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Jeudi 17 avril 2024, 15h59

    Nathan et Théo, l’un et l’autre adossés à l’encadrement de la porte du bureau de Jelena, observaient la jeune femme, assise en tailleur à même le sol, les ongles à la bouche, les yeux hagards.

Dans le silence de mort qui régnait tout autour d’eux, ils l’entendaient marmonner, des paroles intelligibles qu’ils devinaient destinées au fantôme de Amali qui depuis l’annonce du décès de l’éducatrice, n’avait plus quitté la cheffe d’état.

— Et les anti-psychotiques ? demanda Théo, le ton chargé de nervosité.

— Ça marche pas. On a essayé de lui en faire manger en les cachant dans sa bouffe hier, rien à faire. Je sais pas quoi faire là, vraiment.

— Penny ?

— Déjà tenté : elle soigne les blessures corporelles, pas celles de l'esprit.

Théo secoua la tête, fit quelques pas dans la pièce pour se rapprocher de Jelena et s’accroupir devant elle. D’une main, il effleura les bras qu’elle avaient repliés autour de ses genoux, pour capter son attention.

— Jelena c’est Théo. Tu dois aller dormir là.

Les yeux écarquillés qu’elle releva vers lui l’ébranlèrent légèrement. Il lui semblait qu’elle ne le voyait pas, ou bien qu’elle se forçait à ne pas le voir. Les cernes violacés qui soulignaient ses yeux gris faisaient peur à voir, de même que ses cheveux sales et son visage légèrement émacié par sa sous-alimentation.

— Non mais là c’est plus possible, elle est complètement à côté de la plaque, lança t-il en se relevant.

— Et quoi ? Tu veux qu’on fasse quoi concrètement ? Qu’on la sédate ?

— Ecoute Nate, les résistants seront à nos portes dans peu de temps : on parle de jours, voir d’heures. Il faut qu’on sache quoi faire, et là elle est pas en capacité de nous guider. Donc on fait quoi sérieux ? On les décime ? On les emprisonne ? Quoi ?

Interdit, Nathan le rejoignit pour à son tour, s’accroupir à la hauteur de Jelena et, plus fermement, attrapa l’une des mains dont la jeune femme rongeait les ongles avec avidité.

— Jelena, on veut pas te brusquer ou quoi que ce soit, mais là c’est vraiment la merde, et on a besoin de toi. On sait pour Amali, on sait que tu es vraiment dévastée mais, si tu réagis pas, des morts comme elle il y en aura des dizaines, voir des centaines dans quelques jours. Quelques heures peut-être.

Lentement, comme si elle se réveillait d’un rêve profond et éprouvant, elle battit des cils, dévisagea Nathan, puis Théo, avant de s’humidifier les lèvres, l’air songeur :

— Quelques heures tu dis ?

— Oui. Nos caméras de surveillance ont captés le départ de la totalité des résistants de Annecy il y a deux heures, dans plusieurs véhicules motorisés non-autorisés. La question est maintenant de savoir s’ils vont directement monter à Paris, ou bien faire des haltes, pour réunir du monde et du matériel par exemple.

Jelena acquiesça, leur fit signe de s’écarter pour pouvoir se relever, avant de se rapprocher de son bureau, les membres tremblants.

Elle voyait bien aux regards des deux jeunes que la situation était vraiment critique, et qu’ils comptaient sur elle pour les en tirer. C’était son rôle, c’était elle la cheffe des Phoenix, leur modèle. Un peu à la façon dont Amali était celle des Résistants, elle se devait d’atteindre son niveau de compétence dans la prise en charge de ses troupes, il en était désormais de leur survie.

Elle avait entendu le message de Jon, mais en savait pas ce qui en était des réponses qu’il avait obtenu. Il pouvait très bien n’avoir obtenu aucun retour du reste des résistants français, trop frileux à l’idée de venir se frotter aux soldats du Phoenix. Cependant, et c’est ce qu’elle craignait, il pouvait très bien y avoir eu un engouement démesuré autour de l’appel au combat lancé par Jon, entretenu par des conditions de vie déplorables et, dans un certain sens, plus rien d’autre à perdre que la vie.

