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Vendredi 11 avril 2024, 15h48

    Nathan d’un œil suspicieux, fixait la quasi totalité des armées de Jelena, regroupés par division, régiments, en groupes compacts et uniforme dans la cour de leur base militaire. C’était presque trop propre pour être réel : en un sens, la façon qu’avaient les soldats de se regrouper de façon si ordonnée lui rappelait étrangement certaines images vues dans des livres d’histoire, et il n’aimait pas ça.

Près de lui, Jelena observait également les moindres faits et gestes de ses précieux soldats mutants. Un peu comme si par sa simple analyse, elle arrivait à statuer sur leurs chances d’en réchapper de l’attaque visiblement massive que préparaient les résistants, sous l’impulsion d’un Jon plus agité que jamais.

— Ils ne pourront rien contre nous, n’est-ce pas ?

D’un air évasif, il considéra la jeune femme avant de hausser les épaules :

— J’en sais rien Jelena. On sait pas combien ils sont, ni quel genre de force de frappe ils ont dans leurs rangs. Rien que Jon et Erwan, c’est déjà potentiellement dangereux. Alors imagine qu’ils aient des mutants du calibre de Vasco ?

À l’entente du prénom du prisonnier, Jelena se raidit, et détourna les yeux. Lassé que ses vaines tentatives d’aborder le sujet de Vasco tombent à l’eau les unes après les autres, Nathan se contenta alors d’un soupir, et ferma les yeux.

— Tu dis n’importe quoi, siffla soudainement Jelena. C’est pas ça qui m’inquiète !

Sortit de sa torpeur, Nathan se retourna vers elle, constata qu’elle ne le regardait pas, et haussa un sourcil. Cela faisait plusieurs jours qu’il trouvait la jeune femme agitée, anxieuse même, et bien qu’elle ait perdue Amali, son comportement n’avait rien de celui du deuil. Il avait d’étranges ressemblances avec le comportement d’un dément, et ça l’inquiétait fortement. Parler alors qu’il n’y avait personne, tourner en rond dans son bureau jusqu’à pas d’heure, descendre en pleine nuit dans la cour de la base pour brûler des piles de buches sans commune raisons… Tout chez elle l’inquiétait, mais il ne savait pas comment aborder cela avec elle.

Alors il se taisait.

    De toute sa carrière, Yannick avait toujours su trouver les mots : pas toujours justes, mais il n’était jamais resté muet face aux situations qu’il rencontrait. Parfois, les mots lui venaient d’instinct, et il savait en les prononçant, qu’ils marcheraient sur la ou les personnes qu’il essayait de rassurer, de comprendre. Mais depuis quelques jours, et pour la première fois de sa vie, il n’avait plus les mots.

Jon et Eden, comme deux aimants retournés l’un contre l’autre, se rejetaient avec ardeur. L’un passait ses à planifier l’attaque à Paris avec plusieurs autres résistants basés un peu partout sur le territoire, tandis que l’autre partait à l’aube, et ne revenait que tard le soir, souvent accompagné d’un Erwan trop angoissé pour être innocent. Cependant, lorsqu’il leur arrivait par malheur de se croiser, ils se jaugeaient avec gravité, se défiaient de lancer les hostilités, y arrivaient parfois mais, bien souvent, ils se contentaient de rester murés dans le silence, et de se contourner, pour passer à autre chose.

Dans ces moment-là Erwan, son petit Erwan, se rapprochait instinctivement de Eden, comme si la simple présence de Jon suffisait à l’insécuriser à un point tel que ses muscles se tendaient, et que ses yeux, légèrement, s’écarquillaient. Il avait essayé d’en parler avec les jeunes, de comprendre ce qui se passait mais, chez l’un comme chez l’autre, le silence— était de mise. Et que pouvait-il faire face à cela ? Les forcer ? Les menacer, faire du chantage ? Rien de tout ça. Il se heurtais simplement au fiât de na pas avoir les mots, de ne pas savoir quoi dire.

Alors il se taisait.

Jeudi 17 avril 2024, 13h21

    Dubitatif, Iverick fixait la lourde porte en bois de derrière laquelle s’élevaient coups

Et protestations. Il était réellement partagé, et les menaces que Yannick vociféraient n’y arrangeaient rien : il avait l’impression d’être le méchant de l’histoire et au fond, peut-être avait-il raison de penser ainsi.

Tout était allé très vite, il n’avait pas vraiment eu le temps de comprendre l’enchaînement des événements. Il y avait tout d’abord eu la visite de Jon à Jennifer qui, grâce à son réseau, était parvenu à lui avoir un accès globale à la fréquence radio utilisée par la Résistance, et par le biais de laquelle il avait diffusé un message de ralliement. Un appel au combat, un message d’alerte sur la dangerosité croissante des Phoenix, avec pour exemple leurs derniers agissements, et notamment la mort de Amali, figure emblématique de la création du mouvement, cinq ans plus tôt. Si il avait tout d’abord pensé que personne ne répondrait positivement à son appel, il avait été étonné de constater l’engouement monstrueux autour des paroles du jeune homme, des réponses bien plus nombreuses qu’escomptées et surtout, de l’organisation militaire de l’opération. Il n’était plus question de quelques résistants épuisés et blessés, mais d’un rassemblement de plusieurs branches, de chaque grand groupe reliés à chaque région, d’une mise en place de plan clair et délimité sur les rôles et les libertés d’action de chacun.

C’était propre, carré, il devait bien l’admettre. À l’aide de Jennifer et de Christophe, le chef résistant d’île de France, ils avaient prévu une date, une heure, et une préparation en ce qui concernait l’armement et les différents points d’attaque. Sur le papier, le plan ne pouvait pas échoué.

