Chapitre 6 : Si tu es partant pour nos histoires à la con… (1/4)

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« […] Moi je connais pas mal d’illuminés qu’auraient besoin d’être éclairés. »

Cars, réalisation de John Lasseter et Joe Ranft, (2006)

— C’était comment ta journée, hier ?

Bastien ne rêvait pas, c’est bien à lui qu’elle avait posé cette question trop anodine pour ne pas être suspecte.

— C’est à moi que tu t’adresses ?

Agacée, Claire tripota sa natte.

— Tu vois quelqu’un d’autre dans cette pièce ? Évidemment que c’est à toi que je parle ! Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Rien, une journée normale quoi.

Claire tapa du poing sur la table.

— Arrête de me prendre pour une idiote ! Toutes les lumières ont sauté, j’y étais !

Bastien se replongea dans son livre en affichant un air tellement blasé qu’il donna envie à Claire de le gifler.

— Si tu sais déjà tout, pourquoi t’embêter à me parler ?

— Cela a un rapport avec… avec Qui-Tu-Sais, oui ou non ?

— Je ne connais pas de Quitusais, se renfrogna Bastien. Et tu devrais te trouver d’autres lectures.

À bien y réfléchir, il préférait largement quand elle l’ignorait. Il était grand temps de prendre la tangente.

C’était la goutte d’eau de trop. Elle n’en avait pas terminé. Bastien était rapide mais elle avait prévu le coup. Elle prit un malin plaisir à le voir sursauter comme un fou moins de trois secondes plus tard quand il la découvrit qui l’attendait dans sa chambre, prête pour l’offensive.

— Mais t’es complètement folle, qu’est-ce qui te prend ?

— Qu’est-ce qui te prend, toi ? siffla-t-elle rageuse. Je n’ai plus six ans, que cela te plaise ou non ! Donc tu as intérêt à ce que je sois satisfaite de ta réponse : est-ce Florian qui a fait sauter le lycée et y-a-t-il un rapport avec toi ?

Bastien jaugea sa sœur. « Tout ou rien » aurait pu être la devise de cette écervelée.

— Oui et non. Je l’ai juste découvert dans les toilettes et j’ai laissé ses amis le conduire à l’infirmerie.

— Tu… T’es vraiment pas croyable ! Tu l’as simplement laissé filer alors qu’il va sans doute recommencer !

— Vu son état, ce n’est pas pour demain en tout cas.

Claire le regardait avec désapprobation.

— Enfin, que veux-tu que j’y fasse ? C’est son problème. Tu ne vas quand même pas le plaindre !

Claire secoua la tête avec mépris.

— Et je suppose que tu as tout raconté à Arthur.

— Oui, avoua-t-il. Il est d’accord avec moi. On ne peut pas l’obliger à s’arrêter.

Elle se retint à grande peine de lever les yeux au ciel. Les garçons et leur logique ! Florian ne s’arrêtera pas avant d’avoir détruit une bonne partie de son quartier. Et lui avec par la même occasion. Pourquoi ne voyaient-ils rien ?

— À mon tour les questions. Qu’as-tu raconté, toi, à Cécile ?

Aïe. Claire sonda le visage impénétrable de son frère. D’où tenait-il cette information ?

— On dirait que je ne suis pas le seul à faire des messes basses.

— Je voulais juste qu’elle me dise la vérité, ce que vous ne vouliez pas me dire ! De toute manière je n’ai rien appris de plus que ce qu’Arthur t’as dit, je me trompe ?

— Ne mêle pas Arthur à ça ! Si on l’écoutait, il faudrait mettre toute la ville au courant !

Claire ressortit ce sourire méprisant qu’il détestait.

— Le seul qui n’ait pas de cerveau dans toute cette histoire, c’est toi, hein ?

Bastien essaya de s’inciter au calme. De l’ironie. Pas de quoi fouetter un chat.

— Tu es la seule à ne pas avoir compris ce qui se passe. Cesse de te comporter comme une sale gosse et essaie d’être raisonnable une fois dans ta vie !

— Je suis au courant de ce qui se passe, merci, je ne suis pas une simple d’esprit. Ce n’est pas moi qui suis dérangée, à en croire les rumeurs. Ce n’est pas moi qui suis considérée ainsi dans cette famille.

Claire retint à grande peine un gémissement exaspéré : elle en avait trop dit. Elle l’avait purement et simplement frappé en traître. Le fait qu’elle regrettait ses paroles dès l’instant où elles les avaient prononcées n’y changeraient pas grand-chose.

Un camion aurait roulé sur Bastien qu’il aurait arboré la même expression.

— Tu veux jouer à ce jeu-là ? gronda-t-il.

— Aussi longtemps qu’il le faudra ! fanfaronna-t-elle.

Bastien poussa un rugissement de colère et balança son poing sur son armoire. Un frisson de peur parcourut Claire quand toutes les planches s’écroulèrent en cascade, répandant tout leur contenu sur le sol. Bastien tourna le dos à sa sœur et s’emprisonna la tête dans les mains pour réfréner ses tremblements.