D’un œil, elle examina ses documents relatifs à la composition de ses armées, leurs capacité d’attaque, les mutants les plus puissants qui les constituaient. Elle avait une force de frappe colossale mais, qu’en était-il des résistants, en face ? Elle n’en savait rien. Et, y aurait-il à nouveau une intervention des Humanfirst, comme lors de sa dernière entrevue avec Amali à Annecy ? Elle en doutait, vu le carnage provoqué par ces derniers, mais rpéférait se méfier. Si son armée avait une force de frappe mutante de qualité, les Humanfirst avaient de leur côté une force de frappe armée et militaire qu’elle n’avait pas la prétention d’avoir. Les avoir dans les pattes lors de leur affrontement avec la Résistance serait dangereux.

— Ok, lança t-elle en plaquant sa main sur la pile de documents. On va faire ça : Théo, je te demandes de prendre la place de Vasco en ce qui concerne la gestion des troupes d’élite. Tiens-les prêtes, et explique-leur bien que l’ennemi pourrait frapper d’un jour à l’autre.

Sa voix, chargée de détermination, étonna quelque peu Nathan : dix minutes plus tôt, on aurait pu la confondre avec une patiente d’hôpital psychiatrique en proie à des hallucinations dévorantes, et la voilà qui qui reprenait son poste sans ciller ? Bien que suspicieux, il garda le silence, se contenta de couler un regard à Théo dont le sourire immense trahissait de sa joie d’avoir enfin remplacé Vasco sur le poste de premier soldat de Jelena.

— Toi Nathan, tu t’occupes de tout le reste des troupes : organise un tour de garde plus toute nu, plus de dortoirs pleins, je veux que nous soyons un maximum sur le pied de guerre en cas d’attaque. Préviens nos soldats déployés sur le territoire : ils doivent rentrer immédiatement.

— Tous ? S’étonna t-il. Et on fait quoi si des résistants ou des Humanfirst, des infectés même, foutent la pagaille ailleurs qu’ici ?

— On s’en fout, notre priorité c’est de calmer les ardeurs des résistants, et de les renvoyer d’où ils viennent. Compris ?

D’un salut militaire exagéré, Théo acquiesça, et quitta le bureau avec perte et fracas, décrochant d’ores et déjà le talkie-walkie de sa ceinture pour contacter la division d’élite des armées.

Nathan, resté seul face à Jelena, la regarda fixer le vide, les sourcils froncés. Amali, ou plutôt l’hallucination qu’elle entretenait d’elle, devait être en train de lui donner son avis sur ses directives.

— Jelena…

— Qu’est-ce que tu fais encore ici ? Va t’occuper des troupes, dicta t-elle avec fermeté.

— Tu es sûre que ça va aller ? Tu as l’air épuisée et… pour Amali…

— Va t’occuper des troupes, répéta t-elle froidement.

Jeudi 17 avril 2024, 16h06

    Fatigué du mutisme de la jeune femme, de ses décisions aléatoires et dangereuses, il hocha donc la tête avec mauvaise humeur, fit volte-face et, avant de partir, lança un désinvolte « Passe le bonjour à Amali », puis quitta le bureau en claquant la porte derrière lui.

Ce ne fut qu’au bout d’une demie-heure que Eden cessa de frapper la porte derrière laquelle Yannick et lui avaient été enfermés. Comme des animaux, des nuisibles qu’on écartait de la vie du groupe, Jon avait été sans pitié lorsque d’une main, ils les avait porté jusqu’à l’intérieur du bureau qu’il avait ensuite condamné de l’extérieur, Dieu seul savait comment. Son comportement, sa façon de faire, mais surtout son manque de réaction aux cris de Yannick et à leurs coups contre la porte le rendait malade.

Il n’y avait désormais plus de bruit de l’autre côté de la porte : ils étaient partis se battre, sans eux, sans considérer leurs arguments et le risque certain que représentait une confrontation directe avec les soldats du Phoenix. Ils n’en reviendraient pas, Eden le savait bien. La seule force qui les animait était la vengeance et la rancoeur, hors ces deux sentiments n’avaient jamais remplacé l’énergie et la forme physique essentielle à la guerre, et qui manquaient cruellement aux résistants de Annecy.

Il réagit à peine lorsque Yannick s’accroupit en face de lui, une bouteille d’eau à la main :

— Bois, lui indiqua l’éducateur d’un ton ferme.

