(...)
Florian s’était laissé tomber dans un fauteuil la tête entre ses mains. Cécile le regarda avec compassion. D’après ce qu’elle avait compris, tout le reste était au courant depuis un certain temps, mais lui venait de débarquer. Il lui avait fallu du temps, à elle, pour accepter un état de fait. Elle n’avait toujours pas réussi, d’ailleurs, alors elle pouvait très bien comprendre que tout cet enchaînement était un peu difficile à digérer.
— Écoutez, reprit Arthur, je vais essayer de la faire courte, à condition de vous calmer, compris ?
Bizarrement personne ne moufta. Claire se contenta juste de hausser les épaules, toujours fixée sur son traître de frère.
Arthur prit une grande inspiration et commença d’un ton mal assuré :
— Ce que vous devez savoir en priorité, c’est qu’il y a un risque de se faire attaquer dès qu’on possède, disons-le franchement, le moindre pouvoir. Ce qui est apparemment le cas de tous ici.
Personne ne contesta ce fait qui semblait être une évidence pour tous, quelque invraisemblable que soit la situation. Ce qui constituait en soi un progrès indéniable. Florian releva la tête et contempla Bastien d’un air terrifié.
— Le match… Ton renvoi, le reste… Ne me dis pas que c’est à cause de tout cela ? balbutia-t-il en direction de Bastien.
Bastien ne daigna pas reporter sa concentration sur lui, signe d’une rancune tenace, ce qui lui valut un grognement appréciatif de la part de sa cadette, tout aussi ignorée.
— Ceux qui nous en veulent prennent en général l’apparence d’adolescents et cherchent à…
Arthur hésita comme s’il n’était pas sûr de ce qu’il avançait et chercha un appui silencieux en Bastien qui lui fit signe de continuer.
— … À nous étrangler, termina-t-il, désolé d’annoncer la couleur.
Cécile blêmit davantage que son teint ne le permettait et Florian poussa une sorte de gémissement guttural qui jaillit des profondeurs du refuge que formaient ses mains.
— D’après ce que tu as pu constater ou ce que vous avez pu constater ? le reprit Claire d’un ton froid.
— Ce que Bastien et moi avons constaté il y a trois mois, si tu préfères.
— C’est ce que j’avais cru comprendre, lâcha Claire dans une moue dédaigneuse.
— Tu peux me laisser en placer une à la fin ?! la rabroua Arthur exaspéré. Bref, d’habitude je ne les laisse pas approcher et cela marche plus ou moins bien.
Arthur accompagna cette dernière formulation d’une grimace et il était manifeste à son expression qu’il tenait à en cacher certains détails.
— Je n’avais pas reçu leur visite depuis plus de deux ans. Ce jour-là, quand j’ai rencontré Bastien, je n’ai pas vu les signes qui précédaient leur arrivée et j’ai dérapé. Je ne m’y attendais pas. Et j’avais surtout autre chose en tête, parce que la veille j’avais fait la connaissance de Cécile, enfin en quelque sorte…
Arthur risqua un œil prudent dans la direction de Cécile qui se renfrogna de cette publicité, tandis qu’une légère rougeur s’étalait sur son cou.
— Je me suis fait avoir et j’aurais pu y passer sans l’arrivée de ton frère, précisa encore Arthur à l’adresse de Claire qui détourna les yeux pour s’intéresser aux nuages gris qui passaient par la fenêtre.
— Et cela veut dire quoi, tu ne les laisses pas approcher ? Tu fais quoi au juste ?
— De la bilocation. Il fait de la bilocation.
Cécile n’aurait jamais cru qu’une telle absurdité sortirait un jour de sa bouche. Mais le sarcasme dans la voix de la sœur de Bastien et la crispation d’Arthur menaçaient d’amorcer un nouvel orage qu’elle voulait à tout prix éviter. Arthur semblait être un gars extrêmement patient mais elle ne doutait pas qu’il y avait des limites avec lesquelles s’amusait à jouer cette brunette.
— Il… il peut voyager dans l’esprit des gens ou quelque chose comme ça, ajouta-t-elle à toute vitesse.
— Non, ça c’était tout aussi nouveau pour moi, nuança Arthur. Je savais qu’en théorie il était possible d’apparaître à des gens, mais j’ignorais que c’était à ce niveau-là. D’ordinaire les gens que je vois ne sont pas… aussi réels.
— En théorie ? Parce que ce truc, la bilo-machin-chose, c’est censé exister ? Nan, mais t’es sérieux, là ?
— D’après mes recherches, oui, la bilocation existe et a même été observée dans certains cas, notamment chez des saints ou lors d’expériences de mort imminente. En fait, c’est une sorte de voyage astral, de dédoublement.
— C’est vraiment dément ! assura Claire avec enthousiasme.
— Si on veut, grimaça Arthur. L’ennui, c’est que la plupart du temps je n’arrive pas à contrôler ce que je fais. Je me retrouve souvent dans des situations pas possibles, et il m’arrive de croiser des sortes de spectres dans cet espace-temps.
« Charmant », songea Claire, et le frisson qu’elle étrennait parfois se propagea en elle. Pour rien au monde elle n’aurait voulu posséder un don pareil.
— J’avais lu que la bilocation donnait également la possibilité d’apparaître dans des lieux familiers ou à des proches, continua Arthur. Mais je n’avais jamais expérimenté cela avant. Après, l’avantage de la bilocation, c’est qu’il m’est beaucoup plus facile de me protéger des attaques. Leur portée est beaucoup moins dangereuse au niveau psychique. Le seul risque serait de ne pas pouvoir regagner mon corps à temps et si je m’y retrouve piégé trop longtemps, cela pourrait bien me détruire.
Définis longtemps, cela pourrait s’avérer utile si on devait tous y passer, commenta la petite voix narquoise dans un coin de l’esprit de Claire.
Au fond c’est comme les mots et les remords qui peuvent tuer plus facilement que les coups, à petit feu. Tu connais bien cela, pas vrai ? susurra celle tapie dans la conscience de Bastien. Ils repoussèrent tous les deux ces pensées sinistres émergées de quelque obscur pan de mémoire.
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