chapitre 13
Le temps est le plus grand des voleurs parce qu'il vole le passé pour toujours. D'abord les détails, ensuite les souvenirs, jusqu'à ce qu'il ne nous reste que de lointains échos du monde d'avant.
27 novembre 2022
Les lumières de Londres sont une mer d'étoiles brillantes, un écrin parfait pour le concert des Érudits. Les musiciens jouent avec une intensité passionnée, synchronisant leurs mouvements avec la musique. Leurs doigts dansent sur les cordes des guitares, les baguettes frappent les peaux des tambours avec une précision presque militaire, les touches du clavier glissent sous des mains expertes. Chaque note, chaque accord est maîtrisé à la perfection, créant une harmonie musicale qui semble toucher l'âme de chaque spectateur. Les mélodies envoûtantes remplissent l'air, s'infiltrant dans chaque interstice, résonnant dans chaque cœur, et la foule entière est en transe.
Devant la scène, la mer humaine est une entité vivante. Un fan, bras levés, se balance en rythme avec la musique, son corps se mouvant comme une vague synchronisée avec les pulsations des basses. Le visage illuminé par les éclats des projecteurs montrent des expressions de béatitude pure, les yeux fermés pour mieux absorber chaque note, chaque vibration. Les cris de joie, les chants passionnés des paroles bien connues se mêlent, formant un chœur puissant qui monte vers le plafond de la salle de concert.
La salle, majestueuse et imposante, baigne dans une pénombre délicate, une ambiance pour les rêves et les émois. Les voûtes hautes et les balcons dorés confèrent un caractère presque sacré à l'endroit. Seules les lumières scéniques percent l'obscurité, éclatant en faisceaux multicolores qui zèbrent l'air lourd de sons et de sueur. Les projecteurs balaient la scène et le public, créant des ombres en mouvement, des silhouettes fugaces dans un jeu d'ombres et de lumière, comme une danse effrénée entre le clair et l'obscur.
L'excitation est palpable, électrisant l'atmosphère. Chaque battement de tambour, chaque riff de guitare accentue cette intensité vibrante, comme si l'air lui-même frissonnait sous l'effet de la musique. La tension monte et descend en vagues, s'accordant aux crescendos et aux accalmies des morceaux. Le jeune homme, entièrement captivé, se laisse porter tel un courant électrique, vibrant à chaque pulsation, chaque note.
Matthew, le chanteur charismatique des Érudits, se tient au centre de ce maelström d'émotions, une figure magnétique qui attire tous les regards. Les notes de sa voix chaude et puissante résonnent dans la salle, transcendantes, en parfait accord avec les instruments. Il observe les visages éclairés du public, ses yeux brillants d'excitation et de fierté. Il réalise son rêve, et le partage avec chaque âme présente, ressentant cette connexion profonde avec eux. Ce soir, la musique n'est pas simplement une performance, c'est un lien qui unit tous les présents dans une euphorie collective, une communion des âmes sous les voûtes dorées de cette salle de concert enchantée.
Perdue dans la mêlée, Hailey sent son cœur pulser en harmonie avec les battements de la musique. Une vague de joie et de fierté la submerge alors qu'elle pose son regard admiratif sur les membres du groupe. Elle est consciente de toutes les heures de travail acharné et de dévouement qu'il a fallu pour en arriver à cette apothéose. Elle sent une profonde connexion avec eux, une famille qu'elle a acquise grâce à Matthew. Elle se sent honorée de partager ce moment avec lui, de le voir franchir une nouvelle étape de sa carrière, ayant suivi leur ascension depuis le début. Elle se sent enveloppée par cette énergie positive. Elle sait que cet instant, ce concert mémorable à Londres, restera à jamais gravé dans leurs mémoires.
Hailey éprouve une sensation d'euphorie indéfectible. Elle est à la fois spectatrice et actrice de ce moment incroyable, son esprit s'enivrant de la magie de la scène. Elle ressent une profonde gratitude d'être aux côtés de Matthew, de le voir se surpasser sur scène et de partager son bonheur et son succès. C'est un rêve devenu réalité pour eux, et Hailey savoure chaque note de musique comme une caresse sur sa peau, chaque cri de la foule comme une vague d'admiration qui la porte à son tour, chaque sourire complice échangé avec Matthew, comme une promesse d'avenir radieux. Ce concert à Londres est bien plus qu'un événement musical ; c'est une démonstration de détermination, de persévérance, et de l'amour profond entre Hailey et Matthew. La musique les a unis, et cette soirée inoubliable est une célébration de tout ce qu'ils ont accompli ensemble.