— Je suis désolée…. Tu... Enfin, tu sais combien je peux être tellement conne des fois et cela a empiré ces derniers temps… Pardonne-moi, supplia-t-elle en essuyant les larmes qui coulaient sur ses joues.

Le silence le plus long qu’elle n’ait jamais connu s’ensuivit. Bastien laissa retomber ses poings et appuya son front contre sa vitre. Il brûlait.

— Tu lui as dit autre chose, marmonna-t-il d’une voix étouffée. Sinon elle ne serait pas revenue.

— Pardon ?

Bastien affronta Claire de nouveau, sans rien manifester d’autre qu’une grande lassitude.

— Cécile est revenue voir Arthur il y a deux jours. Je ne sais pas ce que tu lui as dit mais elle était prête à essayer.

— C’est vrai ?

Claire ne comprenait pas ce qui avait poussé Cécile à changer d’avis ni ce qu’elle entendait par le terme « essayer », mais elle lui était reconnaissante d’être revenue. Et de constituer un sujet de conversation qui enterrait la hache de guerre. Une façon pour Bastien de lui signifier qu’il lui pardonnait. Il devait lire dans ses pensées car il se mit à lui présenter ses excuses.

— C’est moi qui suis stupide, tu ne mérites pas d’être tenue à l’écart. C’est juste que… Je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose, tu comprends.

Il trouva inutile de formuler le « J’aurais trop peur de te perdre » qui était à l’origine de toutes ses piteuses tentatives pour lui éviter le pire. Pas parce que c’était ridicule. Elle le savait. Et c’était réciproque. Ils avaient cette même peur tous les deux, c’était indéniable. Ils avaient peur de vivre avec un vide supplémentaire.

— Tu fais ce qu’un grand frère doit faire. Et tu es le meilleur dans ce domaine, lui répondit doucement Claire en le serrant spontanément dans ses bras.

Bastien s’écarta doucement de l’étreinte de sa sœur pour la forcer à le regarder.

— Écoute. Je pense qu’on sera souvent ensemble au vu la situation, alors on devrait faire en sorte de ne pas se désintégrer mutuellement à chaque dispute, tu ne crois pas ? On pourrait essayer, même si, franchement, cela paraît impossible pour l’instant.

Claire sourit. « Essayer ». Elle venait d’en saisir le sens. Bien sûr qu’il fallait essayer. Ils DEVAIENT essayer.

— Tu sais que j’adore les défis irréalisables. J’suis qu’une sale gosse après tout, je ne suis pas raisonnable.

Le premier vrai sourire que lui adressa Bastien depuis des mois coïncida avec la sonnette de la porte d’entrée.

Et s’éclipsa aussitôt.

— Ce n’est pas Maman, elle ne rentre pas avant 21h.

— Et elle a les clés.

Les frangins échangèrent un regard. Avec un geste d’avertissement, Claire commença à se diriger vers les escaliers.

— Je vais ouvrir avant que tu ne me dises quoi que ce soit de stupide du style… hum…hum !

Bastien la bâillonna avant la fin de sa phrase et la transporta à couvert sous sa fenêtre si vite qu’elle ne s’en rendit compte que quand il la plaqua au sol. Il n’apprendrait donc jamais la galanterie !

— Je ne te dirai rien du tout de ce style, mais s’il te plaît, tais-toi un peu ! C’est peut-être un piège, souffla-t-il en la libérant.

— Tu es beaucoup trop parano, tu le sais ça ? chuchota-t-elle sur le même ton.

— Tu le serais si tu avais vu à quoi ils ressemblent, crois-moi !

— Alors qu’est-ce qu’on fait ?

— Je regarde et toi tu ne bouges pas. Pour l’instant, ajouta-t-il devant la réaction incendiaire de Claire.

— Vas-y donc, Superman. On ne sera pas ridicule si c’est juste le facteur ou un voisin.

Bastien se hissa avec agilité à l’extrême droite du rebord de la fenêtre et écarta les rideaux le plus prudemment possible. Il pâlit, étouffa un cri de surprise et se laissa glisser à côté de Claire.

— C’est quoi ?

— C’est pas vrai…

— C’est quoi ? s’énerva la jeune fille en le secouant. Un monstre démoniaque ?

Bastien était complètement dérouté.

— C’est Florian, articula-t-il comme s’il n’y croyait pas lui-même.

— Quoi ! s’exclama-t-elle en se redressant d’un bond pour vérifier.

— Non !

Trop tard. Claire écarta les rideaux d’un geste si violent qu’il révéla leur position aussi sûrement qu’un envol de canards sauvages clame au chasseur de leur tirer dessus.

— Il t’a vue ?

Un nouveau coup de sonnette retentit.

Se relevant, Bastien foudroya Claire.

— Des fois je me demande vraiment si tu ne le fais pas exprès !

