Chapitre 2 : Qu'est-ce que vous me voulez à la fin ?
« Quand les évènements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. »
Georges Clémenceau
Elle franchit la grille en compagnie d’Amélie. Mais tandis que sa copine babillait gaiement, elle ne l’écoutait que d’une oreille distraite, la tête ailleurs. Elle ignorait si elle devait lui en parler, ce qui lui arrivait était tellement fou... et tout aussi improbable, et elle n’était pas sûre qu’elle la croirait, sa meilleure amie soit-elle. D’ailleurs, elle ne le croyait pas elle-même, c’est certain qu’elle débloquait. Non, tant qu’elle ne savait pas à quoi s’attendre, elle éviterait de lui confier ce qu’elle ressentait depuis quelques temps. Ce n’était pas la peine d’inquiéter sa famille et ses amis inutilement. Elle le repéra dans la foule, il était adossé contre le mur, au milieu des autres. Et il la regardait. Un frisson de peur la parcourut, et elle s’empressa de feindre l’indifférence quand elles passèrent à côté de lui, allongeant inconsciemment le pas, ce qui obligeait Amélie à régler son rythme sur le sien si elle ne voulait pas se faire distancer.
— Eh, ne vas pas si vite, on a le temps ! protesta cette dernière, essoufflée. Tu es pressée à ce point de rentrer ?
— Non, désolée, je ne m’en étais pas rendue compte, s’excusa-t-elle en ralentissant.
C’est juste que je suis terrifiée. Pour moi et pour eux. Parce que cela recommence.
Elle se sentait nerveuse, il fallait qu’elle se calme. Ce n’était pas le moment de flancher. Pas maintenant et pas devant lui. Surtout pas devant lui. Elle la voit franchir la grille, survoler du regard les quelques lycéens agglutinés en groupe… puis s’immobiliser en les apercevant. Sur son visage, elle peut déceler la colère mêlée à ce qui ressemblait à de la peur, oui c’est cela, elle avait peur, peur de ce qu’ils lui demanderaient. Car ils n’étaient jamais là par hasard, ils attendaient quelque chose de précis de sa part. À présent, elle n’avait plus qu’une envie, semer Amélie le plus rapidement possible et rentrer chez elle, là où elle se sentirait en sécurité, loin de tout, très loin de son attitude reflétant le même désarroi et la même angoisse qu’elle.
« — Je t’en prie, dis-moi quelque chose, lui avait-il demandé au détour d’un couloir, dis-moi au moins ce que tu ressens, toi. Je ne comprends rien à ce qui se passe, ça ne colle pas du tout, il faut que tu m’aides, tu m’entends ? Il faut qu’on s’aide, sinon on va devenir dingues tous les deux ! ».
Elle s’était vivement dégagée, mais l’inflexion de panique dans sa voix l’avait poursuivie tout au long de la journée. Ils étaient donc deux à dérailler, c’est déjà ça.
— Tu m’écoutes ?! Je te demandais si tu voulais venir chez moi !
Non, elle ne veut pas venir chez elle. Venir chez elle, signifiait craquer et tout raconter, et cela elle ne le voulait pas. Car même Amélie ne pouvait pas l’aider, comme elle ne pouvait plus les aider. C’était à eux de se débrouiller, à présent.
Avec nostalgie, elle suit l’éclatement progressif des groupes, si semblable à l’éclatement réel qui s’était produit peu à peu entre Amélie et elle, Magali et elle, Charlotte et elle...
Elle ferma un instant ses paupières, appréhendant l’éternelle répétition de cette scène. Elle sait qu’elle viendra en temps voulu, elle a toujours su attendre son heure. Mais pour le moment, c’est l’adolescente qui vient, qui s’avance vers eux, d’un pas à la fois si déterminé et si hésitant.
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