Le Poison du Soupçon

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Le retour à terre fut marqué par un brusque retour à la réalité. Après deux semaines de mer, bercées par les vagues et l’euphorie des nuits partagées, Port-Alérion semblait étrangement silencieuse, presque oppressante. Les ruelles familières, les bâtiments au crépi usé par le temps, tout rappelait à Claire et Kyria que l’escapade en mer n’était qu’une parenthèse, un répit temporaire dans la tourmente qui entourait encore la mort de Sylvio.

Les premières heures après leur retour furent empreintes d’une lourde nostalgie. Claire ne pouvait s’empêcher de repenser à leurs moments intimes avec Stan et Hilgie, cette liberté qui avait semblé infinie. Mais bientôt, cette douce mélancolie fut remplacée par une tension palpable. Kyria, d’ordinaire si enjouée, s’était murée dans un silence inhabituel. Ses regards étaient devenus plus sombres, plus scrutateurs, et une distance invisible s’était installée entre elles.

Claire sentait ce changement, mais elle n’osait pas briser le silence. Elle espérait que cette tension passerait d’elle-même, comme une vague qui finit par se retirer. Pourtant, quelque chose la taraudait, une inquiétude qu’elle n’avait pas osé affronter de front depuis leur retour. Ce n’est que deux jours après leur arrivée à la maison, alors qu’elles prenaient un café dans la cuisine, que Kyria brisa enfin le silence.

« Claire, » commença Kyria, sa voix légèrement tremblante, « j’ai besoin de te parler de quelque chose. »

Claire posa sa tasse, sentant son cœur s’emballer. Elle savait ce qui allait suivre, mais elle n’était pas prête pour cette conversation. « Oui, bien sûr. De quoi s’agit-il ? »

Kyria se passa une main dans les cheveux, cherchant les mots justes. « C’est à propos de ce que tu as dit sur le bateau… Tu sais, ce moment où tu as avoué que tu avais parfois souhaité la disparition de Sylvio. »

Claire retint sa respiration. Elle aurait voulu que ce moment de vérité reste enfoui dans les flots, emporté par l’océan. Mais la terre ferme avait cette capacité cruelle à rappeler à l’ordre. « Je… Je ne voulais pas dire que je le souhaitais vraiment, Kyria. C’était juste… un sentiment, une pensée fugace. »

« Je comprends, » répondit Kyria doucement. « Mais tu sais que ces mots ont résonné en moi. Ils m’ont fait me poser des questions, Claire. Je t’aime, mais je dois savoir… »

Claire sentit son cœur se serrer. Le regard de Kyria était à la fois tendre et inquisiteur, comme si elle cherchait désespérément une réponse qui pourrait apaiser ses doutes. « Quelles questions, Kyria ? »

Kyria soupira, se rapprochant de Claire, posant sa main sur la sienne. « Je me demande… si tu as vraiment quelque chose à voir avec la mort de Sylvio. Pas volontairement peut-être, mais inconsciemment ? Est-ce que ton souhait a pu… se matérialiser d’une manière ou d’une autre ? »

Le choc de cette question laissa Claire sans voix. Elle se recula légèrement, retirant sa main de celle de Kyria, comme si ce contact brûlait. « Comment peux-tu penser ça de moi ? » Sa voix tremblait, oscillant entre la colère et la tristesse.

Kyria, les yeux embués, répondit avec une douleur visible. « Ce n’est pas que je le pense, Claire. C’est que j’ai besoin de comprendre. Depuis que Berkovici a commencé à nous poser des questions, je me demande ce qui est vraiment arrivé ce jour-là. Je sais que tu étais malheureuse, que Sylvio te rendait la vie difficile… Et si tu avais fait quelque chose sans vraiment t’en rendre compte ? »

Claire éclata en sanglots, une vague de désespoir la submergeant. « Non, Kyria, je t’assure… Je n’ai rien fait. J’étais frustrée, oui, mais jamais je n’aurais voulu la mort de Sylvio ! » Elle se leva précipitamment, faisant tomber sa chaise, et se dirigea vers la fenêtre. Dehors, la mer qu’elle aimait tant semblait distante, inatteignable.

