LA VIE EST PARFOIS BIEN ÉTRANGE...
Seconde interprétation à mon défi proposé :
Si je ne m'étais pas arrêté sur cette aire de repos, j'aurais peut-être provoqué un accident, et comme ça aussi mon existence aurait été bouleversée. Je serais peut-être même mort ! Mais je me suis arrêté...
Une aire de repos sans station, déserte. Arrêt pipi ! Je voyage toujours en autonomie, c'est pas nouveau. J'avais le thermos de café, les sandwichs et quelques fruits. C'était parfait. Le café était bon, les casse-croûtes à mon goût et les fruits mûrs à point. On ne m'y prendrait plus à manger ces triangles insipides, des fruits toxiques et boire du café amer comme un jour de défaite !
Il faisait bon et je m'installai sur une de ces tables de pique-nique en béton. À une dizaine de mètres, face à moi, le bloc sanitaire. Pas d'autre véhicule en vue. L'autoroute était peu fréquentée, c'était dimanche matin... Il n'était pas encore dix heures mais le soleil déjà bien chaud m’assommait. J'avais roulé toute la nuit. Collation achevée et café bu, j'avais failli m'endormir, la tête posée sur mes bras croisés, quand j'ai entendu un cri. Oh pas un hurlement, non, plutôt un feulement comme les chats en poussent parfois.
Ébloui par le soleil, je tentais en vain de localiser le greffier qui m'avait sorti de ma somnolence. Alors , je me suis levé, j'ai rangé les restes de mon repas dans ma voiture, et je me suis mis à chercher activement d'où pouvait venir ce miaulement. J'étais inquiet à l'idée que la pauvre bête se fasse renverser ou pire : écraser ! Comment ? Les deux sont pires ? Euh, oui, c'est pas faux ! (J'aimais bien ton humour... je m'en souviens.)
Je commençai à faire le tour de la construction qui abritait les commodités, quand j'ai failli trébucher sur quelque chose de mou, emballé dans une couverture de laine. Je me suis arrêté, surpris. Mon esprit s'est emballé brusquement, mon cœur a suivit le mouvement car d'un coup, quelque part dans le cerveau planqué dans la boîte crânienne, sous mon chapeau, une connexion s'était faite, m'indiquant que :
«Erreur ! Ce n'est pas un chat qui pleure de cette façon ! C'est un bébé ! UN BÉBÉ !
Ah oui ? Et qu'est ce qu'il ferait là, par terre, ce BÉBÉ ? Hein ?"
De moi à moi, on nageait en plein conflit... Je me sentais mal, j'avais chaud, j'avais froid, les mains moites... en fait j'avais surtout la trouille ! Un bébé tout seul, dans une station déserte ! Y a des fois, je te le dis, la vie, elle nous fait de ces plans ! Faut le voir pour y croire !
Il me fallait donc vérifier... Du bout du pied, j'ai fait bouger la chose molle, et elle a crié, juste un peu. Je l'ai ramassée, j'ai écarté un pan de la couverture, et OUI, c'était bien UN BÉBÉ ! Avec un tout petit visage rouge et fripé et des yeux sombres qui me fixaient avec un air tellement sérieux que je n'ai rien trouvé d'autre à dire que :
Bonjour Monsieur Bébé.
C'était ridicule, j'avoue. Il a fait un petit gloussement bizarre mais bon... Je ne m'y connais pas trop en bébé. J'ai seulement 22 ans et je suis un enfant unique, comme tu le sais...
Personne aux alentours. J'ai appelé, plusieurs fois. Pas de réponse ! Comme Monsieur Bébé s'agitait dans mes bras, je suis retourné à la voiture et je l'ai déposé sur la banquette arrière, bien calé. La meilleure solution c'était d'appeler la brigade autoroutière ou les pompiers. Ils prendraient ce petit en charge, et je pourrais m'en aller ! Que faire d'autre ?
Sauf que, voilà, ça ne s'est pas passé comme ça ! Parce que pas de réseau ! Même pas pour les appels d'urgence ! Sale poisse, comme tu le verras.
