Dérisoires
Tout l'inessentiel, l'absurde, le dérisoire, le douloureux sans raison, le superflu, j'ai supprimé de ma vie. Tout ce que l'on fait, par simple habitude, sans savoir pourquoi, simplement pour se faire accepter par les autres, je ne le fais plus. Les mots que je ne pense pas, je ne les dis plus ; les pensées qui me sont imposées, je les chasse ; les sentiments que je ne comprends pas, je les refuse.
Tout en moi est maintenant cohérent, mais je suis mort.
Te souviens-tu, petite amie, de cette charlotte aux fraises que nous avons partagée, sur la terrasse un jour d'orage et d'été ? Te souviens-tu de son goût, de ce que nous nous sommes dits, et comme nous nous aimions ? Tu ne t’en souviens plus ? Moi non plus.
Te souviens-tu, petite amie ? Nous étions jeunes, mais nous nous sentions vieux. Nous n'attendions plus rien de la vie, tous les jours qui nous restaient à vivre nous les avions, par analogie, déjà vécus. La mer était immense, mais toutes les vagues, sinon identiques tout au moins comparables, interchangeables. Nous refusions les plaisirs futiles, les joies faciles, les étonnements naïfs. Nous étions retenus, réservés, sceptiques, exigeants. Nous avions si peur d'être déçus par nous-même – les autres ne pouvaient plus nous décevoir, nous avions mesuré leur immuable médiocrité – tous nos élans étaient contenus, dirigés et par là même nous devenaient méprisables. Nous désirions l'air des cimes, mais jugions cette aspiration dérisoire. Nous voyagions, sachant que rien ne nous attendait à la fin du voyage, et ne pouvant nous résoudre à cette errance sans but. Nous nous disions, notre voyage n'est rien d'autre que l'ensemble de nos pas, parfois cela nous procurait une joie aigre, parfois nous étions désemparés et nous nous détestions.
Te souviens-tu petite amie ? nous étions jeunes, nous sommes vieux.
Annotations
Versions