Chapitre 5 : Cas préoccupant (1/4)

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« Parfois, le désespoir est un sentiment calme. »

François Mitterrand

Avril

La semaine passa sans grand changement notoire. Et c’était déjà beaucoup. Arthur avait obtenu l’information par Camille que Cécile n’était pas dans leur lycée, mais n’avait pas réussi à avoir son numéro. Camille était à présent persuadée qu’Arthur avait des vues sur Cécile.

Grand bien lui fasse.

Florian ne se manifesta pas, sans que cette absence soulève des interrogations de la part de ses camarades et de ses professeurs outre mesure. Par contre, elle inquiétait énormément Bastien. Non pas qu’il tenait Florian dans son estime, surtout après la manière dont il avait traitée Claire, mais les mises en garde d’Arthur trottaient continuellement dans sa tête. Il était terrifié à l’idée qu’ils étaient tous parfaitement à même de provoquer un accident, lui le premier. Claire ne lui adressait plus la parole, sauf à table pour lui demander d’un ton glacial de lui passer le sel… les rares fois où ils dînaient ensemble avec leur mère, c’est-à-dire deux fois par semaine, au grand maximum. Celle-ci n’avait pas pris le temps de constater le changement chez ses enfants il y a bientôt quatre mois et ne remarquait toujours rien aujourd’hui. C’est à peine si, perdue dans son monde, elle avait intégré le fait que son fils allait passer aujourd’hui en conseil de discipline.

Bastien se redressa, tout ankylosé, et entreprit de se dégourdir les jambes en faisant les cent pas devant la salle où se jouait son avenir proche. Ayant écopé d’un avertissement, il ne s’était pas imaginé qu’il allait avoir droit à un véritable conseil uniquement pour son cas. Il en était presque flatté. Du temps où il était l’élève modèle, jamais il n’avait eu le droit à un tel honneur. Il fallait reconnaître que la délinquance avait du bon et qu’elle rompait avec la monotonie à laquelle il s’était habitué. La porte s’ouvrit sur son professeur principal qui l’invita d’un geste cérémonieux à rentrer dans la salle.

— Asseyez-vous Bastien, déclara gravement le Directeur en lui désignant la chaise située en face de tous les professeurs réunis.

Bonjour la pression.

— Bastien, je dois vous dire que votre cas est assez préoccupant, annonça le Directeur en le lorgnant de derrière le filtre de ses lunettes ovales. Mmm… Voyons… reprit-il en se retranchant derrière son dossier devant l’absence de réaction de Bastien. Vous étiez un des meilleurs élèves de votre classe au premier trimestre. D’excellents résultats, aucune plainte de la part de vos camarades ou de vos professeurs, rien à signaler au niveau de votre comportement. À présent, vous ne venez quasiment plus en cours et vos notes dégringolent.

Très utile cette information, vraiment, songea Bastien, un rien cynique. Il fallait arrêter de tourner autour du pot. Qu’on en finisse. Mais apparemment le directeur n’avait pas fini son laïus.

— Sans compter votre, hmm..., différend avec votre camarade qui aurait pu très mal se terminer. À votre décharge, les témoins ont néanmoins affirmé que vous cherchiez à défendre un autre de vos condisciples, et c’est certes tout à votre honneur, mais la façon dont vous vous y êtes pris ne porte pas en votre faveur.

Ses petits yeux noirs de taupe sondèrent le visage de Bastien à la recherche d’un quelconque repentir, mais Bastien n’en montra aucun. Quoiqu’il arrive, il n’avait aucune raison ni envie de plaindre Théo. La seule chose qu’il regrettait, c’était de ne pas l’avoir envoyé à l’hôpital, et il était content qu’elle lui soit passée par la tête parce qu’elle était vraie. Mais pas question de dire une chose pareille, bien évidemment. Il choisit donc de ne faire aucun commentaire. Le Directeur, qui espérait entendre une excuse de sa part, en fut pour ses frais. Il choisit de se replonger dans son récapitulatif.

— Tout porte à croire que vous voulez à tout prix vous saborder, à moins de trois mois de votre examen final. Avez-vous un élément à nous donner ou à préciser pour nous permettre d’évaluer votre attitude ?

Bastien faillit lui rire au nez tant la situation était risible. Ils ne s’attendaient quand même pas à ce qu’il annonce qu’il se droguait ?

— Vous savez, nous sommes vraiment inquiets pour vous, mon garçon, embraya le Principal d’un ton paternaliste. Nous ne sommes pas ici pour un règlement de comptes, mais pour vous aider à aller de l’avant. Avant d’être vos professeurs et responsables, nous sommes aussi des êtres humains capables de concevoir que les lycéens ne sont pas à l’abri d’un problème, familial ou autre. Y-a-t-il un souci dont vous souhaitez nous faire part de ce côté-là ?

