à l'abandon. J'ai brûlé ma voiture. Personne n'en saura rien.

Il hocha une nouvelle fois la tête.

- C'est bien.

Elle le regarda, en attendant une suite. Il n'y eu pas de suite. Elle se risqua à demander :

- C'est quoi votre nom ?

- J'ai eu un nom, un jour, un nom qu'on ne dit plus. Je suis un peu comme toi, je fuis loin de mon passé, loin de moi-même. Je te comprends mieux que tu ne le penses. Tout le monde m'appelle Katheryn. Fais de même.

- Vous me connaissiez, avant ?

- Non.

- Vous savez pourquoi j'aurais pu tué Chris ?

- Quand tu poses une question, réfléchis d'abord à ce qu'implique sa réponse. Tu as décidé d'être Chris, très bien. Alors n'évoque plus les raisons de sa mort. Si tu me le demandes, je répondrai à la mauvaise personne : la salope qui a tué Chris. Tu peux être qui tu veux, mais tu ne peux être qu'une seule personne à la fois. À toi de savoir laquelle est la bonne.

- Je veux être Chris. Mais j'ignore ce que je dois faire.

- Tu es Chris, très bien. Alors je vais te présenter. Tu es orpheline, tu as un sale caractère mais tu es une personne discrète. Tu détestes quand je te donne des conseils même si tu sais que j'ai raison. Toi et moi, nous sommes des tueurs à gages.

- Ça me convient.

- Tu peux commettre un meurtre ?

- Ça ne sera pas le premier.

- Très bien.

Pour la première fois depuis le début de leur conversation, Chris leva la tête vers Katheryn. Elle demanda :

- Avant d'être vraiment Chris, je peux vous poser une question ?

- Quoi, tu ne l'es pas encore ? D'accord, c'est la question qui clôt le pacte. Après, tutoies-moi s'il te plaît.

- Vous... Pardon, tu... Tu n'as pas l'air vraiment triste, pourtant tu as perdu la fille que tu aimais. Pourquoi tu ne pleures pas ?

- Tu imagines que les gens pleurent pour ce genre de chose ? Qui a dit que j'aimais Chris ? C'était une bonne associée, aussi douée pour donner la mort que les orgasmes. Je n'ai jamais aimé Chris et elle ne m'a jamais aimé. C'était une garce. Je tue des gens de mes mains sans arrêt; pourquoi je pleurerais la mort d'une garce ?

- Je pensais que les gens étaient ensemble par amour.

- Je m'aime moi-même, c'est déjà bien assez ! Les gens se mettent ensemble pour profiter de quelque façon que ce soit. Si tu n'avais pas perdu la mémoire, tu le saurais.

- Ne parlons plus de ma mémoire, ni du cadavre. À présent, c'est moi Chris. Et ne t'attends pas à tirer profit de moi !

Annotations

Vous aimez lire Opale Encaust ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0