Jour 2/ Nuit 2
La nuit finit par tomber. Mathias est le seul qui doit rentrer chez lui ce soir, Tom ne souhaitant pas quitter Manon d’une semelle. Juste avant de partir il me chuchote à l’oreille :
« Fais attention à toi Louna, caches toi dans un endroit inaccessible et ne te fais surtout pas repérer. Promet le moi !
- Je te le promet. À demain Mathias. »
Cette phrase sonne comme une promesse, un souhait qui, je l’espère, se réalisera.
Chacun part se coucher dans sa chambre. Alors que j’entends les souffles réguliers de ma famille s’élever, une sorte d’instinct me tient éveillé. Je pourrai sûrement rester là, emmitouflée dans mon lit. Mais je ne peux pas, je ne veux pas. Il faut que je risque ma vie pour découvrir qui sont les meurtriers. Je sais que c’est dangereux, mais je tiens trop à eux, et à Mathias aussi, pour ne pas les aider. Je veux les sauver. Quoi qu’il en coute…
N’ayant pas pris la peine de mettre mon pyjama, je me dirige rapidement vers les bois. Je suis habillée toute en noire et la nuit sans lune va me permettre de passer inaperçu. Malheureusement, j’aurai aussi plus de mal à apercevoir les visages des loups. Tant pis. Je me concentrerai sur leurs voix alors ! J’arrive au même lieu qu’y hier. Les mêmes bruits gutturaux jaillissent des bois. J’essaye de contrôler les battements de mon cœur et me jette sans bruit dans les broussailles, tout en retenant mon souffle. Mon oreille s’habitue vite à ces sons étranges et je saisi leurs propos :
« … va tout découvrir.
- Oui, on sait tous qu’il est très intelligent. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne découvre nos véritables identités.
- Alors… Peut-être vaudrait-il mieux qu’il soit dans notre camps ?
- Tu es brillante ! Avec lui, on arriverait à tromper facilement ces pauvres humains ! »
Je suis perdu. De qui parle t’ils ? Mais surtout, ils n’ont pas l’air d’avoir l’intention de tuer. Je ne comprends pas, que peuvent t‘ils faire à part massacrer des innocents ?
« Allons-y ! Transformons Thomas en loup-garou et nous gagnerons. »
Ils se mettent alors à hurler de manière terrifiante et s’élance vers le village. Je reste là. Figée. Mon cœur est sur le point d’exploser, je n’aurai jamais cru cela possible. Quelque chose de pire que la mort, ils allaient transformer mon frère adoré en un des leurs, ils allaient le transformer en tueur ! Je serai obligé de me battre contre lui ! C’est beaucoup trop pour moi, je sens toutes mes forces m’abandonner et je m’effondre sur le sol humide de la forêt. Je sombre dans l’inconscient, souhaitant oublier et me réveiller il y a quelques jours, lorsque tout était facile…
***
Je me réveille difficilement, un mal de tête m’empêchant de retrouver le fil de mes pensées. Je me redresse et remarque enfin le lieu où je me trouve : la forêt. Tout me revient en tête. Cela fait deux jours que l’enfer a débarqué dans ma vie. Cette journée promettait d’être encore plus dure, il fallait que j’affronte mon pire cauchemar : mon petit frère.
Je me dirige d’un pas tremblant vers le village, cela ne servirait à rien de retarder l’inévitable. Pourtant, je marche le plus lentement possible en regardant où je mets les pieds. Laissant mon esprit se concentrer sur telle ou telle plante plutôt que sur la confrontation qui se rapproche. Ne regardant pas devant moi, je finis par rentrer dans quelque chose. Plutôt quelqu’un en fait, vu que deux bras viennent m’entourer et qu’une voix m’interpelle :
« Louna ! Manon m’a dit que tu n’étais pas rentré de la nuit. Louna, regarde-moi ! »
Je lui obéis timidement et plonge mon regard dans ses yeux chocolat remplit d’inquiétude. Il me serre plus fort dans ses bras et me demande d’une petite voix :
« Louna, qu’est ce qui s’est passé ? Pourquoi tu pleures ? »
Je n’avais même pas pris conscience des larmes qui coulaient le long de mes joues. Il passe une main sur mon visage pour les essuyer tendrement.
« Je suis là. Je ne t’abandonne pas d’accord. Tu peux tout me dire Louna. »
Alors, d’une voix brisée je lui donne la réponse qu’il attend. Je lui raconte ce que j’ai vu hier soir. Mon récit terminé, il me serre encore plus fort contre lui. Je cache ma tête dans le creux de son cou, laissant toute la tristesse que je possède couler. Il me chuchote des mots réconfortants mais sa propre voix tremble, il pleure lui aussi la perte d’un ami cher.
Je ne sais pas combien de temps on reste là, entrelacés dans les bras de l’autre. Mais on ne peut pas rester éternellement ici. Il faut remonter au village. Etonnamment, le soleil vient juste de se lever, il est encore très tôt. Les gens commencent seulement à se réveiller.
Je me précipite chez moi, Mathias sur les talons. Il ne souhaite pas me laisser seule. En entrant, je remarque que seuls Manon et Tom sont levés. Thomas… Non ! Le loup garou dors encore. Il ne faut plus que je le considère comme mon frère. Même si cela me brise le cœur… Manon me prend immédiatement dans ses bras, me serrant jusqu’à m’étouffer, signe de son inquiétude.