À la fin du spectacle, l'euphorie règne toujours dans les coulisses. Tous sont en effervescence, échangeant des rires et des accolades, désireux de prolonger ces instants magiques. Hailey, emportée par la fougue du moment, se laisse bercer par le rythme cardiaque de la salle, sentant la musique pulser dans ses veines. Elle ferme les yeux un instant, laissant chaque son imprégner son âme, chaque vibration la rapprocher de quelque chose de plus grand que soi. Le monde autour d'elle semble tourner au rythme de cette symphonie urbaine, un hymne à la vie qui résonne inlassablement en elle, restituant l'essence des heures investies, des espoirs et des rêves partagés avec Matthew et le groupe. La mélancolie du temps qui s'écoule est loin d'elle ; pour l'instant, la musique est éternelle, et Hailey se laisse emporter par cette éternité.
Alors que l'enthousiasme de la soirée battait son plein, l'insouciance flotte dans l’air comme une mélodie persistante. Hailey, emportée par la vague d'allégresse qui déferlait autour d'elle, sent soudain son téléphone frémir dans la poche de sa veste. Les vibrations brèves lui causent un frisson d'anticipation. Peut-être un message de félicitations supplémentaire, songe-t-elle, un sourire en coin. Mais alors qu'elle écarte délicatement Matthew pour se frayer un chemin à travers la foule, la réalité tourne brusquement.
Sa main plonge dans la poche, et elle ressort l'appareil qui semble à présent si lourd et si menaçant. Elle porte le téléphone à son oreille, son cœur bat la chamade, vibrant à l'unisson avec les notes finales qui résonnent dans la salle. Sa joie, ce nuage de bonheur liquide, s'évanouit comme l’écume au contact des paroles à l'autre bout du fil.
— Hailey, c'est Sami... Jules... Il a eu un accident de voiture. Il est dans le coma, dit la voix à travers le téléphone, apportant un ouragan de réalité au cœur de son rêve.
Son monde s'arrête de tourner, et elle se fige, droite comme une statue dont la base vient d'être érodée. Le bruit de fond, cette cacophonie festive et rieuse, devient un murmure distant, presque irréel. Les lumières qui scintillent autour d'elle se fondent en un halo trouble. Sa poitrine se serre, le souffle lui manque, la stupeur mêlée d'angoisse griffe son visage autrefois rayonnant.
Les membres du groupe et Matthew, en repérant le contraste violent entre l'Hailey radieuse d'il y a quelques instants et cette version subitement blême et tremblante, se précipitent vers elle, leurs visages marqués par l'inquiétude et la confusion.
— Hailey ? Qu'est-ce qui se passe ? Demande Matthew, la voix encombrée par la préoccupation, glissant sa main autour de ses épaules pour la soutenir.
Elle les regarde, ses yeux écarquillés et humides parlent avant même que les mots ne franchissent les trémolos de ses lèvres.
— C'est Jules... Il a eu un accident... Il... Il est dans le coma, parvient-elle à articuler enfin, sa voix un fil de soie prêt à se déchirer à la moindre secousse.
Le silence s'abat sur eux comme un drap froid, un silence lourd, aux contours aigus. Matthew enlace plus fermement Hailey, tandis que les autres membres du groupe se rapprochent, comme pour former un bouclier autour d'elle, un rempart face à l'impensable.
Hailey sent les larmes poindre, des larmes qui peinent à se frayer un chemin à travers le chaos de ses émotions. Sa peine se mélange à un sentiment d'impuissance. Elle sait qu'elle doit agir, partir, se précipiter au chevet de Jules, mais le sol semble s'effondrer sous ses pas. Elle doit être forte, mais la tâche lui paraît insurmontable. Matthews semble comprendre sans qu’elle lui dise davantage, il la serre encore plus fort.
— Je serai là pour toi, Hailey. Quoi que tu aies besoin, murmure-t-il avec une douceur qui tranche avec la cacophonie environnante.
Elle hoche la tête, plongeant son regard dans le sien, lui offrant un semblant de gratitude qui se perd dans la douleur. Les membres du groupe, soudés dans cet instant de détresse, murmurent des mots de soutien, des promesses ténues qu'ils espèrent consolatrices.
Dans la confusion des émotions, Hailey vacille entre une profonde détresse et la nécessité impérieuse d'être présente pour Jules. Elle doit desserrer l'étreinte des regrets et se plonger dans l'action : quitter le lieu de ses triomphes, mettre de côté ce bonheur éphémère pour faire face à l'inattendu, à l'urgence.
Alors que la salle continue d’échoir les festivités, Matthew la guide loin des regards. Ils préparent dans une précipitation fébrile le départ de Hailey, un départ où chaque seconde semble compter double.
