Les Secrets du Vieux Port

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Le soleil s’étendait sur la mer Méditerranée, déposant une lumière dorée sur les toits de tuiles rouges de Port-Alérion. Cette petite ville portuaire du sud de la France, nichée entre les collines ondoyantes de Provence et la vaste étendue marine, semblait figée dans une autre époque, malgré son modernisme discret. Les ruelles pavées serpentaient entre les maisons colorées, où le linge blanc flottait sous la brise comme des étendards pacifiques. Ici, le temps semblait s’échapper des horloges, glissant lentement au rythme des vagues qui venaient caresser les quais.

C’est dans ce décor idyllique que Sylvio et Claire avaient choisi de commencer une nouvelle page de leur vie. Tous deux quadras, sans enfants, ils formaient un couple solide, marié depuis quinze ans. Leur décision de quitter Lyon, où ils avaient passé la majorité de leur existence commune, pour s’installer à Port-Alérion, avait surpris leur entourage. Pourtant, Sylvio, responsable des ressources humaines dans une grande entreprise, et Claire, expert-comptable rigoureuse, savaient ce qu’ils faisaient.

L’appartement qu’ils avaient acquis, perché au sommet d’une ancienne bâtisse surplombant le port, représentait pour eux bien plus qu’un simple logement. C’était une promesse d’une vie nouvelle, une opportunité de se réinventer loin du tumulte urbain, dans une ville où l’histoire se mêlait à la modernité avec une élégance singulière. De larges fenêtres encadraient une vue imprenable sur le port, où les bateaux de pêcheurs côtoyaient les voiliers des touristes, et au loin, l’horizon offrait chaque jour un spectacle flamboyant au coucher du soleil.

Dès les premiers mois, Claire s’était investie dans la décoration de leur nouvel intérieur. Chaque pièce était soigneusement aménagée, mêlant éléments contemporains et touches provençales, reflet de son goût raffiné. Mais l’espace immense de l’appartement, bien que source d’une certaine fierté, devenait aussi une charge. Les tomettes anciennes nécessitaient un entretien constant, et les vastes pièces, bien qu’accueillantes, demandaient plus d’attention que ce que Claire et Sylvio pouvaient offrir avec leurs horaires de travail chargés.

C’est ainsi que la décision de prendre une femme de ménage s’était imposée naturellement. Le couple n’avait jamais eu recours à ce type de services par le passé, mais la vie à Port-Alérion semblait favoriser une certaine lenteur, une acceptation de laisser les choses suivre leur cours. Claire avait entendu parler de Kyria par une voisine, une jeune femme de vingt ans, décrite comme sérieuse, discrète et surtout d’une efficacité redoutable.

Le premier contact avec Kyria se fit de manière informelle. C’était une après-midi d’avril, le printemps baignait la ville d’une lumière douce et chaleureuse. Claire et Sylvio, après avoir longuement discuté, décidèrent de la rencontrer dans un petit café sur le port. Ils s’étaient installés en terrasse, face à la mer, profitant du léger souffle marin. Kyria arriva avec quelques minutes d’avance, une marque de ponctualité qui plut immédiatement à Claire. La jeune femme se distinguait par son allure simple mais élégante. Ses cheveux châtains, tirés en arrière, laissaient voir un visage aux traits délicats. Elle portait une robe légère, d’un bleu marine, qui accentuait la pâleur de sa peau.

Kyria prit place en face d’eux, sa voix douce contrastait avec l’intensité de son regard, où brillait une étincelle de détermination. Claire entama la conversation, lui posant des questions sur son parcours, ses motivations. Sylvio, plus observateur, se contentait de la regarder, de l’analyser, cherchant à déceler ce qui rendait cette jeune femme si particulière.

« Pourquoi avoir choisi Port-Alérion ? » demanda Claire, sa voix teintée de curiosité.

Kyria esquissa un sourire énigmatique avant de répondre. « C’est une ville qui m’a toujours attirée… Peut-être à cause de son histoire, de son ambiance… C’est difficile à expliquer, mais j’ai toujours ressenti un lien avec cet endroit. »

Cette réponse, bien que vague, sembla satisfaire Claire. Après quelques formalités supplémentaires, et un échange de coordonnées, Kyria fut engagée. Elle devait commencer la semaine suivante, à raison de deux jours par semaine, avec une flexibilité qui convenait aux deux parties.

