(...)

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À la place, ils préférèrent se concentrer sur Arthur qui détaillait les symptômes annonciateurs de leur venue.

— Ils sont facilement repérables par certaines caractéristiques, comme de fortes variations de température, des craquements, et surtout l’absence de réaction de la part des autres. Ces gens pourraient prendre tout leur temps pour vous achever que les passants ne réagiraient pas. C’est globalement pareil pour les monstres comme celui de jeudi.

— Un monstre, jeudi. Merci pour cette information, lança Claire d’une voix glaciale qui fit chuter la température de la pièce à la manière d’un monstromètre.

— Si tu ne te tais pas, tu vas finir par le regretter.

Claire lança un regard féroce en direction de Bastien mais n’ajouta aucun commentaire. Sage décision, jugea Arthur en se souvenant de la lourde table en fer violemment projetée sur Casper. À ce propos…

— J’ai toujours cru que c’était un fantôme, mais j’imagine que ce n’est pas ce que vous avez vu. Les fantômes m’ont toujours fait peur quand j’étais gosse, explicita Arthur devant l’expression tourmentée de Bastien qui semblait comparer mentalement Casper à sa propre représentation de croquemitaine. Pour Cécile, c’était encore autre chose. Et pour vous, il ressemblait à quoi ?

Claire frémit : quelle forme aurait pris le monstre devant elle ? À tout réfléchir, elle n’avait aucune envie de le savoir. Quant à Bastien, elle ne serait pas surprise d’apprendre qu’il partageait sa propre phobie. Il fixait d’un œil vitreux le plancher en secouant fiévreusement la tête à la manière d’un pantin, sans doute perdu dans ses glauques souvenirs qu’elle ne voudrait pour rien au monde. Ce qui surprit davantage Claire fut l’attitude de Florian, soudainement parcouru de frissons convulsifs, comme s’il venait de capter l’importance de ce qu’il avait aperçu jeudi dernier. Qu’est-ce donc qui effrayait à ce point la coqueluche du lycée ? Elle rencontra les yeux implorants de Cécile : difficile d’ignorer le message que cette fille lui envoyait. Cécile paraissait avoir remarqué le manège de Claire et la priait de ne pas rajouter de l’huile sur le feu par quelque impudence. Bien que la supplique l’agace profondément, elle devait reconnaître que Cécile avait raison et que la plaisanterie avait assez duré. Au fond, elle était bien plus intéressée par les explications d’Arthur. De toute façon, ils étaient tous dans le même bateau, alors autant en apprendre un maximum sur le sujet.

— Et eux, ils s’y prennent comment ? À la hache ou à la tronçonneuse ?

— Ça n’a rien de drôle, protesta faiblement Cécile.

— En tout cas ils ne font pas dans la dentelle, nota Bastien en portant instinctivement une main à sa poitrine.

— Eh ben, même si cela paraît bizarre, comparé aux autres types, les monstres sont des bisounours. Eux au moins sont plus faciles à combattre. Les autres sont beaucoup plus agressifs et difficiles à repousser seul. Enfin, c’était plutôt ma théorie jusqu’à ce que je rencontre Bastien, nuança Arthur. Il a réussi à mettre en fuite une blonde particulièrement tenace qui n’a pas l’air de m’apprécier beaucoup. En lui donnant un simple coup de pied.

— Je ne sais toujours pas comment j’ai fait, se défendit Bastien. J’ai seulement agi par réflexe pour l’empêcher de t’achever. Et je ne pense pas non plus que c’est cela qui l’ait fait fuir. On aurait dit qu’elle avait été surprise de me voir là. Je ne l’avais jamais vue, et pourtant elle avait agi comme si elle me connaissait bien. Je sais que ça paraît dingue, mais j’ai eu l’impression qu’elle s’est enfuie parce que… parce qu’elle a eu peur de moi.

— À première vue, ce n’est pas leur style, objecta Arthur pince-sans-rire, mais je te suis sur un point, ils nous connaissent. Comment, je n’en sais rien mais il n’y a pas de doute là-dessus. À vrai dire, je mettrais ma main à couper qu’ils nous connaissent tous…

Claire affichait une moue dubitative, Cécile se mordait les lèvres, alarmée par la tournure que prenaient les évènements, et Florian était toujours aussi apathique.

Ils en ont surtout après toi, observa Bastien. C’est toi qu’ils cherchent à éliminer. Cécile n’en avait jamais vu avant jeudi et moi non plus. Pourquoi te traquent-ils ainsi ?

Arthur haussa les épaules.

— Si je le savais, on n’en serait pas là. Et oui, il est possible que ce qui vous arrive soit de ma faute. Alors…

Arthur prit une profonde respiration pour raffermir sa voix vacillante.

— Oh, oh ! Tu dérailles là ! bondit Bastien. Tu veux qu’on te laisse seul face à ces choses ? Et avoir ta mort sur la conscience s’ils finissent par te choper ?! Sans moi ce serait déjà le cas ! Et merde, réfléchissez ! s’irrita-t-il en les prenant tous à témoin comme s’ils le contestaient. Qu’est-ce qu’il vous faut d’autre comme preuve pour voir qu’on n’est pas des gens normaux ? Alors comment veux-tu qu’on oublie tout et qu’on passe à autre chose ? Désolé mais pour moi c’est clair, on ne peut pas abandonner, pas vrai ? lança-t-il à la ronde.

Cécile déglutit le trop de bile qu’elle aurait voulu cracher au visage de ce garçon. Avait-il la moindre idée qu’il détruisait tous les espoirs qu’elle avait mis dans son avenir ? Elle voulait hurler qu’elle ne voulait pas crever maintenant, qu’elle était beaucoup trop jeune. Elle voulait avoir son bac et intégrer son école de dessin, elle voulait se faire un nom dans le monde de l’art ou du design. Et surtout, elle souhaitait tellement devenir une adulte sûre d’elle et inébranlable, se forger une image d’elle si forte qu’elle effacerait l’adolescente solitaire et effacée. Au lieu de quoi elle se sentait comme un condamné à l’échafaud qui sait que son temps est compté. Et elle était morte de trouille. Le seul espoir auquel elle se raccrochait était la théorie de Bastien. Peut-être en effet que la créature d’hier soir n’en voulait qu’à Arthur. Et tant mieux pour elle. Qui fassent ce qu’ils veulent, mais qu’ils ne la mettent pas dans le même sac ! Car pour sa part, elle n’aurait aucun remords à laisser tomber ce gars qui mettait leurs vies en jeu. C’était peut-être une pensée honteusement égoïste mais elle s’en foutait totalement. Chacun pour soi et Dieu pour tous.

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