Jour 4 / Nuit 4
Comme à mon habitude, j’ouvre les yeux en plein milieu de la nuit. La scène que je vois me fait sourire : nous sommes encore tous les quatre dans le salon, Manon et Tom tendrement enlacés dans un fauteuil et Mathias, actuellement mon coussin, et moi dans un autre fauteuil. J’entends à leurs respirations que je suis la seule réveillée. Je sais très bien que le sommeil ne m’emportera qu’après l’attaque des loups, c’est comme une sorte de malédiction qu’il est impossible de rompre.
Cette fois-ci, je n’irai pas dans la forêt. Nous en avions discutés cette après-midi et nous nous étions mis d’accord sur ce point. L’identité des loups étant révélé il était inutile que je continu mon espionnage. Certes, j’aurai peut-être pu découvrir quelle serait leur prochaine victime mais, quelle qu’elle soit, Tom protègerai toujours Manon. Il est lié à elle et je comprends parfaitement son choix.
Alors, au lieu de mourir de peur dans l’obscurité des bosquets, je profite simplement de ce moment de paix, bien calée dans les bras protecteurs de celui qui a volé mon cœur il y a bien longtemps.
J’entends un bruit. Un hurlement. Ou, pour être plus exacte, deux hurlements. Mon sang se glace. La sentence a été prononcée. L’élue va mourir.
La porte d’entrée est poussée violemment. Ils entrent. Le silence règne.
Je retiens mon souffle. Une personne que j’aime va partir. Encore. Je me surprends à prier pour qu’ils me choisissent moi. Je ne suis pas sûr de supporter la perte d’un de mes proches.
Le silence fait place à la tempête.
Un hurlement sauvage éclate à mes oreilles et, instinctivement, je clos mes yeux le plus fort possible. Je m’accroche aux bras de Mathias qui, insouciant de l’horreur qui se passe, m’enlace tendrement.
J’entrouvre les yeux, poussé par je ne sais quelle curiosité absurde, et j’entraperçois une vision d’horreur.
Mais je n’ai pas le temps de m’attarder sur les détails de cette scène, le sommeil me réclame. J’ai beau essayé de lutter, de me débattre contre cette force supérieure qui m’oblige à partir dans le monde des songes qui, je le sais, sera occupé par ces sombres visions, je suis impuissante...
Le réveil est difficile. La nuit fut loin d’être réparatrice. Je me souviens que mes rêves étaient peuplés de cadavres de mes amis. Un frisson me parcoure le long du dos. Je prendrai bien le temps de roupiller, de savourer cette illusion de sécurité que je ressens maintenant mais un hurlement me fait changer d’avis.
Je me redresse et me met vivement sur mes pieds.
J’aurai dû rester endormi. Ce que je vois me tue à petit feu.
Devant moi, le corps de Tom est ravagé par les marques, maintenant habituelles des loups. Manon est penchée au-dessus de lui et il me suffit d’un regard pour voir la vie s’envoler de son corps.
Je me précipite à ses côtés mais une poigne puissante me retient : Mathias. Je le supplie du regard pour qu’il me laisse aller voir ma sœur. Je vois à son regard qu’il vaudrait mieux que je m’abstienne de les rejoindre mais je n’y peux rien. Je dois aller voir ma famille.
D’un mouvement brusque, je me dégage de la poigne de Mathias et accourt pour prendre Manon dans mes bras. Etrangement, elle se laisse faire. Son corps est froid, gelé même. Je me mets à frotter énergiquement son dos. Je cris à Mathias de m’amener une couverture. Elle ne bouge toujours pas.
Je lance un regard désespéré à mon ange de toujours. Immédiatement, il me prend dans ses bras et m’entraine loin de là.
Elle est morte. Ma sœur est morte d’amour. Elle était liée à Tom. Leurs fils de vie étaient reliés : si l’un est coupé, l’autre se brise automatiquement. Il l’avait protégé toutes les nuits des loups mais ces derniers avaient décidé de le tuer lui. Toute ma famille est décédée. Je suis seule. Qu’est-ce qui m’empêche de me livrer aux loups maintenant ? Plus personne ne me tiendra compagnie le soir, plus personne ne parlera avec moi jusqu’à la tombée de la nuit, plus personne ne me fera de câlins étouffants. Je me sens perdue. Elle avait toujours été là pour moi et maintenant… Quoi ? Je n’arrive plus à imaginer la suite.
« Louna ! Regarde-moi ! Je t’en supplie… me dit Mathias »
Je relève les yeux. J’avais totalement oublié qu’il était là. Je regarde autour de nous et remarque que nous nous trouvons dans la forêt. J’étais tellement perdue dans mes pensées néfastes que je n’avais même pas pris conscience de marcher.
Voyant que je le regarde enfin, il reprend la parole en douceur.
« Ecoute moi Louna. J’ai quelque chose d’important à te dire. Ça fait longtemps que je souhaite te le dire, bien avant que tout ça commence en fait. »
Il fait une pause, prenant une longue inspiration avant de reprendre.