— Qui sait ? Bon au point on où on est, c’est moi qui ouvre. Enfin, si tu me le permets.

Bastien s’effaça.

— Après toi.

— Oh mais j’y compte bien ! grincha-t-elle en ouvrant la porte.

Il paraissait transi, grelottant sur le perron comme un oisillon maladif. Claire ne franchit pas le seuil et se borna à le toiser avec hostilité, bras croisés, lui barrant clairement le passage d’entrée de jeu. Florian avait pressenti que ce serait dur. Il s’était douté qu’il ne recevrait pas un accueil à bras ouverts. De là à ce qu’ils lui compliquent autant la tâche…

— Tu t’es enfin dit qu’il était temps d’arrêter le massacre ?

— Claire ! la tança Bastien. Laisse-le tranquille. Excuse-la, elle peut être insupportable quand elle s’y met.

— Et encore, ce n’est rien qu’un échauffement !

— C’est fini, oui ? On avait dit qu’on stoppait ce type de stupidités !

— Il n’a pas été signalé que cela s’appliquait à lui aussi si j’ai bonne mémoire.

— Eh, je suis là, crut bon d’intervenir Florian.

Il avait partagé assez de démêlés avec ses sœurs pour reconnaître les sujets stériles.

Claire daigna se souvenir de sa présence.

— Oui, et j’en reviens pas. On ne t’attendait pas aussi tôt après la mission de sauvetage de Bastien.

— Je n’ai jamais dit que c’était une mission de sauvetage ! protesta Bastien.

— Allons, tu ne vas pas me faire croire que tu l’as laissé agoniser dans ces toilettes !

— Non, bien sûr que non, mais… d’abord il n’agonisait pas !

— Avoue au moins que tu lui as sauvé la vie ! Sinon, c’est son fichu cadavre que les dames d’entretien auraient retrouvé le lendemain.

— Cesse de raconter des sottises !

— Des sottises ? Tu as dit toi-même qu’il allait finir par se tuer tôt ou tard ! s’offusqua Claire.

— T’es obligée de déformer mes propos ? Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit !

— OH ! Temps mort !! brailla Florian.

Ils s’immobilisèrent tous les deux, se préoccupant enfin de lui. Obéissant, le porche conserva un instant cet éclat de voix avant de le disséminer dans le vent.

— C’est toujours comme cela chez vous ?

Il plaignait leurs pauvres parents si c’était le cas.

Claire lui jeta une œillade assassine avant de s’en remettre à Bastien. Son aîné ne s’y trompa pas et se chargea des préliminaires.

— Qu’est-ce que tu es venu faire ici ?

Florian déglutit péniblement. Il en était à présent certain, ils ne comptaient pas lui donner le moindre coup de pouce.

— Te remercier…pour… pour tout. Tu m’as tiré d’affaire encore une fois alors que t’étais pas obligé et que t’en avais pas forcément envie.

Bastien ne démentit pas ses suppositions ce qui n’était pas de meilleure augure pour la suite. Mais s’il se mettait à sa place, aurait-il eu envie de toujours porter secours à un mec odieux qui n’arrêtait pas de chercher les ennuis partout où il allait ? Réponse : cela ferait belle lurette qu’il l’aurait laissé se démerder. Il aurait même choisi de le descendre s’il avait eu l’audace de s’attaquer à lui ou à l’une de ses sœurs. Tous ces faits mis bout à bout ne donnaient à voir qu’une seule et unique conclusion : il se faisait horreur. Il aurait bien aimé savoir comment il en était arrivé là.

La partie à venir était la plus dure mais il n’y couperait pas. Il se le devait à lui-même avant tout. Il prit à témoin le frère et la sœur appuyés contre la porte. Qui attendaient, sans un mot.

— Je suis désolé. Vraiment. Je sais que j’ai complètement merdé, depuis le début. J’étais complètement paumé, je ne sais pas ce qui m’arrive et… je suis vraiment con, ce n’est même pas une excuse.

Il n’y avait pas d’excuse valable. Aucune. Claire dut reconnaître son courage. Tout restait difficile à admettre et encore plus difficile à sortir.

— Je suis un putain de danger public.

Florian s’interrompit pour effacer d’un geste fébrile les larmes qui affluaient à ses yeux, partageant la conception paternelle qu’une telle fragilité chez un garçon d’un mètre 80 était plus que déplacée.

— Je ne veux plus continuer… Mais je ne peux pas m’en sortir tout seul, alors… j’ai besoin de votre aide. Je vous en prie.

Le souffle court, il se rendit compte de la stupidité de sa requête. De l’éventualité et même de la probabilité de leur refus. Il n’avait pas pensé une seconde que la suite était liée à leur décision. Si elle était négative, il était foutu.

— Je vous en supplie…

Bastien n’avait pas besoin de consulter Claire pour connaître son avis. Il baissa les armes.

— Si tu es partant pour nos histoires à la con…

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