Elle s'accorde un dernier regard en arrière, et la musique, autrefois une source d'exaltation, est désormais le fond sonore d'une réalité très différente, teintée de peine et d'incertitudes.
Quelques heures plus tard, Hailey se retrouve de retour chez elle à Villebrouch-sur-Mer. Les rues tranquilles forment un contraste saisissant avec l'agitation frénétique de Londres. Envolé le vacarme de la ville, ici règnent silence et sérénité. Debout devant le miroir, elle est tiraillée entre l'hésitation et la résolution. Choisir une tenue pour cette réunion devient une pièce de théâtre où chaque vêtement représente un personnage. Avec un sourire ironique à son propre reflet, elle trouve finalement sa paix dans une robe jaune pastel, simple mais élégante, suffisamment subtile pour souligner sa silhouette sans révéler ses intentions. Parfaite harmonie avec ses converses noires, précieuses reliques d'une enfance révolue où le mot "Forever" semble défié par le temps.
Le trajet en avion de Londres à Villebrouch-sur-Mer avait été un ballet d'émotions contrastées : la nostalgie du concert triomphant, l'écho lointain des applaudissements, et l'inquiétude grandissante pour Jules. Assise dans son fauteuil, les yeux perdus dans le vide aérien à travers le hublot, Hailey sent une lourdeur oppressante l'écraser. Sa poitrine se serre à chaque pensée de Jules, immobile dans un lit d'hôpital, son esprit combattant dans le silence d'un coma. L’air pressurisé de la cabine devenait une métaphore de son état intérieur : un espace confiné où l'air manquait, où l'inconfort s'imposait sans pitié.
***
Lors de sa visite à l'hôpital, Hailey croise le personnel en blouse blanche qui se hâte dans les couloirs, symboles d'une urgence permanente. Les visages des médecins expriment un mélange de fatigue et de détermination. Elle s'approche de l'un d'eux, qui lui donne des nouvelles de Jules avec un mélange de professionnalisme et de compassion.
— Repassez demain, lui conseille doucement le médecin. Nous devons attendre et observer sa réaction au traitement.
Hailey hoche la tête, les mots résonnant dans son esprit avec la lourdeur de l'incertitude. Les lumières de l'hôpital, blafardes et stériles, diffèrent tellement de celles sous lesquelles elle et Matthew ont brillé scéniquement à Londres.
Elle quitte l'établissement, les portes coulissantes s'évaporant derrière elle, comme pour clore temporairement l'épisode hospitalier. Les pensées sur l'état de Jules l'accompagnent dans un silence qui résonne jusque dans le taxi qui la ramène à son domicile.
Elle se tient maintenant devant la porte de l'appartement qu'elle partage avec Matthew, tentant de rassembler le courage nécessaire pour affronter la situation qui l'attend. La douleur qui lui serre l'estomac est incommensurable. Alors qu'elle glisse la clé dans la serrure, une voix familière la fait sursauter. Lùca est là, sur le seuil de sa porte, la scrutant avec des yeux chargés d'inquiétude.
— Lùca…
Sa voix se casse, devient un murmure fugace qui semble emporter avec lui tout le poids des non-dits accumulés. Le choc des retrouvailles avec cet ancien amour fait battre son cœur avec une violence qui lui est presque étrangère, comme si les battements se synchronisaient avec la danse incertaine de leur relation. Cette brève rencontre, intense et inconfortable, est marquée par l'ombre de ce qui a été et de ce qui aurait pu être.
D'un pas chancelant, Hailey franchit l'espace qui la séparait de Lùca, sa main tremblante cherchant son épaule tandis que sa tête cherche instinctivement le réconfort à l'abri de son cou. Lui, tourmenté par la complexité de leurs émotions passées, ne la repousse pas. Et pourtant, ses bras restent étrangement neutres, privant Hailey du soutien qu'elle espérait, de cette connexion qu'autrefois ils partageaient sans hésitation. Lùca, homme qu'elle ose encore nommer ami, se fige dans une neutralité qui semble gravée dans la pierre, sa tension interne palpable. Enfin, il brise le silence qui pèse lourd entre eux.
— Comment vas-tu ? Dit-il, la voix chargée d'émotion.
Il explique à Hailey que Charlie a organisé une petite soirée pour redonner des couleurs à l'âme attristée d'Emma, l'épouse inquiète de Jules. Dans les yeux rongés par l'incertitude de Hailey, une étincelle fugace de détermination apparaît ; elle hoche de la tête, pleine d'une compréhension muette, et le suit.
Annotations
Versions