Je ne savais pas trop quoi faire. J'en étais à me dire que j'allais reprendre le volant et rouler jusqu'à la prochaine station pour trouver de l'aide, ou jusqu'à la prochaine sortie gendarmerie, quand j'ai entendu un toussotement derrière moi. Je me suis retourné, surpris et un peu inquiet. Je n'avais pas vu d'autre véhicule en arrivant. Mais bon, je n'avais pas fait le tour de l'aire de repos non plus... Sans crier gare, me sont revenus divers scénarios de films très angoissants !
Le couple d'une trentaine d'années qui me faisait face était arrivé si discrètement que je ne l'avais pas entendu. J'ai salué ces gens poliment. Comme ils restaient plantés là, sans rien dire, le regard fixe, j'ai sorti le petit de ma voiture, avec sa couverture et je leur ai tendu en disant :
« _ Il est à vous ? Je n'ai pas l'intention de le voler. Il était par terre ! Je ne pouvais pas le laisser là ! »
Toujours rien. J'étais maintenant très inquiet ! Comme l'enfant commençait à pleurer, je l'ai tourné vers moi pour voir ce qu'il avait. Et c'est à cet instant que j'ai vu son vrai regard, froid, calculateur, effrayant ! Je sais ce que tu vas me dire : c'est pas possible, il est trop jeune pour ce genre de pensées ! Sauf que ses petites mains se sont brutalement accrochées à mes oreilles et il a tiré dessus avec une force terrifiante. Ne ris pas, Gilles, je t'en prie.
Et il a posé son front ridé contre le mien. J'ai alors senti quelque chose entrer en moi, se faufiler derrière mes yeux. J'ai crié. Ça me poussait de l'intérieur, sauvagement. Ça me poussait hors de ma maison, hors de mon être ! J'ai résisté. Je me suis agrippé, accroché. Je me suis débattu. Je hurlais comme un possédé, mais pas moyen ! Ce quelque chose m'a jeté hors de moi ! Littéralement ! On m'a chassé de mon corps. On m'a pris ma place !
Le couple et l'enfant, qui s'était soudain rendormi, sont montés dans un véhicule stationnée derrière une haie, feux éteins, et dans lequel ils devaient m'attendre en silence, après avoir déposé le bébé comme appât. Mon corps s'est installé dans la mienne et tout le monde est parti.
Et je suis resté là, hébété. Je pensais être mort. J'ai alors « entendu » des voix : une femme et un bébé qui pleuraient et un homme furieux. Je me suis dit que je devais être en train de faire un cauchemar et j'ai voulu me pincer, pour me réveiller. Mais il n'y avait rien à pincer ! Je ne les entendais pas avec mes oreilles, mais directement dans mon âme...
Les parents de Monsieur Bébé, lui et moi ne sommes plus que des esprits errants, dépossédés de notre matière. Ils m'ont tendu ce piège parce qu'ils étaient deux à devoir se partager le corps du gamin...
Il y a d'autres esprits avec nous, on a pu échanger. Ils ont vécu la même horreur.
Gilles, ceux qui nous ont volé nos corps ne sont pas de ce monde ! Ils viennent d'un autre univers. Ils envahissent des organismes humains pour s'installer sur terre ! Et ce depuis tellement longtemps que je n'ai pas pu savoir quand ça a commencé. Peut-être depuis le début de l'humanité...
J'ai eu la chance de trouver un chemin technico-spirituel qui m'a permis d'entrer dans ton ordi. Tu sais que j'ai toujours aimé l'informatique et l'Esprit.
Je pense que je ne pourrai jamais récupérer mon corps. Ce qui me l'a pris est beaucoup trop fort. Ou alors il se sera passé tellement de temps que tu ne seras plus en vie. Je suis désespéré mais content d'avoir pu te prévenir :
Sois prudent. Si tu me vois quelque part, sauve-toi et si je frappe à ta porte, ferme ton esprit et prie ! Je ne vois pas ce que l'on peut faire d'autre, hélas.
J'aurais aimé passer mon existence avec toi, dans ma citadelle de chair, mais elle est tombée aux mains d'un ennemi terrible et implacable.
Ça ne te rappelle pas quelque chose ?...*
Je te bise...
Signé : ton André.
* Référence au catharisme
MAZARIA
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