Cependant, même si la préparation de l’attaque de la base militaire où séjournait la quasi totalité des armées de Jelena semblait bien se dérouler, n’en restait pas moins qu’en interne, la tension était maximale. Eden avait décidé que l’idée de Jon était mauvaise, des plue extrémistes possibles, et le faisait ressentir par son attitude, ses actions mais surtout, le nombre incalculable de mots qu’il laissait traîner un peu partout dans le foyer : « C’est du suicide », « Tu n’es pas fou, reviens sur ta décision », « Le problème c’est Théo, pas tous les Phoenix », « On se bat pour l’égalité », « La guerre lave le sang par le sang ». Autant de mots que Jon froissait dès qu’il les trouvait, avant de les ramener à Eden en hurlant, lui rappelant que leur pacifisme n’avait jusqu’alors mené nul part, ce à quoi son meilleur ami répondait d’un acerbe « Le même discours que Jelena, tu te rappelles ? ». Dans ces moment-là Jon, hors de lui, hurlait en reprochant à Eden de ne pas avoir le cran de combattre ceux qui répondaient le mal, de ne pas vouloir attaquer les Phoenix par peur de blesser ceux en qui il croyait encore, comme Nathan ou pire, Vasco.

Les choses en étaient là, un plan qui se dessinait plus précisément de jours en jour, et une tension au foyer qui mettait tout le monde à mal, à commencer par Erwan qui entre les deux jeunes hommes, ne s’y retrouvait plus.

La veille, Jon était venu le trouver alors qu’il s’entraînait dehors en prévision du grand jour de l’attaque,et lui avait confié son insécurité, ses craintes vis à vis de Eden et Yannick, qu’il pensait prêt à se mettre en danger dans l’unique but d’empêcher leur intervention à Paris.

— Je le connais depuis le temps, lui avait-il dis d’un ton nerveux. Je sais qu’il va se mettre en travers de ma route, et faire un truc stupide pour m’empêcher d’aller jusqu’au bout. Je peux pas laisser faire ça : si il nous suit, ils le tueront.

Iverick avait acquiescé, il comprenait les craintes de Jon en ce qui concernait les façons que pourrait employer Eden pour les empêcher de monter au front contre Jelena. Alors, dans le plus grand des secrets, il avaient convenu d’une méthode certes barbare, mais nécessaire pour empêcher les récalcitrants de les suivre.

— Ouvre cette morte immédiatement !

Le cri de Yannick ébranla légèrement l’ancien caporal, bien qu’il n’en montra rien face aux quelques résistants de Annecy qui l’entouraient. Il se devait de garder la tête haute, le sort de leur pays reposait ce jour, entre leurs mains.

Tout autour d’eux, l’effervescence le fascinait : elle lui rappelait l’époque où il était militaire, ces quelques années passées à défendre sa France, à se battre pour l’idéal juste qu’il se faisait de la justice. Bien que résistant, non plus militaire, il s’apprêtait à reprendre les armes, et la sensation le grisait.

— On va être prêt à partir, lança Jon en passant près de lui.

Iverick, tiré de ses songes, détailla e jeune homme avant de considérer Erwan, juste derrière lui, les traits forgés dans une expression horrifiée :

— On peut pas faire ça ! On peut pas les laisser enfermer ici, c’est pas hum…

Jon fit volte-face, attrapa le plus jeune par les épaules pour le secouer avec fermeté.

— Tu préfères qu’ils nous suivent et se fassent tuer là-bas ?

— Il doit bien y avoir un autre moyen… ?

— Tu connais Eden. Il n’y a que comme ça qu’on l’empêchera de faire une connerie. Et je préfère qu’il m’en veuille plutôt que de le laisser se mettre en danger pour rien.

Comme à chaque fois qu’il doutait, Erwan avala sa lèvre inférieure entre ses dents, et chercha désespérément du soutien du côté de Iverick, en vain. Entendre les cris de Yannick derrière la porte solidement condamnée par Jon et Iverick lui donnait la chair de poule. Ce n’était pas normal d’agir ainsi entre alliés, entre amis. Ainsi enfermés, Yannick et Eden ressemblaient à des prisonniers, ce qui n’était techniquement pas le cas, mais à en juger par le comportement de Jon depuis son message radio, il hésitait, ne savait plus vraiment de quel côté de la ligne se trouvait le jeune homme.

Résigné, il écouta d’une oreille distraite les informations qui lui transmettait Jon, tout en rangeant à sa ceinture une arme de poing, au cas où. Les véhicules qu’ils s’apprêtaient à emprunter, quelques rares voitures et camionnettes dénichées par Jennifer, étaient chargés d’après et de résistants sur les dents, prêt à en découdre, gargarisés par un discours dégoulinant d’animosité de la part de leur nouveau leader, Jon.

Amali n’aurait pas voulu ça, pensa t-il en se rapprochant de Iverick.

D’un timide mouvement de la main, il fit signe à l’ancien caporal de se mettre à l’écart, et commença à signer, pour ne pas être entendu :

— S’il te plaît, tu sais que c’est de la folie.

— Tu n’es pas obligé de venir. Simplement, si tu ne viens pas, tu dois nous promettre de ne pas interférer contre nous.

— Je peux pas vous promettre ça.

Iverick inspira par le nez, ferma les yeux, et soupira :

— J’ai confiance en tes choix Erwan. Mais sache que si tu laisses Eden et Yannick nous rejoindre sur le champs de bataille, et qu’ils s’attirent des ennuis, je ne les protégerai pas. Je ne pourrais pas protéger tout le monde, et ils ne seront pas dans mes priorités.

Erwan ravala sa salive, la gorge nouée, les lèvres serrées, avant de répondre :

— Je comprends.

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