Le seul problème familial dont il avait à se plaindre en ce moment était une mère speed et dépressive et un père aux abonnés absents, officiellement à cause du boulot infernal de sa femme qui les empêchait d’avoir une vie de couple stable et d’ailleurs une quelconque vie commune. Tout juste si Claire et Bastien pouvaient espérer le voir durant les vacances d’été (et encore ils s’en passeraient l’un et l’autre volontiers). Sans compter le fait qu’il risquait maintenant de devenir l’hypothétique chair à canons de monstres sanguinaires et de joueurs tordus.

Bastien commençait à s’ennuyer ferme de tous les clichés de cette série B auxquels le Directeur semblait fermement attaché dans sa vision des adolescents modernes. En même temps, il devait contenir sa furieuse envie de le frapper. C’aurait été tellement jouissif. Mais il était néanmoins assez lucide pour comprendre qu’un tel acte ne ferait qu’envenimer une situation déjà compliquée et qu’il fallait donc qu’il se contrôle. Surtout qu’il ne connaissait pas ses limites. À son âge, la plupart des ados bataillaient pour réussir leurs examens sans laisser leur vie sociale en pâtir. Pour lui, tout s’était au final, oh combien plus simplifié. Non content de lui avoir ôté toute forme de vie sociale en le rendant totalement renfermé et agressif, sa bonne fortune avait éloigné de lui toute préoccupation scolaire, y compris le respect envers ses professeurs. Bastien avait beau se rendre compte qu’il filait un mauvais coton, il n’en avait cure : il était tellement plus facile de se laisser guider par ses mauvais penchants que de se forcer à briller pour essayer d’égaler un fantôme. Vraiment, les justiciers ne savaient pas ce qu’ils perdaient et c’était bien dommage.

— Alors Bastien ?

— Non, monsieur, il n’y a rien, affirma Bastien le plus calmement qu’il put. Je compte redresser la situation le plus rapidement possible, promit-il sans penser une minute ce qu’il disait. Mais je n’ai toujours pas l’intention de reprendre cette option.

— C’est vous qui décidez. Bon, c’est entendu nous comptons donc sur vous, jeune homme. Vous avez toutes les cartes en main. En cas de récidive, nous serions contraints de convoquer vos parents et de prendre avec eux les mesures nécessaires.

« Si vous parvenez à les joindre et à leur faire comprendre la situation, ce serait déjà pas mal », songea amèrement Bastien.

— Sachez que nous sommes là en cas de besoin.

« Mais bien sûr. Tiens, la prochaine fois que j’aurais vraiment besoin de vous, je n’hésiterai pas à vous passer un coup de fil. Pour ce que ça sert… ».

— Ce sera tout, vous pouvez disposer.

Bastien ne fut pas mécontent de quitter les lieux, envahi d’un froid soudain et maintenant familier qui lui gelait les os. Il se précipita dans les toilettes au coin du couloir, choisit la première cabine, s’y enferma et se laissa glisser à terre, le souffle coupé. Il savait pertinemment ce qui le faisait souffrir ainsi : il porta sa main à son torse en grimaçant de douleur. S’il ne restait aucune trace physique de la blessure infligée par le monstre, il ne pouvait en dire de même au niveau psychique. Il avait vite compris à ses dépens que la souffrance surgissait lorsqu’il se mettait déraisonnablement en colère et l’épisode d’aujourd’hui n’y faisait pas exception. Il s’obligea à respirer calmement en serrant les dents. Cela ne pouvait durer éternellement, le mal finirait par s’estomper.

Tu parles, tu es le premier à savoir qu’il y a des peines dont on ne guérit pas, lui martela un pan de sa conscience. Il refoula un sanglot en se traitant de tous les noms. Il n’était pas question pour lui de flancher de nouveau, il n’avait plus l’intention d’être une proie facile. S’il devait lui arriver quelque chose, sa mère ne le supporterait pas, au même titre que la perte de sa sœur. Il devait se battre pour les garder tous deux en vie, il leur devait bien cela, c’était un minimum pour compenser ses erreurs. L’ennui, c’est qu’il fallait en convaincre Claire. Cette entêtée ne parvenait pas à saisir l’enjeu de la situation ni les efforts qu’il devait faire pour la protéger. Au contraire, elle se dérobait et cherchait sans cesse à jouer avec le feu. Peut-être parce qu’elle n’avait pas été confrontée au pire, elle. Il se réprimanda à nouveau, c’était injuste de sa part de faire porter à sa sœur le poids de ses propres responsabilités. Il ne voulait pas revivre le goût amer de la rancœur, il avait assez donné. N’empêche, il aurait de loin préféré qu’elle soit tenue à l’écart de toute cette… folie. Il porterait la poisse qu’il n’en serait pas étonné, comment aurait-il pu en être autrement ?

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