La première journée de Kyria chez eux fut marquée par une étrange sensation. Claire, qui avait pris un jour de congé pour s’assurer que tout se passerait bien, la laissa s’installer dans son travail, tout en gardant une distance respectueuse. Pourtant, malgré son désir de rester en retrait, elle ne pouvait s’empêcher de l’observer discrètement. Kyria se déplaçait avec une aisance déconcertante dans l’appartement, comme si elle connaissait déjà chaque recoin, chaque meuble, chaque objet. Elle nettoyait avec une efficacité presque surnaturelle, mais toujours avec une délicatesse qui surprenait Claire.

Au fil des jours, Kyria devint une présence familière dans la maison. Sylvio, de nature plus réservée que sa femme, appréciait la discrétion de la jeune femme. Elle arrivait toujours à l’heure, accomplissait ses tâches avec minutie, et repartait sans jamais perturber leur routine. Pourtant, quelque chose chez elle intriguait le couple. Il y avait une sorte de mystère qui l’entourait, une aura qui semblait emplir les pièces après son passage.

Claire, d’ordinaire si rationnelle, se surprit un soir à penser que Kyria laissait quelque chose derrière elle, une énergie, une présence. C’était à peine perceptible, mais suffisant pour la troubler. Elle en parla à Sylvio, qui haussa simplement les épaules. « Tu t’imagines des choses, ma chérie. C’est une jeune fille tranquille, rien de plus. »

Mais Claire n’était pas convaincue. Un sentiment, léger mais persistant, continuait de croître en elle. Une impression que cette jeune femme n’était pas simplement ce qu’elle semblait être. Ses origines restaient floues. Quand Claire avait essayé d’en apprendre plus, Kyria avait habilement détourné la conversation, ne laissant entrevoir que quelques bribes d’information, jamais suffisamment pour cerner réellement qui elle était.

Un soir, après une journée particulièrement fatigante, Claire se trouva seule dans l’appartement. Sylvio était encore au travail, et Kyria venait de partir. Le silence pesait lourd dans l’immensité des pièces, seulement interrompu par le doux clapotis des vagues en contrebas. Claire se promena dans l’appartement, passant d’une pièce à l’autre, sans but précis. Il y avait une odeur particulière dans l’air, une fragrance légère qu’elle ne parvenait pas à identifier.

En entrant dans la chambre, elle remarqua quelque chose d’inhabituel. Sur la commode, un petit objet attirait son attention. Un médaillon en argent, finement ouvragé, qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Il était posé là, comme s’il avait toujours été à sa place, mais Claire était certaine de ne jamais l’avoir aperçu avant ce soir. Elle s’en approcha, le prit délicatement entre ses doigts. Le métal était froid, lisse, et à l’intérieur du médaillon, une petite photographie en noir et blanc.

La photo représentait une jeune femme, d’une beauté austère, dont les traits rappelaient curieusement ceux de Kyria. Mais ce qui troubla le plus Claire, c’était l’arrière-plan de l’image. On y distinguait clairement le port de Port-Alérion, tel qu’il devait être des décennies auparavant, peut-être même un siècle. Le cœur de Claire s’accéléra, ses doigts tremblèrent légèrement en refermant le médaillon. Elle le reposa exactement à l’endroit où elle l’avait trouvé, puis recula, comme si cet objet lui inspirait une peur irrationnelle.

La nuit qui suivit fut agitée pour Claire. Des rêves étranges la hantèrent, remplis de visages flous, de murmures incompréhensibles, et toujours, cette silhouette de femme, qui ressemblait tant à Kyria. Le lendemain matin, elle se réveilla épuisée, les souvenirs de la nuit encore embrouillés dans son esprit. Elle chercha Sylvio, le trouva déjà debout, en train de lire dans le salon, son café à la main.

« Sylvio, il faut qu’on parle de Kyria », dit-elle d’une voix plus tendue qu’elle ne l’aurait voulu.

Il leva les yeux de son journal, surpris par l’urgence dans le ton de sa femme. « Qu’est-ce qui se passe ? »

Elle s’assit en face de lui, hésitante. Comment expliquer ce qu’elle-même ne comprenait pas ? « Hier soir, j’ai trouvé un médaillon… dans notre chambre. Je ne l’avais jamais vu avant. Il y avait une photo dedans, d’une femme qui ressemble à Kyria, et… le port, comme il devait être autrefois. »

Sylvio fronça les sourcils, perplexe. « Tu es sûre que ce n’est pas un objet que tu aurais oublié ? »

Claire secoua la tête. « Non

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