Chapitre 38

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38

Dimanche 29 juillet 2022, 19h06

   Un soulagement immense s'insinua en Yannick lorsque derrière la porte en bois de la maison souterraine, trois coups secs retentirent à intervalles reconnaissables. D'un pas rapide, il rejoignit l'entrée, et ouvrit avec enthousiasme à sa collègue et Erwan. Enthousiasme qui, à la simple vue de la jambe couverte de sang de Amali, retomba aussitôt.

Il n'y eut pas de mots d'échangés, simplement une prise en charge vive par un Yannick désormais tristement habitué aux blessures par balle. En quelques tours de bras, la jeune femme fut emmenée dans la salle commune, où Jon et Eden s'attelaient d'ores et déjà à dresser un équivalant de table d'opération.

— Paniquez pas c'est rien, souffla Amali lorsque Yannick attrapa un dictionnaire pour surélever sa jambe.

Ses dents grincèrent tout de même, et malgré ses belles paroles, lorsque les doigts froids de son collègue effleurèrent la partie du mollet touché par la balle.

— Ils vous ont tiré dessus ?

Jon se tenait près d'elle, ahuri, et la couvrait d'un regard inquiet, sa question en suspend.

— Non, répliqua Amali. C'est pas eux qui ont tiré, c'est la milice. Ils nous sont tombé dessus alors que je discutais avec Jelena.

Jon hocha doucement la tête, coula un regard à Eden, qui grogna avec froideur.

— Tu t'es mangé une balle à cause d'eux quoi.

— Une balle perdue ouais.

— Eden chaussettes, ordonna Yannick.

Robotique, le jeune homme attrapa une paire de chaussette roulée en boule dans la trousse à pharmacie, et la tendit à Amali avec un sourire en coin.

— Essaye de pas penser au fait qu'elles sont probablement sales.

Un rire étouffé s'échappa des lèvres de la jeune femme avant que ses dents ne se referment sur la paire de chaussette. Peu après, Yannick désinfecta la plaie, retira la balle, puis banda le tout dans des gestes qui par la force de l'habitude, se faisaient plus habiles.

Une petite heure plus tard, Amali s'était endormie, lessivée par les émotions et la violence de leur entrevue avec Jelena. Jon l'avait portée jusqu'à son lit, lui avait demandé d'appeler au cas où, puis était parti rejoindre Eden, Erwan, Yannick et Iverick dans la salle commune

—… refusé quoi, soupira Iverick.

— Elle l'a pas explicitement dit, mais en gros c'est ça.

— Si je résume bien, vous êtes allés en terrain ennemi, avez risqué de vous faire plomber par la milice, et tout ça pour quoi ? Pour un refus de cesser le feu ?

— Vous vous attendiez à quoi ? rétorqua Eden. Ils ont tous vrillé là-bas.

Jon traversa la salle commune pour aller s'asseoir près de son meilleur ami, qui le regarda faire d'un air fatigué, avant de revenir à Erwan et son récit des derniers événements.

Tous s'interrogeaient plus ou moins sur la venue de la milice avec un timing si parfait, sur les prochains faits et gestes de Jelena et son groupe, sur la démence collective qui pourrait mener loin.

Iverick écoutait attentivement ses compagnons échanger sur la santé mentale douteuse de Jelena, Vasco, Théo, sans oser répliquer que si eux avaient commencé à sombrer, qu'est-ce qui les retenaient, Eden, Jon, Erwan et lui ? Après tout, eux aussi avaient muté, eux aussi avaient dû être victime de la dégradation de l'aire de Broca. Pourquoi seraient-ils différents ? Pourquoi ne seraient-ils pas déviants, à leur manière ? Le discours de Eden était trop manichéen : il ne pouvait pas y avoir les mutants fous et terroristes d'un côté, et les mutants saints et pacifistes de l'autre, c'était ridicule, d'une naïveté qu'il ne soupçonnait pourtant pas chez le jeune homme en face de lui.

Et puis, après tout, il avait envie de rappeler à Eden que trois ans plus tôt, c'était bien lui qui avait engendré la tuerie du barrage de l'Ain, qui avait forcé les forces de l'ordre par son don, à se tirer mutuellement dessus.

— Et qu'est-ce qu'on peut faire maintenant ? Ils vont continuer, c'est une certitude donc...

Yannick s'interrompit, lorsqu'une sonnerie de téléphone se mit à hurler dans la pièce. Eden sursauta, et extirpa de sa poche de pantalon, son portable qui, sonnant et vibrant en tous sens, affichait un appel entrant de Mehdi.

— Ils ont peut-être changé d'avis, sourit Jon.

Eden lui adressa un regard critique en coin, avant de décrocher, et de porter le mobile à son oreille.

— Mehdi ?

— Il est mort putain.

Eden un instant, resta statique, la bouche ouverte, les yeux fixés sur un point au mur face à lui. En un instant, sa gorge s'était asséchée, rendait sa respiration râpeuse.

— Vasco ?

— Ces fils de putes que vous refusez de flinguer lui ont... ils ont...

Avec un temps d'arrêt, le jeune homme remarqua enfin les sanglots dans la voix de Vasco, les tremblements de ses mots, la détresse qui transperçait au travers de ses paroles.

— Qu'est-ce qui se passe ? s'enquit Yannick, tout bas.

— Mehdi..., il s'est fait abattre.

   Vasco se retenait au téléphone de Mehdi comme à une bouée de sauvetage. Peut-être qu'en fermant les yeux assez fort et en parlant à travers ce mobile qui était le sien, Mehdi recommencerait à respirer, lui hurlerait de lâcher ses affaires, de retirer ses ''sales pattes'' de son téléphone adoré, de le reposer sans plus de discussion.