Kyria la rejoignit, ses mains tremblantes essayant de capter le regard de Claire. « Alors explique-moi. Aide-moi à comprendre ce qui s’est passé. Peut-être que si on cherche ensemble, on découvrira ce qui est vraiment arrivé. »

Claire secoua la tête, le regard perdu. « Tout s’est passé si vite ce matin-là. Je l’ai trouvé allongé, je n’ai rien compris… Il était déjà parti. Les médicaments… Je n’ai même pas remarqué qu’il en prenait autant. Et maintenant, tout le monde semble croire que j’y suis pour quelque chose. »

Kyria la prit dans ses bras, serrant Claire contre elle, tentant de chasser ses larmes. « Je suis désolée, Claire. Je ne voulais pas te faire de mal. Je t’aime tellement… Je veux juste qu’on sache la vérité, qu’on puisse enfin être en paix. »

Le silence retomba sur la pièce, ponctué seulement par les sanglots étouffés de Claire. Kyria continuait de la tenir, espérant que ce geste pourrait réparer les fissures qui menaçaient de détruire leur relation. Mais dans son cœur, un doute persistant restait ancré. Une partie d’elle-même ne pouvait s’empêcher de se demander si, dans le tourbillon de frustration et de douleur, Claire n’avait pas joué un rôle dans cette tragédie.

Les jours suivants furent un mélange d’interrogations silencieuses et d’amour passionné. Claire et Kyria s’éloignaient et se rapprochaient en un étrange ballet, leur relation oscillant entre le désir ardent et la méfiance latente. Kyria, malgré ses doutes, ne pouvait se résoudre à quitter Claire. Chaque nuit, elle cherchait refuge dans ses bras, espérant que leur amour serait plus fort que le soupçon. Pourtant, chaque matin, le poids des non-dits et des questions sans réponse revenait les hanter.

Claire, de son côté, se sentait de plus en plus isolée. L’ombre de Sylvio planait sur elle, omniprésente, rendant chaque sourire de Kyria amer, chaque moment de bonheur entaché de culpabilité. Elle se demandait si un jour, elle pourrait se libérer de ce fardeau, si elle pourrait retrouver la sérénité avec Kyria sans que le spectre de Sylvio ne vienne tout gâcher.

Un soir, alors qu’elles étaient allongées ensemble, Kyria se tourna vers Claire, déterminée. « On ne peut pas continuer comme ça. Nous devons découvrir ce qui s’est réellement passé. »

Claire, épuisée par ses propres tourments, hocha lentement la tête. « Oui… Peut-être que c’est la seule manière pour nous de trouver la paix. »

Le lendemain, elles prirent une décision : elles allaient enquêter par elles-mêmes, essayer de comprendre ce que Sylvio avait fait dans les semaines avant sa mort. Claire se souvenait qu’il avait reçu plusieurs appels et courriels mystérieux, et qu’il avait été de plus en plus préoccupé par son travail. Elles décidèrent de se plonger dans ses affaires, d'examiner son ordinateur, ses courriels, et ses dossiers personnels.

Leur quête de vérité les mena à découvrir des échanges avec des collègues, des messages qui parlaient de tensions croissantes au travail, de décisions difficiles à prendre. Sylvio avait manifestement été sous pression, et certains de ses messages révélaient qu'il envisageait de prendre des mesures drastiques pour protéger sa position.

Mais il y avait autre chose, quelque chose de plus sinistre. Une série de messages, envoyés depuis une adresse inconnue, contenait des menaces voilées, des avertissements qui semblaient liés à une affaire financière obscure. Plus elles lisaient, plus elles comprenaient que Sylvio avait été pris dans un tourbillon de problèmes, dont il n’avait jamais parlé à Claire.

L'une des dernières recherches de Sylvio sur son ordinateur fit frémir Claire : il avait cherché des informations sur la manipulation des médicaments. C’était comme si, dans un dernier acte désespéré, il avait envisagé de fuir cette vie qui le dévorait. Mais était-ce vraiment un suicide, ou quelqu’un l’avait-il poussé à cet acte ?

Kyria regarda Claire avec une expression grave. « Ce n’est peut-être pas toi, Claire. Peut-être que quelqu’un d’autre voulait qu’il disparaisse, pour des raisons qu’on ignore encore. »

Claire, épuisée mais déterminée, serra la main de Kyria. « On doit continuer à chercher, Kyria. On doit savoir la vérité, pour qu’on puisse enfin tourner la page. »

Cette nouvelle résolution les lia encore plus étroitement, les unissant dans une quête commune pour la vérité. Claire et Kyria savaient que cette recherche pourrait les emmener loin, peut-être trop loin, mais elles étaient prêtes à affronter ensemble ce qui pourrait être révélé.

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