Eden secoua la tête, repoussa la bouteille d’une main lasse, avant de resserrer encore un peu plus ses genoux contre lui. C’était dans ces moment-là que la parole lui manquait le plus, il aurait tant souhaiter exprimer tout ce qu’il ressentait au fond de lui, ces sentiments coincés dans sa gorge comme un noeud qui de seconde en seconde, enflait et l’étouffait. Au-delà d’être furieux contre Jon, il était surtout déçu et triste car il devait bien se l’avouer maintenant que les faits étaient là : son meilleur ami, celui qu’il avait été, n’était plus qu’un vague souvenir. Jon n’était plus le même depuis son agression par Théo, mais il ne pensait pas qu’il irait jusqu’à éteindre la précieuse humanité qui l’animait pour devenir une machine vengeresse sans discernement.

Il soupira dans un tremblent, jeta un regard à Yannick, et l’homme comprit à sa simple expression tout le mal qui le traversait. Lentement, il s’assit en face de lui, serra son épaule au creux de sa main pour tenter de le rassurer, de le détendre.

— Je ne peux pas comprendre ce que tu ressens exactement vis à vis de Jon, murmura Yannick, mais si tu as besoin de me parler, en signant ou en écrivant, je suis là d’accord ?

Ils reviendront jamais, signa Eden pour toute réponse. Ils vont mourir là-bas et on aura rien pu faire pour empêcher ça. On est faibles Yannick, on sert à rien.

L’homme soupira, raffermit son emprise sur l’épaule du jeune homme pour tenter de lui transmettre tout ce qui pourrait l’aider à sortir la tête de l’eau. Ça le tuait de l’admettre, lui tordait l’estomac mais dans un sens, Eden avait raison.

— Eden on pourrait…

Il s’interrompit brusquement car, de l’autre côté de la porte et pour al première fois depuis un petit moment, du bruit retentit. Comme des pas précipités, une course ? Il n’en savait rien, mais tout ce dont il était sûr était que quelqu’un se trouvait dans le foyer, et à proximité du lieu où ils étaient enfermés.

Alors qu’il s’apprêtait à crier, il vit la porte se dégonfler, craquer sous une force invisible, avant de finalement être arrachée de son emplacement par Erwan, paumes ouvertes, sourcils froncés. Le panneau de bois alla s’écraser contre un mur dans un fracas de bois brisé et seulement la luminescence dans les yeux de Erwan se calma pour revenir à leur brun naturel.

— Qu’est-ce que tu fais là… ?

— J’ai pas pu, répondit Erwan, dans un souffle. J’ai pas pu je… je pouvais pas partir avec eux en vous laissant ici alors que… alors qu’on peut arrêter ça ! Il doit bien y avoir un moyen, c’est sur qu’il y en a un.

D’une foulée, Yannick rejoignit l’adolescent pour le serrer contre lui, d’une étreinte aussi forte et rassurante que l’étaient ses remerciements envers lui.

— On était en route et j’ai sauté de la voiture en marche, expliqua t-il dans un filet de voix. Jon m’a crié dessus mais je m’en fiche, je pouvais pas.

Eden s’était relevé à sont our pour émir accueillir Erwan avec la ferveur qu’il méritait. D’une étreinte légère et après avoir ébouriffé les cheveux du plus jeune, il haussa un sourcil, et signa :

— Tu sais quand est prévue l’attaque ?

— Dans deux jours, répondit-Erwan. Le temps qu’ils mettent les derniers détails au point. Si on part maintenant on peut…

— Ils ont pris toutes les voitures, le coupa Yannick.

— Oui, mais pas les chevaux. Si on se bouge, on peut réussir à arriver à peu près à temps, j’imagine.

Yannick accusa l’information d’un haussement de sourcils dubitatifs, mais n’ajoute rien, voyant bien aux airs de ses deux jeunes que leur décision tait prise, et que ses remarques n’y changerait rien.

— Je sais ce qu’il faut qu’on fasse, lança Erwan. Une fois là-bas, il faut qu’on trouve Vasco : ça se voyait l’autre jour qu’il était très borderline par rapport aux Phoenix et qu’il s’en voulait atrocement par rapport à toi. Si on se la joue finement, on peut le récupérer de notre côté, et faire cesser le combat grâce à la menace qu’il représente.

On peut essayer de faire ça, acquiesça Eden. J’espère simplement qu’il sera en état de combattre.

À peine quelques dizaines de minutes plus tard, de l’eau et un peu de nourriture empaquetée pour le voyage, ils se mirent en route pour rejoindre la base militaire de Annecy, ce qu’il en restait, pour récupérer trois montures et débuter leur itinéraire jusqu’à Paris, montre en main.

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