Il l'espérait du moins.

Vasco ?

La voix de Eden au travers de l'appel, manqua faire redoubler ses sanglots. Il ne savait pas pourquoi il l'avait appelé, pourquoi il n'avait pas plutôt appelé Amali ou Yannick, pourquoi sur tous ses anciens camarades du Phoenix, il avait chois de contacter celui qui le hérissait le plus. Peut-être car justement, pleurer face à Eden le gênait moins que s'il avait s'agit de quelqu'un de plus ''important''. D'une personne qu'il aurait eu peur de décevoir. Un sourire amer étira ses lèvres lorsqu'il se rendit compte que s'il avait appuyé sur le contact de Eden en particulier, ce n'était sûrement pas car il le pensait plus ou moins apte que les autres à accueillir sa tristesse sans jugement, non. Il avait simplement besoin de lui parler à lui, et à personne d'autre.

Il ne souhaitait pas inspirer la pitié, la condescendance, mais le constat était là, sous une bâche blanche ignoble, le cœur à l'arrêt.

Réponds-moi s'il te plaît, lui demanda Eden, calmement.

— Il était innocent, il... il était même pas mutant il... pourquoi c'est lui qu'ils ont plombé hein ?!

Ses mots jaillissaient tous seuls d'entre ses lèvres tremblantes, explosaient aux oreilles de son interlocuteur d'une force destructrice. Il y avait tant d'injustice dans la mort de Mehdi, qu'au-delà d'avoir perdu son meilleur ami, il l'avait surtout perdu pour rien.

Tout ce que Mehdi avait fait de mal dans sa vie, c'était à cause de lui, de la forte influence qu'il avait sur lui et dont il avait joué, au Phoenix. Il l'avait toujours poussé à aller à l'encontre des règles et de ce que leurs éducateurs trouvaient juste, il n'avait jamais de lui-même, proposé de bêtise ou fait du mal à quelqu'un d'autre.

Mehdi était gentil, fondamentalement gentil, quelqu'un de bien, et il était mort sous les balles résultant d'un conflit qui ne le concernait pas.

Il était au mauvais endroit au mauvais moment, tenta de l'apaiser Eden. Ils ont aussi tiré sur Amali, ils ont tiré sur tout le monde en fait, sans distinction. Ils ne le visaient pas.

— Et c'est ça le pire.

Vasco brassait de l'air de son bras libre, cherchait à occuper la place autour de lui, à oublier l'agitation qui régnait dans la gare ou plutôt, ce qui en restait. Son explosion au-delà d'ôter la vie à la quasi-totalité des militaires, avait surtout détruit murs et fenêtres, arraché la toiture, pulvérisé le bâtiment.

Jelena bien que légèrement blessée, faisait depuis plus d'une heure le tour des victimes éparpillées ci et là, relevaient leurs noms et prénoms, faisait le point sur la situation. Combien de victime de leur côté, combien du côté des militaires ?

Du bout des doigts, Vasco effleura sa propre épaule bandée et oh combien douloureuse, que Nathan avait tenté de soigner du mieux qu'il le pouvait.

— T'es encore là ?

— … comment va Amali ?

Bien, répondit Eden. Elle s'est pris une balle dans la jambe, rien de trop...

— Et ça te fous pas les boules ? Je veux dire, ils tirent sur Amali, la blessent, et ça malgré le fait qu'un vulgarisant, elle soit de leur côté ?

— On est pas de leur côté.

Vasco renifla avec amertume, avant de sursauter lorsqu'une main se referma sur son épaule valide, l'étreignit avec douceur.

D'un regard en coin, il tomba sur le visage concerné de Matteo qui d'un air curieux, lui indiqua le portable.

— C'est Eden.

— Tu tarderas pas à raccrocher ? Jelena veut qu'on lève le camp le plus vite possible.

Raccrocher ? Déjà ? p

Le cœur de Vasco se serra : lever le camp ? Mais pour aller où ? Et surtout, qu'allaient-ils faire de tous ces corps étendus sous des bâches, de toutes ces mémoires qui à jamais, hanteraient les vestiges de la gare de Perrache ? Il ne pouvait concevoir de partit, là, maintenant. Il connaissait le risque, l'ombre menaçante d'une nouvelle unité de milice qui en ne voyant pas revenir leurs collègues, pourraient venir terminer le travail. Et Vasco savait que dans son état, il ne pourrait réitérer l'exploit de son explosion.

— … ok, répondit-il finalement à Matteo.

— Vasco ? Vasco ?

Les voix entremêlées de Eden et Jon terminèrent de lui tordre l'estomac alors, sans plus attendre, il raccrocha et coupa le portable avant de l'enfouir dans sa poche.

Matteo lui adressa un signe de tête, avant de lui désigner le groupe de mutants derrière lui du pouce :

— Tu viens ?

— … cinq minutes s'te plaît.

Le jeune infirmier opina, et s'éloigna pour laisser Vasco se redresser, essuyer les dernières larmes échouées au bas de son visage et rejoindre le corps froid de Mehdi. Tremblant, il attrapa un morceau de bâche pour constater les yeux clos, le visage calme et à la peau terne de son meilleur ami.

— Tu passeras le bonjour à Eli et Gabriel là-haut ?

Ses doigts relâchèrent le morceau de plastique, il ravala un sanglot, et rejoignit enfin Jelena et Matteo, leurs quelques affaires empaquetées.

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