« Non mais Louna ! Tu pensais à quoi là ? J’étais morte d’inquiétude ! Pourquoi tu n’es pas rentré ? »
Je me suis répété un beau petit discours où je lui expliquai tranquillement la situation pendant tout le trajet. Mais là, en voyant ma sœur devant moi, les yeux remplis d’inquiétude, je n’arrive pas à me résoudre à lui briser le cœur en lui annonçant la nouvelle. Je reste donc sans voix, à l’observer silencieusement. Mathias s’approche à mes côtés, me prenant la main pour me donner son soutien.
Je m’apprête à tout lui raconter quand j’entends des pas qui proviennent des escaliers. Thomas descend. Le loup descend. Je le scrute, cherchant un quelconque changement… Que je finis par trouver. C’est très discret mais je connais mon frère par cœur, on vit ensemble depuis toujours. Sa posture est différente, féline. Il marche sans faire grincer les marches de l’escalier, il est silencieux. Quand il arrive à notre hauteur, il sourit. Ce qui est pour le moins inhabituel, logiquement il serait en train de nous agresser pour savoir ce que nous avions trouvé cette nuit. Le loup est loin d’être aussi malin que mon frère.
« Thomas ? Ça va ? demande ma sœur. »
Il répond par un hochement de tête. Un vacarme au dehors nous pousse tous à sortir. Au passage je chuchote à Manon et Tom quatre mots :
« Thomas est un loup. »
Manon semble tout d’abord choqué puis elle hausse la tête. Elle aussi elle a remarqué le changement mais je vois son regard se teinter de tristesse. Tom lui caresse le dos, le regard éteint lui aussi.
Arrivé dehors, on se dirige vers nos amis. Ou du moins, ceux qui l’étaient encore il y a quelques jours.
« Personne n’est mort aujourd’hui. Mais ce n’est pas une raison, les loups garous trainent toujours, nous devons voter… » dit Elio.
Je tremble. Je sais contre qui il faut voter mais rien que penser à cette éventualité me donne envie de vomir. Tom prend alors les devants :
« Je vote contre Thomas. Désolé, tu as beau être mon frère, j’ai des soupçons. Tu as changé, tu n’es plus le même. »
Cette déclaration ébranle tout le village. En effet, tout le monde sait que Tom et Thomas s’entendent très bien. Mais Thomas, enfin, le loup garou ne compte pas se laisser faire, il réplique :
« Vous ne trouvez pas cela étrange que, d’un coup, il m’accuse ? C’est un loup, c’est évident ! »
Il ne faut pas que les gens votent contre Tom. Alors, bien qu’à contre cœur, Manon, Mathias et moi nous le rejoignons, appuyant ses dires en prouvant qu’il a changé.
Nous voir tous unis dissuade surement les monstres de se ranger du côté de Thomas. En effet, les larmes qui coulent sur nos joues montrent notre honnêteté.
Thomas est exécuté. Lorsque son corps s’effondre sur le sol, il se transforme en loup noir géant. Je ne m’étais pas trompé. Mais cela ne calme pas la culpabilité, la douleur et la tristesse. J’ai perdu mon frère.
Je m’enfuis. Je cours me réfugier dans sa chambre. Le lit est encore chaud de sa présence, emplie de son odeur. Je plonge mon visage dans son coussin pour étouffer mes sanglots. En prenant l’oreiller, je découvre un bout de papier chiffonné en dessous. Il est écrit d’une main tremblante :
« Avant de m’endormir, j’ai découvert les autres particularités auxquelles nous allons devoir faire face : il existe un loup-garou qui a la possibilité de transformer une seule fois sa victime en loup. J’ai peur qu’ils me choisissent…Si je devais être transformé, tuez-moi. Je ne supporterai pas de vous faire du mal à vous, ma famille. N’oubliez pas que je vous aime. J’ai aussi découvert qu’il existait une sorcière : elle a le don de tuer et de sauver. Trouvez-la et convainquez-la de vos bonnes intentions, elle vous sauvera. -Thomas, votre petit frère pour l’éternité. »
Il savait.
Je relève les yeux en entendant des pas dans le couloir : Mathias. Il me lance un sourire triste avant de s’approcher et de m’attirer contre lui : comme plus tôt dans les bois. On reste un long moment ainsi, savourant simplement la présence de l’autre. Puis Mathias reprend la parole :
« Florine a été élu maire à l’unanimité. Son vote comptera double pour les prochaines décisions. »
Je hoche simplement la tête. Ayant du mal à réfléchir.
« Ne t’en fais pas. J’ai rêvé d’elle cette nuit, elle est une simple paysanne. Elle ne nous fera pas de mal. »
Nouveau hochement de tête.
« J’ai aidé Tom a enterré dignement ton frère, il est en haut de la colline. Comme il l’a voulu. »
Je ne prends même pas la peine de bouger la tête. Plus rien n’a d’importance. Je me sens si loin de mon corps.
« Tom est avec Manon chez lui. Ils vont rester ensemble toute la journée. »
Mes yeux se ferment doucement. Je n’en peux plus.
« Dors Louna, je veille sur toi. »
Je m’endors dans ses bras. J’ai confiance en lui. Je sens qu’il m’allonge doucement et me souffle trois mots à l’oreille que je n’arrive pas à comprendre, le sommeille me réclamant.
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