81 Cité Fondée - Sac à Main

5 minutes de lecture

De : Edmond VALLONE

Objet : Ce soir

Date : Vendredi 24 Novembre 16 :48

À : Blanche MAGNAN

 

Mila,

On est invités ce soir chez Fabrice

Merci d’être chez moi pour 18 h 45.

 


De : Blanche MAGNAN

Objet : Amener qlch

Date : Vendredi 24 Novembre 16 :59

À : Edmond VALLONE

 

Bonsoir Edmond,

Qu’est-ce qu’on emmène ?

Bouquet de fleurs, chocolats, bouteille de vin, d’alcool fort, autre ?

 

De : Edmond VALLONE

Objet : Re : Amener qlch

Date : Vendredi 24 Novembre 17 :01

À : Blanche MAGNAN

 

Rien

 


18 h 30. Mila toque à la porte d’Edmond.

Il ouvre aussitôt et s’éloigne dans la chambre. Mila se retrouve seule sur le palier, le sac de sport sur l’épaule.

Elle entre, se déchausse, accroche son manteau à la patère. Edmond réapparaît et se chausse sur le canapé. Il lève alors les yeux vers elle.

— Rhabille-toi, on s’en va !

D’accord… !!!

— Bonsoir Edmond… quelque chose ne va pas ?

— Tout va bien.

Edmond la scrute : son pantalon, son pull, ses cheveux, il baisse la tête. Son visage est fermé.

Mila :

— Ça s’est bien passé l’implantation ?

— Hein ? Oui.

Il s’en est pris à ses lacets et recasse ses ourlets sur le cuir de ses chaussures.

Mila croise ses bras et décidée, elle attend.

 

Elle attend.

— Chausse-toi, on va être en retard, dit-il.

Edmond se lève, disparaît de nouveau au fond du couloir, revient.

Mila est tellement surprise qu’elle en sourit.

Elle se dit qu’elle a deux options, suivant les deux programmations possibles de son cerveau.

Un, elle se rhabille effectivement, et s’en va. Seule. Avec ou sans vidange de ce qu’elle pense de son attitude de « Mâle des Profondeurs ».

Deux, elle endosse le rôle que lui a tenu, ces deux derniers soirs, c’est-à-dire de quelqu’un de posé et de généreux.

Elle se dit qu’elle est bien, qu’elle a passé une bonne journée, qu’elle attendait cette soirée. La dernière fois, lundi, elle s’était montrée sous son jour petite fille fragile. Et effectivement, elle a déjà utilisé le programme un, deux fois déjà au moins, et ce n’est pas ce qu’elle préfère, tenir ce rôle et s’excuser en balançant des chansons à la con.

Elle peut peut-être lancer le programme deux pour une fois, pour lui et pour elle, pour son ego à elle. Pour lui, lui rendre cela. La notion de cadeau lui vient aussi. Lui donner cela plutôt que de le lui rendre, c’est mieux d’ailleurs comme formule. Et pour elle, eh bien, être adulte, responsable, maître de ses relations avec un individu autre, une autre volonté.

— Il me semble que tu n’as pas envie de sortir, dit-elle calmement.

— Si ! J’ai envie d’aller voir mes amis. Des gens que je connais depuis plus que dix ans et qui me connaissent très bien !

— Dans ce cas, quel est le problème ? Pourquoi tu stresses autant ?

— Je ne stresse pas et il n’y a aucun problème.

— Écoute, Edmond… je voudrais vraiment t’aider, nous aider à passer une bonne soirée. 

— Alors habille-toi ! Je pars devant, tu me rejoindras dans la voiture.

Edmond passe la porte d’entrée.

Mila :

— Ça a à voir avec le boulot ?

Pas de réponse.

— Avec tes amis, ta famille ?

Pas de réponse.

— Avec moi ?

Edmond se retourne alors vers elle. Il dit :

— Tu comptes vraiment y aller habillée comme ça ? T’as pas une jupe, un truc habillé quoi !

Mila arrête de respirer.

— Comment… ?

Elle met ses mains sur les hanches, désarçonnée. Les modes, les commandes, les paramètres ont été réinitialisés.

Un bug informatique.

