1 Palais - Biellettes

4 minutes de lecture

PARTIE 1 : PALAIS 

Dans un garage automobile d’une ville moyenne, le chef d’atelier, un jeune homme en blouse grise et rouge, discute avec une cliente.

Le chef d’atelier :

— C’est sûr ! Elle ne passera pas le contrôle technique comme ça. Il faut reprendre les biellettes de la barre stabilisatrice.

Il enchaîne :

— Y’a trop de jeu, là.

Derrière son comptoir, il cache son regard amusé derrière le verre de ses lunettes.

— C’est comme vous voulez, c’est vous qui décidez. 

Face à lui, la femme trépigne. Agacée. Vraiment.

En chaussures de sécurité, en pantalon en toile épaisse kaki aux poches latérales grossies à force d’être pleines, en sweat de chantier gris avec inscrit « Pépinières DUBOIS » sur la poitrine, elle danse d’un pied sur l’autre, et tente par tous les moyens de garder son calme.

La femme :

— Donc, ce matin quand vous avez essayé la voiture, elle tournait comme une horloge, et ce soir rien ne va plus. En plus maintenant, elle est incapable de passer le contrôle technique. Il faut que j’vous la laisse pour une réparation de cinq cents euros que vous ferez quand vous aurez le temps d’ici trois ou quatre jours ? C’est ça ? J’ai bien résumé ?

Le chef d’atelier :

— Oui, en fait ce matin, je voulais vérifier ce dont vous m’aviez parlé : le bruit au freinage. C’est pour ça que je vous ai dit que tout allait bien.

Un autre sourire pointe sur son visage, il jette un coup d’œil complice à son collègue du comptoir voisin.

— Des bruits comme ça, mademoiselle, c’est normal !

Dédaigneux, nonchalant, le jeune homme fait mine de regarder l’agenda de l’atelier. La femme se dit que ce qui lui ferait du bien à elle, ce serait de l’attraper par le col et de l’accrocher au mur. Entre le tableau des clés et le poster de super décapant d’injecteurs.

Le chef d’atelier :

— Maintenant, c’est vous qui voyez. Soit vous faites la réparation, soit c’est sûr vous ne passerez pas le contrôle technique ! dit-il en rangeant son stylo dans sa poche poitrine, enfin, le véhicule… L’Express, ne passera pas le contrôle technique...

La femme respire avec difficulté. La colère s’est répandue dans son corps comme l’étincelle sur une traînée de poudre. Ses doigts tremblent, elle a dû changer de couleur.

Elle essaie de se calmer.

 

Elle peut exploser et le traiter de tous les noms d’oiseaux. De mammifères aussi.

Certes, il le mérite.

Elle peut aussi l’humilier. Lui expliquer que quand on a des oreilles comme ça, en forme de calice comme la main de Kate Middleton, placées en plus à cet endroit-là du crâne, on ne peut pas la ramener. Non ! On ne peut pas ! Maître Yoda, il a une zarbi gueule, mais ses oreilles à lui, au moins, elles sont bien placées.

Elle pourrait aussi lui sourire, comme ça, lui demander aimablement les clés et la carte grise de sa voiture, lui dire mystérieusement qu’elle va réfléchir, plisser un peu les yeux, dire qu’elle n’est pas sûre. Et une fois dehors, trouver un autre garage où laisser son fric et ses consignes.

Ouais… mais ça, c’est quand même un poil pas dans ses cordes. Il lui faudrait avoir consommé du Christophe André [1] et Frédéric Lenoir [2] en intraveineuse, pendant une retraite à Sénanque [3], de cinq jours au moins.

Bon. Parce que là, tout de suite, le besoin c’est d’avoir une bagnole. Une bagnole fiable pour aller bosser. Ce petit con, en face d’elle, n’est qu’un moyen d’obtenir une bagnole qui roule.

Donc t’arrêtes de déconner, tu remballes la ménagère à Lara Croft, tu te concentres et tu obtiens ce qu’il te faut. D’ailleurs, c’est quoi qu’il te faut ?

La femme :

— Pouvez-vous me prêter une voiture pendant que vous faites les réparations ? Assez grande pour que je puisse y mettre mon matériel ?

Le jeune homme est surpris et clairement gêné.

— Euh… ça… ça ne va pas être facile. Vous trouver une voiture oui, mais équipée pour que vous puissiez mettre tous vos outils, les brouettes… Comprenez Madame que nous n’avons pas de véhicule à prêter pour ces activités…

Et là c’en est trop, même Lara Croft a un bazooka de secours dans la baleine de son soutif.

La madame :

— Allons bon ! C’est quand même extraordinaire, vous ne trouvez pas ? Ce « véhicule », dit-elle reprenant le mot avec le plus de mépris possible dans la voix, la société Dubois l’a toujours fait entretenir ici. Mon patron, monsieur Dubois, a toujours pu assurer ses interventions parce que vous avez toujours été en mesure de lui fournir un véhicule de courtoisie adapté à son « activité » !  Par quel évènement, oh ! élément de contexte extraordinaire, ne pourriez-vous pas m’offrir le même service ? Hein… ?

Le jeune homme a finalement perdu un peu de son assurance. Et personne ne lui a encore parlé de ses oreilles.

— Euh… Mademoiselle, ne le prenez pas comme ça… !

La dame devient donzelle.

Le chef d’atelier :

— Écoutez… euh…, je vais voir ce que je peux faire.

Il disparaît dans l’atelier. Son collègue s’est réenglouti dans ses papiers.

 

Derrière eux dans la salle d’expo, caché par le haillon ouvert de la Range Rover Evoque dernier modèle, Edmond se dit que la jeune femme ne s’y est pas prise au mieux. Si elle était venue coiffée, maquillée et en jupe, rien n’aurait posé grand problème. En jupe, cela aurait peut-être même suffi.



[1] Christophe André est psychiatre, auteur de nombreux ouvrages sur le bonheur, s’appuyant entre autre sur la méditation.

[2] Frédéric Lenoir est philosophe, sociologue. Auteur de nombreux ouvrages et romans sur les spiritualités notamment.

[3] L'abbaye Notre-Dame de Sénanque est un monastère cistercien en activité situé dans le Vaucluse. Il est souvent photographié sur fond de champ de lavandes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 19 versions.

Vous aimez lire Nine Rouve ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0