« Louna, je n’ai pas besoin d’être lié à toi par le sang pour te dire ça. Je n’ai pas besoin que quelqu’un décide de me lier à toi, parce que c’est déjà fait. Mon cœur t’a choisi. Toi et personne d’autre. Je t’aime Louna. Passionnément. Je suis désolé, j’aurai dû me décider à te l’avouer il y a bien longtemps mais… J’avais tellement peur de ta réaction. »
Je le regarde. Son visage est magnifique. Ses lèvres si tentatrices… Je me mets sur la pointe des pieds pour les atteindre. Me voyant faire, il me serre contre lui et baisse la tête. Nos lèvres se sellent. Nous sommes réunis. Qu’importe le chaos qui règne autour de nous, il est avec moi, jusqu’à la fin. Notre baiser s’éternise, aucun de nous ne voulant le briser. Malheureusement, le besoin d’oxygène nous rattrape et nous nous détachons légèrement, les joues rouges.
« Tu sais, me dit il avec les yeux pétillants, je te voyais toujours. Dans les bois. Je savais que tu m’observais, je t’avais surpris une fois. J’ai vite compris que tu venais me voir souvent. »
Un fard horriblement prononcé me prend et je baisse les yeux vers mes chaussures. Il doit me prendre pour une folle. N’importe qui me prendrait pour une folle…
« Eh, me dit il en me relevant le visage. Je ne te prends pas pour une dingue si c’est ce que tu crois. Tu sais… Il faut que je t’avoue quelque chose aussi. »
Je le regarde droit dans les yeux. Je vois qu’il rougit légèrement avant de m’annoncer son secret :
« En fait, moi aussi je t’espionnais. Quand tu t’occupais des animaux de la ferme. Je m’arrangeais pour me cacher et t’observer. Je sais, c’est si idiot. On était si proche l’un de l’autre et on n’arrivait pas à se parler, à s’approcher.
- Mais, maintenant, je ne te lâche plus. »
Et nous nous embrassons encore une fois. Jusqu’à sentir notre poitrine douloureuse, jusqu’à sentir le besoin d’air devenir insupportable. Nous goutons au gout de l’autre pour le mémoriser au plus profond de notre être. Nous recommençons plusieurs fois, ce désir qui nous dévorai depuis plusieurs années peut enfin être réalisé.
« Louna, Mathias ? Je vous dérange peut-être ? nous interpelle Marc »
Nous nous détachons précipitamment. Marc s’approche alors de moi :
« Il nous faut voter. »
Mon visage se fige. Pendant un instant, j’avais oublié tout ce qui m’entourait. J’avais oublié la malédiction qui s’était abattu sur mon village. J’avais oublié tous ces morts. J’avais oublié mon frère, Tom, ma sœur… Je me dégoute. Comment avais-je pu sentir un tel bonheur alors que, eux, n’étaient plus là ?
Nous le suivons silencieusement sur la place du village. A peine arriver je m’écris :
« Auriana. Tu as tué ma famille. Je vote pour toi. »
Mathias me rejoint et lance un lourd regard à Marc pour l’enjoindre à nous rejoindre.
« Moi je vote contre toi, Louna » s’exclame Lou-Anne, Auriana la suivant immédiatement.
Il ne reste que Marc. Il va faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Les loups ou les villageois ? Si Mathias a raison, il est la sorcière. Il devrait être de notre côté. Pourtant je vois qu’il hésite. Il s’est énormément rapproché des filles ces derniers temps et, malgré les explications de Mathias sur leurs véritables identités, il hésite toujours. Finalement, après un long silence angoissé, Marc parle :
« Auriana. »
Aussitôt qu’elle meurt, son corps montre sa véritable forme, celle d’un loup. Lou-Anne grogne, ne cherchant plus à se cacher et me lance vivement :
« Tu mourras cette nuit. Dans d’atroces souffrances. »
Ensuite, elle s’enfuit. Je n’ai pas peur. Je préfère mourir plutôt qu’elle s’attaque à Mathias.
Marc se rapproche de nous et murmure, gêné :
« Excusez-moi. Excuse moi platement Louna. Quand Mathias m’a tout expliqué, je n’y ai pas cru. Je ne voulais pas croire que les filles étaient mauvaises… J’aurai dû utiliser mon don de mort pour en tuer une et mon don de vie pour sauver Tom et ta sœur. Je te suis redevable. »
Je hoche silencieusement la tête. En effet, il aurait pu tous nous sauver. Mais il ne l’avait pas fait. Les choses sont faites, on ne peut plus rien y faire.
Le soleil commence déjà sa course pour se rapprocher de la lune. Nous rentrons vivement à la maison. Avant de s’effondrer sur le lit, j’embrasse Mathias passionnément.
« Mathias, si je devais mourir ce soir… Je veux que tu vives. Heureux.
- Stop ! Arrête-toi là Louna. Tu ne mourras pas cette nuit. Personne ne mourra, je te le promets. Fais-moi confiance, je ne suis pas la voyante pour rien. »
Personne ne peut arrêter la mort mais, pour ne pas le contrarier, je hoche la tête et me cale contre lui, nichant mon visage dans le creux de son épaule. Le sommeil nous emporte.
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