— Et en plus tu me fais la leçon sur comment je m’habille ! Tu as vu l’heure qu’il est : je suis en avance. Et tu vois le sac, là, Vallone, il y a deux trois petites choses que je comptais mettre. Eh ben mon coco, fume ! Je ne risque pas de les enfiler ! Et en plus, tu fais une gueule de trois pans de long. Tu peux toujours courir. C’est hors de question que je t’accompagne. Vas-y tout seul chez tes amis, Vallone. Si ça te stresse autant, je ne vois pas comment ça pourrait être une bonne soirée pour moi… !

Et calmement, elle se chausse et remet son manteau.

Edmond est revenu dans l’appartement, il se passe la main sur la nuque. Il dit :

— Il faut que tu viennes avec moi.

— Tu rigoles ?

La main sur la poignée, la tête baissée, Edmond serre les mâchoires.

Mila a gagné le match, mais de le voir battu, en fait ne lui fait aucun plaisir.

Avec gentillesse, elle dit :

— Je pense que tu devrais y aller tout seul. Vu que je ne peux rien faire pour toi, le mieux c’est que tu y ailles seul.

— Je ne peux pas.

— Pourquoi ça ?

— Parce qu’ils veulent nous voir tous les deux.

— Ah bon ? Ben c’est gentil ! Ils me verront une autre fois.

Edmond calme, secoue la tête. Il dit :

— Non !

— Pourquoi ? Ce sont tes amis, les amis peuvent comprendre ça…

— Je ne peux pas ! Parce que j’y suis déjà allé tout seul la semaine dernière.

 

Sa phrase tombe froide comme se casse un œuf frais sur le carrelage.

Gluant et poisseux.

Mila serre les anses du sac, elle baisse la tête. Elle dit :

— Ils veulent nous voir tous les deux et c’est ça qui t’emmerde. C’est que je sois avec toi. D’où les fringues. D’où le fait d’avoir attendu le dernier moment pour m’en parler.

Elle relâche ses épaules et redresse sa tête.

— Euh… Je ne savais pas que tu avais honte de moi.

— Mais qu’est-ce que tu racontes…

— … on peut arrêter là, oui le mieux c’est qu’on arrête là…

Mila baisse la tête et cherche à avancer.

— Magnan ! Arrête ! Faut juste que tu viennes avec moi !

— Non ! Toi, Vallone, arrête ! Je ne suis pas une fille en perdition qui attendait son sauveur…

Elle cherche à partir mais Edmond l’en empêche.

— Et je ne suis pas un sac à main qu’on trimballe !

— Mais je ne te prends pas pour un sac à main… !

Mila ricane.

— Je ne comprends pas… Je ne comprends pas pourquoi t’as pas trouvé une excuse. Je ne sais pas, pourquoi t’as pas dit que j’étais malade, ou que j’étais chez mes parents. N’importe quoi. De toute façon. On ne se voit que chez toi, il n’y a aucun risque qu’ils me croisent ailleurs. Si jamais ils arrivaient à l’improviste, on leur dirait qu...

— Non, non, non ! Je ne veux pas de ça !

Mila le laisse parler. Mais il ne dit rien.

— Qu’est-ce que tu veux Edmond !?

Un temps.

— Ou ce qui te fait peur.

Edmond souffle fort, il dit.

— Rien ne me fait peur… ! Ce qui m’emmerde, c’est qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de donner leur avis, de s’incruster dans ma vie. Et que là je veux surtout que, pour une fois, ils s’abstiennent, qu’ils ne se mêlent de rien, qu’ils me foutent la paix !

Il lâche alors d’une voix faible :

— J’ai peur qu’ils ne t’apprécient pas, parce que ce ne serait pas juste ; j’ai peur qu’ils t’apprécient parce que ce serait aussi un problème…

Mila respire amplement, elle dit :

— Écoute. Je sais que je ne suis pas la femme de ta vie. Euh… On le sait tous les deux. Alors peut-être que je ne suis pas obligée de poser avec toi, ils ne sont pas obligés de me connaître, on peut…

Edmond crie à moitié.

— Non ! Moi, je ne sais pas faire ça, moi, deux vies ! Ils font partie de ma vie. Et toi aussi d’une certaine manière. Il faut que je puisse être avec vous, indifféremment. C’est tout.

— Dans ce cas, peu importe ce que je suis et comment je m’habille. Le mieux c’est que je sois moi. Voilà. Et tes amis, s’ils sont comme toi, ils comprendront ça très bien.

Edmond lève les yeux sur elle, il souffle profondément. Il dit :

— Donc tu viens ?

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